Les responsables catholiques français défendent leurs convictions contre l’euthanasie, l’IVG, pour l’Europe et « l’écologie intégrale ».
Pour qui vont voter les catholiques de France à la prochaine élection présidentielle ? Beaucoup avaient suivi François Fillon en 2017, qui s’était appuyé sur les réseaux conservateurs de La Manif pour tous, mais la majorité (37 % selon un sondage Ifop-La Croix) donna ses suffrages à la liste macroniste aux élections européennes de 2019. Malgré les efforts désespérés de certains pour essayer de faire main basse sur cet électorat, tout le monde sait bien qu’il n’existe pas un seul vote catholique, pour la simple et bonne raison que le peuple de fidèles est constitué d’une mosaïque d’individus et de courants de pensée, ce que déjà l’évangéliste Jean résumait ainsi dans la bouche de Jésus Christ : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. »
Dans un sondage Ifop pour Le Pèlerin, paru le 21 octobre dernier, les catholiques ne sont ainsi que 23 % à déclarer que leur foi et leurs convictions religieuses peuvent les conduire à choisir un candidat plutôt qu’un autre. Tous les protagonistes essaient de capter ces électorats qui ont le sens du devoir civique. Éric Zemmour les traque comme un chien truffier, multipliant les génuflexions dans les lieux chrétiens, notamment lors de ce pèlerinage récent sur les terres vendéennes de son ami Philippe de Villiers, mais sa dernière sortie outrancière contre « l’inclusion » des élèves handicapés dans les établissements scolaires classiques risque d’en échauder plus d’un. Spontanément, la majorité des catholiques est plus à même de se tourner vers des candidats plus classiques, comme lors des consultations précédentes. Entourée de catholiques revendiqués (Bruno Retailleau, Michel Barnier, Gérard Larcher…), proche par ses racines de ces milieux, Valérie Pécresse est bien placée, mais la surenchère sécuritaire de la candidate LR risque d’en éloigner plus d’un également. Emmanuel Macron, l’ancien élève des jésuites et de Paul Ricœur, est susceptible aussi d’attirer ces suffrages, mais les visées affirmées progressistes sur la bioéthique de nombre de ses partisans peuvent freiner des élans. Enfin, il ne faut pas non plus négliger les votes vers des candidats comme Christiane Taubira ou Jean-Luc Mélenchon, qui mettent au premier plan les questions sociales, de jeunes « cathos de gauche ».
Les évêques de France se gardent bien de toute consigne de vote. Mais, comme à chaque échéance électorale importante, ils rendent public ce 18 janvier un texte pour souligner – avec « l’humilité » qui s’impose après la multiplication de scandales sexuels dans lesquels sont mis en cause des membres du clergé, comme ils l’indiquent d’entrée – leur vision du monde, et leurs points de vigilance en pleine campagne présidentielle, parce que « ces échéances électorales sont une occasion de débattre et de discerner dont les catholiques ne sauraient se désintéresser ». Ce document reprend en titre un extrait d’un verset de la lettre de saint Paul aux Romains, L’Espérance ne déçoit pas.
« Nous ne pouvons pas nous laisser enfermer dans l’amertume ou le découragement »
« La crise du coronavirus souligne avec brutalité les fragilités humaines et spirituelles de notre société, mais aussi sa grande capacité de rebond et de créativité, écrivent les évêques. Il y a en elle beaucoup de violences latentes qui s’expriment parfois malheureusement en paroles et en actes. Le risque de fracturation de notre communauté nationale tout comme la recrudescence des tensions internationales sont réels. La période électorale constitue une occasion pour chacun d’assumer mieux ses responsabilités à l’égard de tous. Nous ne pouvons pas nous laisser enfermer dans l’amertume ou le découragement. »
La réflexion des évêques se situe dans la droite ligne de la doctrine sociale de l’Église catholique, posée une première fois par l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII en 1891, et s’intègre à la pensée du pape François, telle qu’elle a été développée en 2015 dans l’encyclique Laudato Si sur l’écologie intégrale, et plus récemment dans son texte sur la fraternité, Fratelli tutti. Plaidant pour « la justesse éthique et la justice sociale », d’entrée, les chefs de l’Église de France réaffirment leur foi dans « le respect inconditionnel de toute vie humaine ».
Cible numéro 1 : le projet de loi sur l’euthanasie. « Comment ne pas être étonnés et profondément attristés de voir se conjuguer parfois, de façon totalement contradictoire, la tentation de l’euthanasie avec une certaine surenchère sanitaire. La voie authentiquement humaine, celle qui contribue en profondeur à la paix, ne peut consister ni dans l’acharnement thérapeutique ni dans le recours à l’euthanasie : elle exige le respect et l’accompagnement attentif et bienveillant de chaque personne à tous les stades de son existence. Il faut souhaiter un développement plus ambitieux des soins palliatifs dans notre pays : ce sera un signe clair qui parlera à tous. »
Autre débat qui fait rage dans les rangs parlementaires, et plus particulièrement entre les ailes gauche et droite de l’arc macroniste : l’élargissement du droit à l’avortement – proposition adoptée en seconde lecture par l’Assemblée nationale, le 30 novembre 2021. « La volonté d’allonger toujours davantage les délais d’autorisation d’interruption volontaire de grossesse constitue une violence de surcroît à l’égard de la société tout entière, en particulier à l’égard des personnes les plus fragiles ou handicapées. »
La protection de la vie, rappellent les évêques, alors même que le candidat Éric Zemmour vient de jeter le sujet sur la table présidentielle, englobe aussi « l’inclusion » des personnes handicapées. « À l’inverse, toutes les initiatives d’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde scolaire ou dans le monde du travail contribuent à la santé de l’ensemble de notre société. Le mot d’ordre biblique : choisis la vie (Deutéronome 30, 19) constitue également une salutaire maxime politique. »
Non sans malice, les évêques visent aussi à « promouvoir » la devise républicaine, liberté, égalité, fraternité – ils en font même le titre d’un chapitre – dans un contexte mouvant. « L’omniprésence des moyens numériques pose de nouvelles questions de respect des libertés, mettent-ils en garde. Il n’y aura pas d’égalité et de fraternité authentiques ni même de sécurité véritable et durable sans respect scrupuleux de la liberté des personnes. »
En condamnant à nouveau l’assassinat de Samuel Paty et de trois fidèles dans la basilique de Nice, ils affirment : « Chacun est libre de s’interroger sur les opinions et les représentations des autres, mais tous doivent s’interdire la dérision et l’humiliation destructrice. Les relations humaines nécessitent une forme de tact et celui-ci est le fruit de l’éducation. » C’est à cette aune que les évêques redisent leur foi en… la laïcité. À condition que celle-ci soit bien comprise et ajustée. « La laïcité à la française, structurée par une jurisprudence qui a toujours promu le respect, l’équilibre et le dialogue, ne peut être sacrifiée sur l’autel de la peur [ou, dans certains cas, de visées électoralistes], soutiennent-ils. Comme tous les citoyens, les croyants de toute religion sont tenus au respect de l’ordre public, mais n’ont pas à être suspectés a priori en raison de leur appartenance confessionnelle. »
Sinon, cela porte en germe un risque supplémentaire de « fragmentation de la société », danger pointé par les responsables catholiques dès les premières pages de leur document. « Le dénigrement systématique des cultes ne parvient qu’à susciter du religieux refoulé, potentiellement violent. » Les religieux s’inquiètent de la dérive du débat parlementaire sur le sujet. « Il est plus facile pour les législateurs de battre des religions à coups de formules à l’emporte-pièce que d’assumer pleinement les fonctions d’abord régaliennes et sociales de la puissance publique », glissent-ils.
L’urgence climatique et agricole est considérée par les évêques dans le cadre du concept d’« écologie globale » mis en avant par le pape François. « Nous, catholiques, disent-ils, ajoutons que l’écologie doit être intégrale. Elle ne comprend pas seulement l’environnement de l’humanité, mais aussi la manière dont l’humanité se traite elle-même. Comme l’affirme le pape Francois, l’écologie intégrale est inséparable de la notion de bien commun, un principe qui joue un rôle central et unificateur dans l’éthique sociale (Laudato Si, 56). Parmi les conditions sociales qui contribuent au bien commun et donc à l’écologie intégrale, il faut citer : le respect de la structure familiale et de la vérité de la filiation, la lutte contre la misère, l’habitat indigne et les conditions de vie dégradantes, le refus de tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine, y compris l’esclavage dont la pratique perdure en certains pays. Comment prétendre promouvoir la biodiversité sans respecter au premier chef la dignité humaine dans toutes ses dimensions, notamment dans le domaine des recherches biotechnologiques ? Comment se réclamer du principe de précaution sans veiller à ne pas déstabiliser la condition humaine par des trucages juridiques ou des manipulations biologiques ? »
Dans un chapitre, La France n’est pas une île, ils réaffirment leur attachement à la construction européenne et leur souci de favoriser l’accueil des migrants plutôt que leur rejet, « les ponts plutôt que les murs », selon la formule popularisée par le pape. « La construction européenne, si emblématique d’un combat remporté contre les tentations d’affrontement et de guerre, doit être constamment revue pour ne pas tomber dans l’impuissance, la dérive libertaire, l’excès technocratique, le renoncement à promouvoir de vraies valeurs morales, au risque de contribuer à susciter des replis nationalistes. » La question ne peut être extraite d’un contexte global : « Plus généralement, notre pays doit prendre en compte la montée en puissance démographique, technologique et économique de l’Asie et de l’Afrique. »
On aura trop souvent souligné la tentation arrogante et « hors sol » des dignitaires catholiques pour ne pas être touchés par ce texte humble, dense, précis, dont le but est de lancer des débats sans (trop) viser aux sermons. Dans le fracas politico-médiatique, alors que l’Église est enlisée dans une crise de gouvernance et d’identité, la voix des évêques mérite attention. « Nous ne sommes pas tiraillés entre notre identité de croyants et notre identité de citoyens parce qu’elles ne se situent pas sur le même plan », écrivent-ils. Cette dimension spirituelle mérite aussi de se faufiler au milieu des « punchlines » auxquelles se réduit désormais le débat public.
Source :
« Le Point.fr » – Jérôme Cordelier – 18.01.22