Difficile de trouver un consensus plus fort au Québec que celui entourant l’élargissement de l’aide médicale à mourir en cas d’inaptitude.
Ce ne sont pas moins de 85 % des personnes consultées par la Commission spéciale sur les soins de fin de vie qui se sont dits en faveur du droit à une demande anticipée en cas de trouble neurocognitif.
En effet, qui n’est pas hanté par la perspective de se perdre dans un dédale de démences et ainsi devenir prisonnier d’une vie qui dans les faits ne nous appartient plus, déconnectée de tout ce qui lui donnait un sens.
Et pourtant, l’empressement avec lequel nous sommes prêts à envisager une mort prématurée laisse songeur. Car peut-on vraiment dissocier la fuite vers l’aide médicale à mourir des conditions de vie de nos aînés en perte d’autonomie ?
Choix ultime
Choisir du moment et des conditions de sa propre mort est, certes, le geste le plus intime et conséquent de toute une vie. Un acte de réconciliation avec la finalité de notre vie sur Terre, de tous les rêves et aspirations qu’elle a portés, les combats, bonheurs et déceptions.
Choisir de renoncer à la souffrance d’une fin de vie indigne et désincarnée devient ainsi l’ultime geste de liberté.
N’empêche, se donner les moyens de choisir au préalable le moment où cette vie ne méritera plus les souffrances qu’elle impose demeure révélateur de notre perception de la vie.
Dans le contexte de l’Alzheimer et autres maladies dégénératives, l’aide médicale à mourir n’est-elle pas davantage un remède à notre peur phobique de cette perte d’autonomie ?
Dure réalité
La Commission conclut qu’il « appartient à chaque individu de déterminer ce qui lui apparaît comme une fin de vie digne et respectueuse de ses valeurs. »
Cependant, peut-on vraiment dissocier cette évaluation du sort que nous réservons à nos aînés ?
À ce doute, la commission répond que « même en présence des meilleurs soins et traitements, une personne qui a reçu un diagnostic de trouble neurocognitif devrait avoir la possibilité de choisir sa fin de vie. »
C’est vrai. Mais cette conclusion ne règle pas le fond du problème.
Le consensus autour des directives anticipées serait-il aussi fort au Québec, si nous n’étions pas hantés par la perspective de se retrouver en CHSLD, soignés par des inconnus plus ou moins empathiques, condamnés à un bain par semaine, privés de la coquetterie des jours heureux, nourris d’une gibelotte immangeable et trop souvent abandonnés de ceux qui ont façonné notre vie ?
Poser la question c’est y répondre, d’autant plus que la souffrance psychique est un facteur entièrement légitime dans l’accès à l’aide médicale à mourir.
Donc oui, poursuivons ce débat. Oui, offrons-nous la liberté de choix. Mais la seule façon dont ce choix sera libre et éclairé sera si nous transformons la manière dont nos établissements soignent nos aînés, et surtout la façon dont nous, individuellement, prenons soin de ceux qui ont façonné notre vie.
Source :
« Le Journal de Montréal » – Emmanuelle Latraverse – 12.12.21