Reportage
Légale depuis le 1er janvier dans le pays, l’assistance au suicide reste difficile à mettre en œuvre et reste loin de faire consensus. Les établissements catholiques s’y opposent.
Le suicide assisté est autorisé en Autriche depuis le 1er janvier 2022 pour les personnes majeures atteintes de maladies incurables ou graves et permanentes.
Nikola Göttling se dit « partagée » entre satisfaction et déception. Cette Viennoise de 51 ans s’est battue pour que l’assistance au suicide soit autorisée en Autriche. C’est chose faite : depuis le 1er janvier, les adultes de plus de 18 ans atteints de « maladies incurables » ou « graves et permanentes avec des symptômes persistants dont les conséquences affectent durablement la personne concernée tout au long de sa vie » peuvent obtenir une aide afin de mettre fin, elles-mêmes, à leur jour.
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Parmi les conditions, se soumettre à un entretien avec deux médecins, dont un spécialisé dans les soins palliatifs, être jugé capable de prendre une décision seul, et attendre douze semaines avant d’obtenir un produit létal en pharmacie.
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Un texte passé à contrecœur
Ce changement de législation a été rendu nécessaire après que la Cour constitutionnelle, en décembre 2020, a jugé contraire au « principe de libre arbitre » la pénalisation de l’assistance au suicide. Les juges avaient donné un an au gouvernement fédéral pour encadrer cette pratique. Approuvée le 16 décembre par l’ensemble des partis autrichiens, sauf l’extrême droite, la nouvelle loi reflète les tiraillements du gouvernement de coalition. Face à des écologistes plus ouverts sur la question, les conservateurs du parti ÖVP, proches de l’Église catholique, ont voulu encadrer au maximum un texte qu’ils ont passé à contrecœur.
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Ce sont les garde-fous mis en place qui suscitent les réserves de Nikola Göttling. « Il ne sera pas si facile de mettre ce droit en pratique », estime cette mère de deux enfants souffrant depuis 2003 de sclérose en plaques, une maladie dégénérative qui la contraint à se déplacer en fauteuil. « Je peux encore faire beaucoup de choses seule, mais je souffre en permanence et ne veux pas finir mes jours dépendante dans un foyer », raconte la neuropsychologue, contrainte de cesser son activité en 2013.
Elle souhaite pouvoir mettre fin à ses jours, le moment venu, mais constate les limites de la nouvelle loi. En janvier, elle a tenté d’obtenir les coordonnées de médecins prêts à aider. « Le conseil de l’Ordre n’a pas voulu me donner de noms. Si trouver de l’aide à Vienne, dans la capitale, s’avère compliqué, imaginez ce que ce sera dans les autres régions et à la campagne ! Sans parler de l’opposition des établissements catholiques », regrette-t-elle.
108 millions d’euros pour développer les soins palliatifs
Pour les institutions médicales catholiques du pays aussi, la nouvelle loi pose un défi d’ordre pratique. « Nous ne proposons pas d’aide au suicide », confirme Sabina Dirnberger-Meixner, porte-parole de Caritas Socialis, ordre féminin qui gère des établissements de soins à Vienne. « Nous entendons souvent des patients dire ne plus avoir envie de vivre et tentons de leur offrir le meilleur accompagnement possible. Mais nous ne pouvons pas nous opposer aux choix personnels », précise-t-elle, alors que selon la nouvelle loi, un « assistant à l’euthanasie » ne peut se voir refuser l’entrée d’un établissement, catholique ou non.
Entre tenants et opposants à l’assistance au suicide, un sujet fait consensus : tous soutiennent le nouveau programme de 108 millions d’euros destiné à développer les soins palliatifs et approuvé en décembre. « C’est un pas très important, car ces soins peuvent limiter les demandes de suicide assisté », estime Sabina Dirnberger-Meixner.
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Même réaction de la part du président de la Conférence épiscopale autrichienne. « En principe, nous ne pouvons pas être satisfaits de la nouvelle loi, mais nous reconnaissons les efforts déployés par le législateur pour protéger les gens de la précipitation et de l’erreur et pour ancrer les possibilités de prévention du suicide », a déclaré Mgr Franz Lackner, en décembre. D’après lui, la nouvelle loi pourrait néanmoins être « le premier pas d’une dynamique qui continuera à porter atteinte à la protection des personnes vulnérables ». En ligne de mire se trouve, entre autres, l’euthanasie active, qui reste interdite.
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Une pratique autorisée dans quatre autres pays de l’Union européenne
► Les Pays-Bas sont le premier État au monde à dépénaliser l’euthanasie et le suicide assisté, sous certaines conditions, en avril 2001.
► La Belgique leur emboîte le pas en septembre 2002, en dépénalisant l’euthanasie active, encadrée de façon très stricte. Elle devient, douze ans plus tard, le premier pays au monde à légaliser l’euthanasie des mineurs, sans limite d’âge.
► Le Luxembourg légalise l’euthanasie et l’assistance au suicide en mars 2009, en cas de situation médicale « sans issue », mais la pratique reste interdite pour les mineurs.
► L’Espagne devient, le 18 mars 2021, le quatrième pays de l’Union européenne à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté, lorsque le patient prend lui-même la dose prescrite.
Source :
« La Croix » – Delphine Nerbollier, à Vienne (Autriche) – 11.02.22