Chère Françoise, collègue éminente et amie (qui comprendra, je l’espère, le sens profond de ma démarche compte tenu de nos expériences passées),
Mon époux, le Pr Jean-Claude Roujeau, atteint d’une maladie incurable en l’état actuel des connaissances, est mort ce mercredi 3 mars 2021 à Bruxelles à la suite d’une euthanasie. Il en avait décidé ainsi dès l’annonce du diagnostic il y a trois ans.
Cette décision, mûrie avec discernement et volonté réitérée auprès du corps médical durant ces trois années, s’est heurtée à l’impossibilité, pour nos collègues français à qui nous nous sommes adressés, de l’aider à la réaliser. Nous avons compris bien sûr leur position compte tenu du cadre législatif actuel qui leur impose le refus de soulager certains malades qu’on ne peut ni traiter ni guérir. Compte tenu aussi peut-être de leur position personnelle. Nous nous sommes donc tournés par défaut vers la Belgique.
Je suis moi-même médecin hospitalier. Dans notre pratique professionnelle (que l’on soit hospitalier ou libéral), il a pu arriver à certains d’entre nous de pratiquer un geste d’euthanasie. Le mot fait peur mais la pratique en conscience de notre engagement auprès de chaque malade a pu nous conduire à prendre une telle décision après avoir été à son écoute quand lui et nous savions l’impasse proche ou à venir dans laquelle il se trouvait. Chaque situation est particulière, chaque souffrance, chaque écoute le sont aussi, chaque demande reste celle d’un et un seul malade qui aura pu exprimer sa volonté via ses directives anticipées ou le dialogue avec son/ses médecin(s). Chaque décision d’aider ou non à mourir est ensuite pour nous le fruit d’une expertise froide et objective de sa situation médicale et d’un combat intérieur personnel entre humanité et… humanité.
« Au regard des lois actuelles, nous sommes des meurtriers et devrions être inculpés. »
Peut-il y avoir qualificatif plus violent et plus offensant que meurtrier pour nous qui avons choisi le métier de ramener à la vie, de guérir ou à tout le moins de soulager quand nous ne pouvions guérir ? Soulager quand on ne peut ni traiter ni guérir, n’est-ce pas la règle fondamentale pour nous ? Ces actes sont-ils contradictoires avec cette règle fondamentale?
Mais au-delà de ces considérations déontologiques (oui j’ose ce qualificatif) et intimes, qui sommes – nous pour passer outre à la volonté réitérée, clairement exprimée et médicalement vérifiée d’une personne qui veut choisir quand et comment arrêter sa vie qu’elle considère entravée et abîmée ? Qui sommes-nous pour passer outre à cette ultime liberté qu’elle aurait de choisir (ou non) les modalités et le moment de son départ ? Personne, nous ne sommes personne, pas plus l’entourage que le médecin ou le législateur. On n’a qu’une vie, on n’a qu’une mort….
« Je passe sur la dérangeante hypocrisie qui est la nôtre en France de laisser en conscience
partir à l’étranger des malades français qui demandent cette ultime liberté. »
C’est d’une certaine façon accepter de faire de la politique ou de la médecine par omission (à l’image d’un mensonge par omission jugé moins grave par les menteurs professionnels qu’un mensonge actif). Même la très catholique Espagne refuse désormais de mentir par omission.
Enfin, ce dernier argument souvent mis en avant mais insuffisamment entendu mérite d’être rappelé. En demandant la légalisation de l’aide active à mourir, chacun doit bien entendre que cela n’enlève rien à ceux qui y sont opposés. Il s’agit d’une possibilité donnée qui viendrait s’ajouter et non remplacer, qui respecterait les positions intimes de chacun, qu’il soit opposé ou non à cette ouverture des possibles. A cet égard, il est bon de souligner que la réciprocité de tolérance sur la fin de vie n’est malheureusement pas envisagée par les opposants politiques, religieux ou spirituels à cette démarche.
Compte tenu de ces éléments, des années de débats, d’expertises et d’avis accumulés sur le sujet, il me semble qu’il existe désormais deux options concrètes : (i) soit les députés acceptent de ne pas rater ce virage qui leur/nous est offert en ce printemps 2021, (ii) soit il semblerait désormais opportun de proposer l’organisation d’un referendum (législatif, d’initiative partagée ou d’initiative populaire, je ne sais) sur cette question que l’on peut qualifier pour le moins de sociétale.
En tout état de cause, j’appelle les élus que vous êtes à plus de cohérence en adoptant une loi de tolérance sur la fin de vie.
Je vous remercie de tout cœur pour l’attention que vous porterez à ce courrier qui n’est que le reflet personnel d’une volonté beaucoup plus large que vous ne le pensez.
Le Pr Jean-Claude Roujeau aurait été fier et soulagé que son euthanasie exilée puisse contribuer (peut-être) à faire évoluer cette question.
Je reste disponible si souhaité.
Bien sincèrement
Dr Muriel Eliaszewicz Roujeau
Praticien hospitalier en retraite toujours active à l’Hôtel-Dieu Paris et autres lieux de soins
Chevalier de la légion d’honneur (distinction que je n’ai jamais mise en avant à ce jour, ce que je fais en cette occasion particulière où j’ai l’honneur de m’adresser à nos élus).
Bonjour à tous !!!
Comment est-il possible en France au XXl siècles de s’opposer encore et encore à une fin de vie honorable et humaine des lors qu’il n’existe plus de solution à la continuité de la vie !
Arrêtons cette hypocrisie politique et religieuse qui ne devrait en aucuns cas faire obstruction à la loi au droit de mourir dans la dignité et dans son Pays….
Notre corps comme notre vie nous appartient et il est bien dommage actuellement d’être obligé de s’exiler à l’étranger (quand on a les moyens financiers)loin de nos familles pour avoir le droit de mourir en paix et sans plus de douleurs…
L’Espagne a franchie le pas , il serai tant à la France de faire de même, la demande est là, la demande est importante depuis fort longtemps….
Je remercie l’association « Le Choix « de se battre avec nous et pour tous ceux qui le désirent et n’ont plus le choix !!!
Merci à l’équipe