C’est un paradoxe qui s’éternise de septennats en quinquennats. Neuf Français sur dix sont favorables à l’euthanasie, et pourtant, contrairement à ce qui se passe dans bien des pays d’Europe, elle reste un tabou dans notre Hexagone. À chaque législature, on promet une réforme qui va tout changer et à chaque fois, la montagne accouche d’une souris. C’est à peine si le sujet a été évoqué au cours de cette campagne électorale, mise sous cloche par la pandémie, vérolée par des diatribes sur l’immigration, plombée enfin par la guerre en Ukraine.
Pourtant, on devrait pouvoir décider de sa mort comme de sa vie. Si ce n’est pas possible en France, c’est que depuis toujours, des lobbies d’inspiration religieuse font le siège du Parlement, brandissant leurs croyances : « la vie appartient à Dieu et Dieu seul peut la reprendre ». Encore un domaine où la laïcité est tenue en échec : du coup, les athées doivent subir la loi divine, et endurer la douleur « rédemptrice ». Et tandis que les gardiens des dogmes restent inflexibles, les croyants dans l’immense majorité sont les premiers à réclamer qu’on abrège, par charité, des souffrances inutiles.
On a cru pouvoir contenter tout le monde avec la loi Claeys-Léonetti. Qui veut préserver de l’acharnement thérapeutique, refuse l’aide active, mais instaure la « sédation profonde ». Celle dont on ne revient pas, certes, mais pendant combien de temps et à quel prix ? Celui d’une agonie lente, où l’on meurt de soif ou de faim ? Là encore, le mourant n’a guère le choix.
Il est grand temps que ce pays redonne leur dignité à ceux qui affrontent l’insupportable, avec le droit d’être aidé au seuil de la mort. Que ce soit en toute conscience, avec le suicide assisté. Que ce soit sur les derniers instants, avec l’euthanasie. Un parcours final qui doit être clairement défini par la loi et balisé par des directives anticipées. Une trajectoire où le consentement éclairé doit être permanent. Un moment qui doit être partagé avec les soignants, la famille, les proches. Un choix qui revient au final au malade et non au médecin.
La situation actuelle vis-à-vis de l’euthanasie rappelle celle qui existait autrefois, lorsque l’avortement était interdit. Ainsi, elle engendre une forme de délinquance : celle de ceux qui se donnent les moyens de contourner la loi, en se procurant sur internet par exemple, les barbituriques puissants qui permettront le moment venu, d’aider à partir un ami, un parent ou soi-même. Autre parallèle : avant 1975, on allait se faire avorter en Angleterre, aujourd’hui, on part en Suisse pour un suicide assisté. Dans les deux cas, il faut avoir les moyens : ainsi les plus aisés peuvent se payer une mort douce, pas les autres. Légaliser l’euthanasie est aussi une question de justice sociale.
Source :
« LA DEPECHE » – Dominique Delpiroux – 03.04.22