Alors qu’une proposition de loi portant sur la fin de vie est débattue ce jeudi à l’Assemblée, un collectif de citoyens témoigne de l’imposture de la loi Claeys-Leonetti.
par un collectif de citoyens
Certains relatent les derniers jours épouvantables de leur proche, mais leurs témoignages restent isolés. Ensemble, nous témoignons et rompons le silence.
Moi, Elisabeth, j’ai vu mon bien-aimé se réveiller en étouffant d’une sédation qui n’en n’était pas une. Je ne peux oublier sa suffocation, l’air qu’il cherchait dans son ventre et ses côtes, son regard implorant, l’abandon dans lequel le réseau de soins palliatifs nous a laissés, seuls à domicile, en ce mois d’août. Refusant de croire ce que je leur décrivais au téléphone, ils me rétorqueront : «Soulager plus, ce ne serait pas éthique !» Aucun soignant de ce réseau de soins palliatifs ne se déplacera. Ils ne mobiliseront personne pour nous aider. Ils me diront plus tard avoir cru que j’exagérais intentionnellement la description de la détresse respiratoire de mon mari. La veille, en effet, ils étaient revenus unilatéralement sur la décision d’une sédation profonde pourtant déjà actée collégialement. De l’ultime «au revoir» que nous rêvions à l’aune de notre amour, ils ont fait un champ de massacre.
Lettres sans réponse
Des femmes, des hommes, les signataires de cet article, ont eu le courage de témoigner : lettres sans réponse au président de la République, au ministre de la Santé, à un député, au directeur d’un hôpital… Certains ont même vu leur article publié ou leur témoignage entendu sur un plateau de télévision. Eux, moi et combien d’autres gardent en tête et au cœur la souffrance de leur proche, leur sentiment d’impuissance. Impuissants face à l’hypocrisie de la loi Claeys-Leonetti derrière laquelle se sont drapées des équipes soignantes dont ils ont été alors les otages. Bien sûr, ces fins de vie cauchemardesques ne sont pas, heureusement, les plus nombreuses. Il y a de vrais soignants, humains, capables d’entendre et soulager les souffrances de fin de vie.
Mais nous ne pouvons effacer ces images épouvantables : gémissements, sondes arrachées, regards suppliants, corps décharnés et déshydratés, escarres qui font crier à la moindre mobilisation, refus d’entendre les signes de détresse respiratoire, refus d’endormir l’être aimé «pas encore assez proche de son ultime agonie»… Dans ces fins de vie, une lecture tatillonne de la loi et de ses conditions d’application, la peur d’une dénonciation pour délit d’euthanasie et parfois des convictions idéologiques non énoncées clairement ont assigné mourants et familles à des souffrances inhumaines et des agonies interminables… Nous nous sommes promis de témoigner. Plus jamais ça pour d’autres !
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On ne peut rendre le corps médical coupable de tout, mais cette loi est une montagne d’hypocrisie. En brandissant le refus d’euthanasie, elle cautionne la lâcheté.
Lâcheté de nos gouvernants. Sourds et aveugles à la demande des Français de simplement « avoir le choix» d’une possible aide médicale à mourir, ils encensent les soins palliatifs en guise d’absolution.
«Euthanasie», le grand vilain mot
Lâcheté et hypocrisie des procédures. Minimiser la souffrance d’un malade, cela permet de ne pas y répondre. Endormir pour soulager, ne serait-ce pas flirter avec l’euthanasie ? Euthanasie, le grand vilain mot qui traîne derrière lui la peur de poursuites judiciaires par une famille, d’une dénonciation par des collègues (mais oui !), quand ce n’est pas un interdit religieux. Pour ceux-là, il vaut mieux ne pas entendre, parce que oui, même pour les soignants, la souffrance impossible à soulager, la mort, cela fait peur. Alors certains se cachent derrière les procédures impossibles de la Haute Autorité de santé, la dilution des responsabilités entre soignants, des convictions idéologiques non énoncées… Empêtrés dans une loi ambiguë, yeux et oreilles bouchés, ces soignants-là ont transformé la fin de vie de nos êtres chers en une litanie de cauchemars et tortures. Malgré concertations collégiales, fin de vie avérée, personnes de confiance… soins palliatifs ou pas. Et même souvent pire avec «un certain nombre d’experts en soins palliatifs» (1).
La loi Claeys-Leonetti abrite ces grandes et petites lâchetés. Elle ne nous protège pas. Il faut la changer. Il faut offrir à qui le demande en conviction le droit à une aide médicale à mourir. Il faut rendre les directives anticipées opposables aux médecins. Il faut protéger et accompagner les médecins qui accepteront de donner un dernier soin compassionnel à ceux qui le souhaitent.
Signataires : Elisabeth Condamines et Marie-France Blanchetière, Gisèle Brunel, Philippe Cadet, Christine Charpentier, Michel, Nicole et Elisabeth Crusellar, Isabelle Daillon, Henriette Dionnet, Marie-José Godart et Natacha Godart-Tepin, Cathy Giambra, Elsa Jossilévitch, Laurie Larcher, Marion et Franck Noury, Sylvette Joyeux, Denis Labayle, Véronique Mathieu, Renée Moriconi, Claudette Pierret, Evelyne Reberg, Elisabeth R., Geneviève Sergeant, membres de l’association le Choix, qui milite pour une mort choisie.
(1) La sédation profonde et continue jusqu’au décès en France, deux ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), 2018, 64 pp ; p. 46 et 54.
Source :
« Libération » (édition numérique) 08.04.21