Ne pas avoir de loi du tout est-il mieux que d’avoir une loi imparfaite ? C’est la question que se posent une poignée de sénateurs devant décider ces jours-ci s’ils adopteront ou pas le projet de loi du gouvernement Trudeau sur l’aide médicale à mourir. Certains trouvent la législation si imparfaite qu’ils préféreraient ne pas l’adopter et ainsi rater l’échéance du 18 décembre fixée par les tribunaux. D’autres pensent que ce serait irresponsable d’agir ainsi.
Les lois canadienne et québécoise sur l’aide médicale à mourir ont été invalidées en 2019 par la juge Christine Baudouin de la Cour supérieure du Québec au motif que le critère de mort raisonnablement prévisible ou de fin de vie qu’elles contiennent respectivement n’est pas constitutionnel. Le tribunal a donné jusqu’au 18 décembre à Ottawa pour remanier sa loi.
Le gouvernement a répondu par un projet de loi (C-7) instaurant un processus distinct de demande pour les personnes malades n’étant pas en fin de vie. Elles devront notamment attendre au moins 90 jours avant que leur demande ne soit exécutée, question de s’assurer qu’elles n’ont pas changé d’avis entre-temps. Le C-7 interdit aussi aux personnes dont la seule maladie est d’ordre psychologique d’avoir accès à l’aide à mourir. Ce sujet sera abordé l’année prochaine, lors de la révision statutaire devant être faite du cadre légal dans son ensemble.
La Chambre des communes est sur le point de terminer son étude du C-7. Mais le Sénat, pour ne pas rater l’échéance du 18 décembre, a déjà entamé la sienne et fera des recommandations préliminaires cette semaine. Or, certains pensent qu’on devrait simplement laisser mourir le projet de loi.
C’est le cas par exemple de la sénatrice québécoise Renée Dupuis. « Avec ce qu’on a entendu, à mon avis, ce qui devrait être fait, c’est de mettre en suspens le C-7 et procéder immédiatement à la révision de la loi. »
Ce qui a été entendu, c’est notamment le témoignage du professeur de droit de l’Université de Montréal, Stéphane Beaulac. Il a suggéré au Sénat d’imposer son veto législatif au C-7. « Il y aurait alors un vide juridique » au Québec, a-t-il expliqué. La portion invalidée de la loi fédérale ne s’appliquerait plus dans la province, tout en continuant de s’appliquer dans le reste du pays. « Des vides juridiques, il y en a toujours eu en droit canadien et, si je peux me le permettre, la Terre n’a jamais arrêté de tourner », a-t-il dit. Le sénateur Claude Carignan est lui aussi sensible à l’argument de M. Beaulac.
Le professeur Beaulac a plaidé le fait que le jugement Baudouin « n’était qu’une petite décision d’un tribunal inférieur du Québec » et qu’en laissant un vide juridique, la jurisprudence se bonifiera du fait que d’autres personnes non mourantes, mais souffrantes ailleurs au Canada s’adresseront aux tribunaux pour obtenir elles aussi le droit de mourir.
C’est précisément ce qui dérange la sénatrice Chantal Petitclerc. « Le vide juridique se défend peut-être intellectuellement, mais je ne suis pas confortable avec ça », dit-elle au Devoir. En l’absence de balises législatives claires, elle craint des débordements ou, au contraire, une trop grande frilosité de certains médecins à administrer la mort à des personnes n’étant pas en fin de vie. En outre, elle estime inhumain de forcer les malades du reste du pays à continuer de se battre devant les tribunaux pour obtenir une invalidation dans leur province.
Le sénateur Pierre J. Dalphond, qui pense le C-7 inconstitutionnel parce qu’il exclut les personnes atteintes de maladie mentale, n’est quand même pas d’accord pour tuer C-7. « Laisser des vides et des ignorances, en théorie c’est possible, mais en pratique, je ne suis pas sûr d’être favorable avec ça. » L’ancien magistrat pense qu’il serait préférable de demander une nouvelle prolongation de délai à la Cour supérieure et continuer une analyse du C-7 sans être dans l’urgence.
Source :
« Le Devoir » Hélène Buzzetti correspondante parlementaire à Ottawa 02.12.2020