Sophie Cadalen, psychanalyste et écrivain, nous fait ici la démonstration de ce qui devrait pourtant être une évidence, mais ne l’est pas, tant s’en faut. Prendre la décision de mettre fin à ses jours n’est pas une décision que l’on prend à la légère et il faut que nos dirigeants cessent de nous prendre pour « des enfants sans jugeote qu’il faut empêcher » …
Choisir sa mort parce que malade, parce qu’en fin de vie, parce que trop affaibli pour organiser un départ en douceur, et surtout « réussi » – eh oui ! n’en déplaise à ceux qui invitent au suicide « autogéré » : ce n’est pas si facile, et bien souvent raté – choisir d’être accompagné en toute légalité pour abréger une vie devenue invivable me paraît devoir être un droit fondamental dans une société libre et démocratique. Le choix, la possibilité du choix, étant justement le préalable à toute prétendue liberté, à toute responsabilisation revendiquée, à ce qui en psychanalyse définit le sujet.
Je ne plaiderai pas ici en faveur du droit à la dignité, jusque dans la mort, une qualité qui distingue l’humain de l’inhumain. D’autres l’ont fait déjà, et magnifiquement.
Ce qui me frappe, dès qu’est évoquée la possibilité – en certaines circonstances – d’organiser sa fin, est la peur qu’ont ses détracteurs que chacun en use et abuse. Qu’à être autorisé et aidé à mourir, un grand nombre de malades, d’handicapés, choisissent allègrement et sans y réfléchir cette « facilité ». Comme si ces adultes en souffrance étaient des enfants inconséquents. Comme si mourir n’était pas la peur la plus partagée. Comme si décider de mourir pouvait être léger…
Je pense évidemment à toutes ces avancées, d’abord empêchées par ces mêmes peurs. Ces peurs du choix, de ce que chacun en ferait, ces peurs de ne plus « tenir » les individus, et de l’anarchie qui s’en suivrait.
Si les femmes pouvaient faire l’amour sans faire des enfants, le monde deviendrait une vaste partouze, et l’humanité s’éteindrait de ne plus se reproduire. Voilà ce qui était agité par les gardiens d’un ordre moral et considéré comme immuable. Voilà ce qu’ils pensaient des femmes : des sous-êtres incapables de s’assumer, qu’il fallait tenir sous le joug du mâle dominant car responsable.
C’est encore la façon dont trop de dirigeants considèrent les personnes pour lesquelles ils sont censés œuvrer et légiférer: comme des enfants sans jugeote qu’il faut empêcher. Et ne pas trop écouter.
Avoir la possibilité de mourir dignement, d’y être aidé, ce n’est pas décider de mourir. C’est pouvoir, en des circonstances forcément douloureuses, envisager un autre chemin. Et ce sera, souvent, choisir la mort telle qu’elle s’annonçait, car il est surprenant comme – quoi qu’on en croie – on veut vivre malgré tout et le plus longtemps possible.
Sophie Cadalen
14 avril 2021