Le droit à l’euthanasie est réclamé par des parlementaires et de nombreux Français. Les aménagements législatifs ne suffisent apparemment plus.
Ce 8 avril, l’Assemblée nationale débat, après le Sénat, sur une fin de vie libre et choisie. Jack Dupuis, d’Exoudun (Deux-Sèvres) dénonce les arbitrages politiciens d’un débat récurrent (1) : « J’ai accompagné des proches en Ehpad pendant des années, j’y ai vu des morts-vivants, les mêmes pendant des années. Je peux citer l’exemple de la mère d’un ami rentrée en 2004 à la maison de retraite, je l’ai toujours vue dans la même position, immobile dans son fauteuil roulant, ayant perdu l’usage de la parole, Je l’ai côtoyée pendant plus de dix ans, elle est décédée en 2021. J’ai le souvenir de ma mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, les mains attachées sur son lit parce qu’une dermatose lui rongeait le corps… en la quittant j’avais l’impression d’être un bon à rien, un inutile un lâche. Je me souviens de cette personne traumatisée par la fin de vie atroce de l’un de ses parents, qui disait que pour la fin de vie de son chien elle était allée chez le vétérinaire, le vétérinaire avait soulevé la patte du chien pour faire une injection et il s’était endormi… la comparaison est primaire, voire nulle ! Mais au nom de quelles considérations éthiques, religieuses, philosophiques, politiques ou autres faudra-t-il encore attendre des décennies pour obtenir cette liberté ultime ?
Le 11 mars, la proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité a été repoussée par le Sénat. 96 % des Français sont favorables à cette loi, ainsi que 71 % des médecins, mais apparemment moins de 50 % pour les sénateurs et les élus en général !
Quand on fait de la politique en France (ailleurs, probablement aussi…) on ne vote pas pour une loi on vote pour le parti qui la soutient, et si on n’appartient pas à ce parti on vote contre, même si c’est une bonne loi, et c’est pourquoi il n’est pas rare de voir des parlementaires voter contre leurs convictions… C’est sans doute par courage !
Depuis des dizaines d’années, on parle du droit à mourir dans la dignité, droit qui nous concerne tous. Pourquoi n’aurions-nous pas la liberté d’intervenir sur ce moment-là aussi ? Cette loi n’oblige personne, elle permet un choix pour ceux qui le désirent, un choix personnel, qui n’implique pas autrui. Ceux qui refusent ce choix peuvent ignorer cette loi, n’ayez pas peur on ne va pas « tuer les gens »… genre d’arguments qui est parfois développé !
Celle ou celui qui ferait passer une telle loi, laisserait son nom dans l’histoire, comme Simone Veil pour la loi sur l’IVG, et François Mitterrand, le président qui a aboli la peine de mort « .
Chez les voisins européens
Jacques Compain, de L’Isle-Jourdain (Vienne) : « Avant élection, les candidats nous ressassent vouloir respecter la volonté populaire. Une fois élus, cette promesse est vite classée aux oubliettes. La preuve avec le droit de mourir dans la dignité, souhaité par 90 % des Français. Il existe au Bénélux depuis quinze ans(**) Rien d’anormal n’a été constaté. De plus en plus de pays adoptent ce droit à l’euthanasie. Hélas, chez nous, certains craignent de ne pas pouvoir remplir leurs établissements spécialisés. Le droit de mourir dans la dignité est un droit fondamental qui devrait être inscrit dans la constitution. Sur ce dossier comme tant d’autres, le conservatisme de nombre de décideurs est regrettable ».
Damien Desserre, Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire) : « Après les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, l’Espagne est devenue le quatrième pays européen à légaliser l’euthanasie et le suicide médicalement assisté pour les personnes souffrant de maladies graves et incurables. À quand le tour de la France ? Toutes les enquêtes d’opinion indiquent qu’une large majorité de Français y est favorable. Qu’attend-on pour faire évoluer la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie ? Pour ma part, je considère qu’une société qui admet l’euthanasie gagne en humanité et en liberté. ».
Ne pas souffrir…
Pierre Guillon, de Naveil (Loir-et-Cher) : « Dans Paris-Match, Françoise Hardy dit que “ quand mon état de santé sera insupportable, je n’aurai pas le soulagement de pouvoir me faire euthanasier ”. La France est inhumaine sur ce plan. J’ai connu cela avec ma mère qui souffrait, messieurs les députés agissez ! Si on me le demande, je ferai… à 93 ans je n’ai plus rien à espérer ».
Jacqueline Nicolas, de Langon-sur-Cher (Loir-et-Cher) : « En France, si l’euthanasie passive est tolérée depuis la loi Léonetti de février 2016, l’euthanasie active y est en revanche toujours illégale. La loi française se positionne clairement contre l’obstination déraisonnable du corps médical et la prolongation artificielle de la vie du patient y compris lorsque ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté. Chaque être humain atteint d’une maladie incurable ou plongé dans le coma devrait bénéficier d’une fin de vie dans la décence et la respectabilité de sa personne. Les soins palliatifs existent mais ne sont pas suffisants, ils ne font qu’atténuer les douleurs des malades qui meurent généralement seuls à l’hôpital et bien souvent dans d’insupportables souffrances physiques et psychologiques. Les patients qui le souhaitent et dont le trépas est proche devraient pouvoir demander l’arrêt des traitements et prétendre à l’euthanasie active. En accord avec les médecins et strictement encadrée et accompagnée, celle-ci pourrait être réalisée, dans un lieu apaisé, voire familier, en présence de la famille. Durant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron expliquait qu’il « ne se précipiterait pas pour légiférer sur le sujet » mais peut-être devrait-il y penser un peu plus sérieusement avant la fin de son quinquennat. Pourquoi ne pas organiser un référendum national portant sur la question : « Etes-vous favorable à l’euthanasie active ? ». A mon sens, ce débat ne relève pas d’une quelconque morale ou religion mais plutôt de la dignité humaine et de la liberté de choix dont dispose tout un chacun pour mener sa vie comme pour prévoir sa mort. La mort n’est pas un tabou, elle fait partie de la vie et comme disait Pierre Corneille dixit« Chaque instant de la vie est un pas vers la mort ».
(1) Dialogue des 1er mars ; 11 décembre, 21 octobre, 11 juin 2020.
Jurisprudence
Jacques Compain, de L’Isle-Jourdain (Vienne) : « Dans la Vienne, le pouvoir judiciaire vient d’infliger une leçon au pouvoir législatif en faisant bénéficier d’un non-lieu une personne qui a aidé une proche qui le réclamait, a en finir avec la vie. Cette jurisprudence devrait inciter certains parlementaires à mettre leur conservatisme au vestiaire et à aligner notre législation sur celles de nos voisins. Pour se justifier, nombre d’élus se retranchent sur les soins palliatifs pour se donner bonne conscience. Notre retard dans ce domaine est comparable à celui des vaccins…Ces soins palliatifs ne font que proroger la souffrance. Halte à l’hypocrisie ».
(**)Note du Choix : Aux Pays-Bas en 2001, en Belgique en 2002 et au Luxembourg 2009
Source :
« La Nouvelle République .fr » – Christophe Boutin (Tours) – 01.04.21