Ce n’est pas tous les jours que nous sortons de notre anonymat. Sur ce sujet, c’est un devoir, tant les enjeux de société sont importants.
Fondateur de Mr Mondialisation, je suis atteint d’une maladie génétique orpheline, sans traitement existant. 3 millions de Français sont concernés. Si tout le monde doit mourir un jour, certains savent exactement la manière dont la maladie les emportera. Et c’est rarement une jolie histoire qu’on raconte aux enfants. Soyons crus. Que celui qui veut s’étouffer dans ses poumons en crachant du sang dans une longue agonie lève la main. Pas tous en même temps…
Mais si ce n’était que ça. Les mots, le cinéma, les images, rien ne peut remplacer l’expérience individuelle. Nous sommes, chacun, seuls face à la mort et seuls nous devrions pouvoir décider de la manière dont nous quittons le monde.
Conscient de cette réalité depuis mes 16 ans, j’ai voulu transformer cette fatalité de l’existence en énergie créatrice, en volonté d’utiliser ce temps de vie offert d’une manière la plus juste et désintéressée possible. Je n’ai pas peur de mourir, mais jamais je ne laisserai la maladie ou la société m’en imposer la manière. Ceci est la dernière, la plus grande des libertés dont un être humain peut jouir. Si la vie est une fête, pourquoi sa fin devrait être nécessairement horrible et pitoyable ? Pourquoi persistons-nous à interdire aux individus le droit de mourir dans la dignité ? Au nom de quel dogme idéologique ? Religion ? Croyances obscures ?
Voilà la France, pays des Droits de l’Homme, toujours la première pour donner des leçons d’humanisme à la planète entière, incapable de considérer la fin de vie autrement que par le prisme de la souffrance imposée, préférant laisser des millions de citoyens agoniser souvent seuls, dans d’innommables plaintes qu’on se gardera bien de médiatiser comme elles sont : froides et insoutenables. Étrange, cette société qui censure, camoufle ou maquille la mort sur les écrans, mais s’assure que le supplice, bien réel, s’impose à chacun, surtout aux malades, comme aux plus pauvres, qui ne peuvent s’exiler pour mourir en paix. Tant qu’on n’est pas soi-même concerné, qu’on rêve encore de mourir “naturellement” dans son lit, vieux, bien entouré, un sourire aux lèvres, pourquoi se soucier des autres ? Voilà bien un réflexe qui définit notre époque.
Certains viennent forcément à évoquer l’Etat Naturel pour s’opposer au droit de mourir dans la dignité. Le fameux sophisme de l’appel à la Nature… Cette obligation morale évoquée depuis l’Antiquité pour que des hommes justifient les pires violences envers d’autres hommes. « Si la Nature est cruelle, pourquoi pas nous ? » Peut-être simplement parce que nous ne sommes pas une masse de chair, mais que nous sommes dotés de choix, d’éthique, de raison ? Peut-être que ces choix définissent qui nous sommes en tant qu’espèce ? Est-il naturel de déféquer sur un trône ? Est-il naturel de mettre un plâtre quand on se casse la jambe ? Est-il naturel de mettre au monde un enfant à l’hôpital plutôt que dans la forêt à même le sol ? Est-il naturel de chauffer sa maison pour ne pas avoir froid ? Bien loin est cette nature originelle de notre État Civil. L’appel à la Nature est tellement fallacieux qu’il ne devrait pas avoir sa place dans un débat rationnel et honnête. La Nature n’est pas bonne ou mauvaise par défaut. Elle propose des milliards de modèles interprétables à l’infini, desquels nous pouvons nous inspirer selon nos ambitions. Nous avons ainsi le choix, en pleine conscience, d’avoir des comportements qui peuvent limiter les vicissitudes de la vie partout où elles peuvent être limitées, à défaut d’être supprimées, tout comme nous pouvons demain décider de protéger collectivement l’environnement ou de réintroduire une espèce menacée, ce qui n’a pourtant rien d’actes naturels au sens idéalisé du terme. Mais n’imputons pas nos décisions morales à la « nature ».
Viennent ensuite la vindicte des réactionnaires et leurs commentaires abscons qui peuvent se résumer à : « vous n’avez qu’à vous suicider » ! Ils n’ont aucune âme, aucune empathie, aucun respect. Les malades veulent simplement arrêter de souffrir, avoir droit au repos, dire au revoir à leurs proches pendant qu’ils le peuvent encore, s’éteindre dans la dignité, si possible, entouré d’autres humains bienveillants. Et ceci doit nécessairement être assisté médicalement et encadré par des règles strictes, comme le font tant de pays Européens sans avoir basculé dans la dystopie eugéniste tant crainte.
La peur. Voilà ce qui anime les éternels réactionnaires qui veulent imposer leurs croyances aux concernés. En l’occurrence, refuser le choix individuel de mourir en paix, et imposer la souffrance à tous. Est-ce bien différent de l’homme voulant interdire l’avortement alors qu’il n’a aucun pouvoir sur le corps des femmes ? Est-ce bien différent des religieux extrémistes voulant dicter la “bonne sexualité” à toute une société, en éliminant tout ce qui sort de leur propre norme ? Est-ce vraiment différent des exploitations humaines ayant décidé de tout prendre pour elles et de sacrifier toutes les autres espèces dont elles s’approprient les vies ? Tous les progrès qui veulent diminuer les inégalités, les souffrances et les injustices génèrent de puissants mouvements réactionnaires fondés sur la peur d’un fantasme : perdre le privilège de la pensée dominante. Et cette peur n’est pas bonne conseillère.
De toute évidence, l’euthanasie n’est cependant pas un sujet à prendre à la légère. On les voit venir au loin, déjà, les amoureux de l’économie triomphante qui cherchent des moyens de se débarrasser des inactifs, des malades, des gens qui ne participent pas à la croissance. Les mêmes qui luttent contre la justice sociale, pour le maintien des inégalités mais surtout de leurs privilèges. Comment peuvent-ils encore se regarder dans un miroir. Jamais la mort d’un être humain ne peut se justifier par des motifs économiques, ou nous aurions perdu toute notre humanité, et par conséquent, le sens même du droit à une fin de vie juste.
Pour une fois, être à la traîne n’est pas une si mauvaise chose. La France ayant 20 ans de retard sur le reste de l’Europe, elle ne sera heureusement pas pionnière en la matière. Les études, les cas pratiques, les encadrements légaux existent à foison au niveau international et offrent une opportunité de créer un cadre novateur et respectueux des Droits Humains à l’euthanasie, qui prendra en considération les cas extrêmes et particuliers, de manière à faire barrage aux dérives. En Belgique comme en Suisse, les incidents sont infiniment rares, et ceux-ci peuvent tout de même être considérés pour élaborer un encadrement plus humain encore. Quand bien même, osons le dire, le fait de mourir reste une réalité bouleversante, que ce soit pour un être humain ou un animal. Tout être digne d’intelligence ne peut que souhaiter une seule chose à ses proches, ses parents, ses enfants, et toutes les créatures qui vivent sur terre : le droit de vivre et de mourir le plus dignement possible.
Tribune : https://www.liberation.fr/…/sils-savaient-la-realite…/