Cette chercheuse française, enfermée dans son corps à la suite d’un AVC foudroyant, a choisi de mourir mardi à Liège avec l’aide d’un médecin, faute d’une loi autorisant l’euthanasie en France. Olga avait confié son témoignage à Mediapart.
Olga a dit « oui » avec les yeux, hier, en Belgique, au médecin chargé d’injecter la dose prévue de barbituriques. Cette Française de 46 ans a délaissé pour toujours l’écran à commande oculaire qui lui permettait, ces dernières années, juste en clignant des paupières, d’exprimer sa colère, souvent de l’écrire en MAJUSCULES. Sa colère contre l’injustice de la vie et de cet accident vasculaire cérébral (AVC) qui l’a intégralement paralysée en 2007, lui coupant ses ailes de chercheuse, n’épargnant que ses capacités intellectuelles.
Sa colère contre la violence des autres devant sa maladie, le « locked-in syndrome » (ou syndrome d’enfermement), la peur et l’invisibilisation qu’il engendre.
Sa colère, enfin, contre la loi française qui prétendait l’empêcher de choisir sa mort, malgré treize ans de dépendance et de souffrance psychologique immense. Dans sa tête, le choix de l’euthanasie était pourtant clair, comme Olga l’écrivait à certains de ses proches en août dernier : « Cette décision peut vous paraître soudaine, mais elle est longuement réfléchie. C’est une LIBÉRATION. »
Hier après-midi, à l’hôpital public de la Citadelle, à Liège, le professeur François Damas a donc mis fin aux jours d’Olga. Pendant tout le mois précédant l’acte, celle-ci avait accepté de se confier à Mediapart, presque tous les jours, afin d’exposer les raisons de son « exil » médical, nous autorisant à publier, au lendemain de sa mort, son témoignage.
Si elle s’est rendue en Belgique, c’est que l’euthanasie reste interdite en France. La loi autorise seulement la sédation profonde, uniquement pour les personnes « dont le pronostic vital est engagé à court terme ». Or, on ne meurt pas du locked-in syndrome. Pour prétendre à une sédation, Olga aurait dû cesser de s’alimenter et de s’hydrater. « Je DÉTESTE cette loi !!!, nous confiait-elle. Je la trouve ignoble, inhumaine… Et tellement HYPOCRITE, cette option est réservée aux personnes en fin de vie… Je ne veux pas me laisser mourir de faim et de soif !! »
« Si elle avait décidé d’arrêter toute alimentation et hydratation, une sédation se serait imposée, elle serait restée endormie pendant 8, 9 ou 10 jours. Sa mort n’aurait pas été franchement agréable », décrypte François Damas. Ce praticien retraité de 67 ans, qui maintient sa consultation de fin de vie dans le service des soins palliatifs de La Citadelle ,reçoit chaque semaine le courriel d’un à deux Français aspirant à l’euthanasie. Ces dix-huit derniers mois, il a administré le médicament létal à 24 d’entre eux. C’est en Belgique, déjà, que l’écrivaine Anne Bert, atteinte de la maladie de Charcot, s’était rendue en 2017, en médiatisant son dossier.
Sa décision, Olga l’a annoncée dès septembre 2019 à sa mère et à sa sœur, qui l’ont immédiatement soutenue à 100 %. « Il n’y avait pas d’autre solution. C’était mûrement réfléchi, elle était sûre de son choix », assure sa mère, qui s’est occupée d’elle au quotidien pendant treize ans.
Ce quotidien, qu’Olga avait rebaptisé « non-vie », la faisait enrager. Cette existence au ralenti, quasi figée dans le temps, se résumant à une succession de « deuils » : fini les grands verres d’eau désaltérants, le pain qui craque sous la dent et les fruits entiers, remplacés par de l’eau épaissie et des purées données à la becquée. Fini les caresses aux chevaux, qu’elle faisait « danser » en compétitions de dressage chaque week-end, avant. Sa seule option ? Toucher avec les yeux. Mais à cause d’une vue qui « déconnait », Olga n’était plus en mesure de lire plusieurs pages d’affilée et dépendait d’un appareil qui lui récitait des livres audio.
Les jours se suivaient et se ressemblaient dans la maison de campagne familiale, entourée de cinq hectares de prés, de vignes et de bois. Réveil à 8 h 30, petit déjeuner, selle à 10 h 15, douche, habillage, kinés, repas. Le tout ponctué des mêmes questions des auxiliaires de vie. L’après-midi était consacré à l’écriture de mails et de coups de gueule. Puis « le soir, je regarde le 20 heures couchée sur le côté pour soulager mes fesses vermoulues par une journée assise dessus SANS bouger ».
Contrairement à l’atteinte de la moelle épinière, le locked-in syndrome endommage le tronc cérébral sans entraîner de perte sensorielle. Comme 550 autres malades en France, Olga ressentait donc tout : les manipulations approximatives des soignants, les crampes dans les pieds, souvent bleus et froids, les spasmes et la raideur qui s’intensifiaient, les problèmes de transit qui s’accentuaient. « Je ne peux qu’assister à cette déchéance, ça me rend folle, folle, folle !! », s’indignait-elle.
Pour exprimer ses besoins élémentaires, elle clignait des yeux, quand son interlocuteur, qui devait réciter un alphabet adapté, prononçait la bonne lettre. Ironie du sort, Olga avait vu, une semaine avant son AVC, le film Le Scaphandre et le papillon, qui raconte l’histoire de Jean-Dominique Bauby, atteint de la même maladie…
Pour écrire des phrases plus longues ou des mails, elle appuyait son regard sur son écran d’ordinateur à 14 000 euros, pour désigner chaque lettre. « Heureusement que j’avais fait des économies avant mon accident, j’ai pu m’offrir ce bijou qui a changé ma non-vie. »
Cette lenteur infinie était synonyme d’« absence » pour la plupart de ses interlocuteurs : son institut de recherche qui la licencie du jour au lendemain, un dentiste qui regarde ses dents le plus vite possible, une dermatologue qui n’ose pas la toucher, des auxiliaires de vie négligentes, un gendarme qui refuse de lui accorder le droit de vote. À 46 ans, Olga n’en voulait plus. « Le cas d’une personne qui a toute sa tête mais qui ne peut ni parler ni signer n’est pas prévu par la loi. En un mot, je n’existe pas ! », déplorait-elle.
« Ça se jouait énormément dans le regard des autres, confirme sa sœur, qui l’a accompagnée à l’incontournable consultation de fin de vie, à Liège, en août dernier. Sur le quai de la gare, les gens avaient peur d’elle, ils ne s’adressaient pas à elle ou hurlaient comme si elle était sourde. Je comprends pourquoi elle ne voulait plus aller au cinéma. »
Pour rien au monde, Olga n’aurait attendu quelques mois de plus. Déjà, en mars, tout était planifié. Elle voulait partir avant son anniversaire, qu’elle déteste fêter, au printemps. Le confinement a tout stoppé. Elle savait que sa mère n’était pas éternelle : elle n’aurait bientôt plus eu la force de s’occuper d’elle. Le soutien de cette dernière, à la campagne, parmi les animaux, la raccrochait à la vie. La perspective de continuer dans un centre d’accueil avec une seule douche par semaine ? Inacceptable. « La souffrance ne correspond pas forcément à la douleur physique, précise le professeur François Damas. Ce qui était tolérable avant est devenu insupportable. »
Si elle n’avait pas fait le choix belge, qui lui a coûté 2 000 euros, sa « non-vie » se serait poursuivie « une quarantaine d’années supplémentaires, affirme une médecin généraliste qui l’a suivie pendant dix ans. Je l’ai toujours soutenue dans sa décision, qui lui appartient. Je pense que dans sa situation, j’aurais suivi le même cheminement. La France est en retard. Chacun devrait avoir le droit de mourir dans la dignité, et de choisir son moment. »
« Hypocrisie incroyable »
Partir à l’étranger n’était pas un problème pour Olga. Dans sa vie « d’avant », la chercheuse avait vécu en Belgique, aux Pays-Bas, et participé à des congrès scientifiques aux quatre coins des États-Unis. « Je me sens plus européenne que française, j’aime bien les Belges, et Liège, c’est joli. » Ce qui révoltait Olga, c’était de devoir voyager pour mourir dignement.
« Quand un malade est prêt à faire 1 000 kilomètres, la motivation est très forte et la situation, extrêmement claire. Son travail, c’est de convaincre le médecin que sa décision est la bonne. Le malade décide ; le médecin consent », explique François Damas, qui affirme refuser 25 à 30 % des demandes, dans les cas de pathologies psychologiques et sociales notamment, comme la schizophrénie ou la bipolarité.
Pour examiner la demande d’Olga, une commission s’est réunie autour du professeur, composée d’un psychologue, un neurologue, un docteur et une infirmière de soins palliatifs, qui ont tous suivi Olga lors de quatre jours d’hospitalisation, à la fin août. La décision finale est toujours prise collectivement en accord avec les proches. « Je ne veux pas transformer un malheur en un autre malheur », insiste François Damas.
Outre cette décision collégiale, l’euthanasie effectuée dans le cadre de la loi belge requiert trois conditions : être atteint d’une maladie incurable et grave, éprouver une très grande souffrance, et faire la demande claire, répétée et lucide à un professionnel de santé.
En France, la loi Leonetti de 2005 prévoyait que les médecins devaient s’abstenir de procéder à toute obstination déraisonnable quand les actes « apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ».
La loi Claeys-Leonetti de 2016 a élargi les droits du patient, affirmant que « toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement », la nutrition et l’hydratation artificielles constituant des traitements. Le médecin n’est pas tenu de tout faire pour convaincre son patient de s’alimenter ; il « a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité ». Une sédation profonde et continue est alors mise en place jusqu’au décès.
Cette loi indique aussi que les « directives anticipées » (soit les volontés écrites d’une personne quant aux soins qu’elle veut recevoir) s’imposent au médecin, qui n’était tenu, auparavant, que de les consulter.
Le président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) estime que le patient n’est toujours pas assez pris en compte en France. Jean-Luc Romero-Michel dénonce en effet « une loi faite par des médecins pour des médecins », et un recul par rapport à la loi de 2005, qui autorisait la sédation pour des patients « en phase avancée ou terminale », alors que la loi de 2016 ne parle que de phase terminale. « Avant, c’était beaucoup plus flou, on pouvait demander une sédation profonde alors qu’on n’était pas à l’agonie. »
Pour Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), médecin en soins palliatifs à la polyclinique Le Languedoc, à Narbonne, la loi est au contraire justement adaptée à la pratique : « Dans la vraie vie, le médecin intervient quand un patient cesse de s’alimenter. S’il y a de la douleur, on va la soulager. La demande d’euthanasie est un choix qui s’entend, mais ce n’est pas juste de dire que l’on va laisser souffrir quelqu’un plusieurs jours. »
Comme l’ADMD, Claire Fourcade dénonce néanmoins un manque criant de moyens pour les soins palliatifs en France : « On attend un nouveau plan depuis presque deux ans. 70 % des patients ayant besoin de soins palliatifs n’en reçoivent pas. Un pays ne peut pas, à la fois, ne pas légiférer sur l’euthanasie et ne pas prendre soin des gens en fin de vie. »
Trois pays autorisent l’euthanasie depuis plus de dix ans : les Pays-Bas (2001), la Belgique (2002) et le Luxembourg (2009). Depuis 2001, la Suisse a légalisé le suicide assisté : le malade s’administre lui-même la dose létale, accompagné d’un médecin. Même principe dans neuf États américains, à la différence près que la personne doit être seule dans la pièce.
Plus récemment, la Colombie a autorisé l’euthanasie (2015). En 2016, le Canada a légalisé l’aide médicale à mourir (AMM), qui regroupe euthanasie et suicide assisté. En Australie, enfin, deux États ont encadré l’euthanasie (Victoria, depuis 2019) et l’aide active à mourir (l’Australie-Occidentale, à partir de 2021).
Partout, le débat reste passionné. Contrairement au médecin et romancier français Martin Winckler, qui écrit que « l’euthanasie est un acte de soin », Claire Fourcade veut rappeler que « la médecine a considéré, avec le serment d’Hippocrate, que ce n’était pas son rôle de donner la mort ».
Chez les médecins, une enquête Medscape réalisée en 2020 montre que 42 % d’entre eux se déclarent en faveur de l’euthanasie ou du suicide assisté, 29 % contre, et que 29 % préfèrent y répondre au cas par cas. Claire Fourcade appelle à sortir des positions caricaturales : « Les médecins généralistes font face à très peu de situations de soins palliatifs par an, trois en moyenne. Chez les 10 000 soignants en soins palliatifs de la SFAP, il y a un consensus contre l’euthanasie. » Et d’alerter : « Elle est voulue par des gens forts pour des personnes fragiles que l’on soigne. L’inversion de la norme qui impose au patient de choisir l’euthanasie se fait plus vite qu’on ne le croit. »
« Les opposants à l’euthanasie jouent sur les mots, rétorque Jean-Luc Romero-Michel. Les médecins font des gestes actifs pour endormir quelqu’un qui va mourir, par exemple mettre une sonde gastrique. C’est d’une hypocrisie incroyable. Il n’y a pas de principe supérieur dans une république qui vous oblige à mourir le plus tard possible et dans la douleur. »
En choisissant le moment et les conditions de sa mort, Olga a transformé sa colère en dignité.
Source :
« MEDIAPART » par Sarah Boucault 30.09.2020