tribune
- Collectif
Pour ces six médecins oncologues de l’institut Curie, rouvrir le débat sur l’euthanasie comme le proposent certains candidats à la présidentielle, alors que la loi Claeys-Léonetti n’a pas été évaluée, est un non-sens. L’expérience montre selon eux que la demande d’euthanasie concerne très peu de malades en fin de vie.
Les médecins signataires de cette tribune sont tous responsables d’unités du département interdisciplinaire de soins de support pour les patients en oncologie (DISSPO) à l’Institut Curie.
L’euthanasie s’invite comme un thème de campagne de l’élection présidentielle, souvent sous la locution de « mourir dans la dignité ». L’euthanasie serait la seule façon de mourir dignement ? Il nous semble que « mourir dignement » se dévoile sous de multiples facettes parmi les citoyens. Tenant compte des particularités des pays, l’Europe ne statue pas. En son sein nous trouvons des législations diverses allant de l’interdiction la plus stricte à des euthanasies encadrées, comme c’est le cas aux Pays-Bas (2001), en Belgique (2002, élargie en 2014 aux mineurs), au Luxembourg (2009) et en Espagne (2021). En Italie, un suicide médicalement assisté a été autorisé fin 2021.
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Rappelons que l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme garantit le droit à la vie. Le droit à mourir n’est pas le versant négatif du droit à la vie. L’euthanasie est définie comme un acte par lequel un médecin met intentionnellement fin à la vie d’une autre personne à sa demande expresse. En France, l’euthanasie est considérée comme un homicide.
Soulager
L’assistance au suicide consiste à aider une personne à se suicider, notamment en lui procurant les moyens nécessaires. Elle est réalisée par des citoyens volontaires qui agissent au nom de leurs convictions. Elle a un coût et nécessite une anticipation : ce n’est pas lorsque tout va mal que l’on peut se décider. En regard, les soins palliatifs sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne, dont l’objectif est de soulager les symptômes – comme la douleur ou la difficulté à respirer – et d’accompagner la souffrance, psychique, sociale et spirituelle.
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La loi Claeys-Léonetti autorise une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès pour un patient atteint d’une affection grave et incurable afin « d’éviter toute souffrance » et de ne pas subir d’obstination déraisonnable, à sa demande. Les critères d’application sont stricts, le pronostic vital doit être engagé à court terme, et la personne doit présenter une souffrance réfractaire aux traitements. Cela signifie que tous les soins possibles ont été mis en œuvre, se sont avérés insuffisants ; et que cette souffrance est jugée insupportable par le patient. Cette sédation associée à un traitement contre la douleur est mise en œuvre dans le cadre d’une « procédure collégiale » et s’accompagne d’un arrêt de tous les traitements considérés comme pouvant prolonger artificiellement la vie, dont l’hydratation et la nutrition artificielles. Ce n’est pas la sédation qui conduit au décès, mais l’évolution naturelle et attendue de la maladie. L’intentionnalité de cette démarche est donc de soulager la souffrance.
Les sondages et la réalité
Les sondages nous montrent que les Français se positionneraient en majorité en faveur d’un droit à l’euthanasie ou suicide assisté. En revanche, notre pratique clinique, confirmée par les études scientifiques, nous apprend que rares sont les malades qui se positionnent ainsi. Des études (A. Boulanger, F. Guirimand) montrent que des malades, en situation d’incurabilité et qui bénéficient de soins palliatifs, sont pour la moitié d’entre eux opposés à la légalisation de l’euthanasie, tandis que plus de 80 % se prononcent en faveur d’une sédation telle que proposée dans la loi, et que la demande d’euthanasie concerne peu de malades : sur 2 157 patients hospitalisés en soins palliatifs, elle a concerné 3 % des personnes.
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Les questions que suscite la demande d’un « droit à la mort programmée », essentiellement portée par des bien-portants, sont nombreuses : elles renvoient à la temporalité de la mort, à « l’inutilité » de la personne malade, à la difficulté à accompagner un mourant. Le rituel ancestral de cet accompagnement s’efface au risque d’être remplacé par une demande technique à autrui – ici le corps soignant. L’évolution de la législation s’est faite vers l’autodétermination dans une vision libérale de l’individu autonome, indépendant de tous, maîtrisant sa vie et la fin de celle-ci. Mais quelles pressions ferait porter un droit à l’euthanasie sur des vies devenues « inutiles » ou difficiles à supporter pour leurs proches ? Que peuvent devenir les deuils après une demande d’euthanasie formulée pour un proche qui ne peut plus décider pour lui-même ? Dans son avis n° 63, le Comité consultatif national d’éthique rappelait qu’« il serait illusoire de croire que mourir et l’amélioration des conditions qui entourent cet événement puissent jamais constituer un bien, vers lequel se diriger de façon conquérante. Mourir reste une épreuve douloureuse et difficile ».
Inégalité d’accès aux soins palliatifs
Ouvrir le débat d’un « après » la loi Claeys-Léonetti, alors qu’elle n’a pas été évaluée, apparaît comme un non-sens. L’inégalité d’accès aux soins palliatifs ne doit pas être un motif pour lancer une discussion sur l’euthanasie. Au contraire, chacun devrait pouvoir bénéficier de ces soins : la formation des équipes médicales et le déploiement de ces soins sont reconnus comme un droit mais encore sous-employés et très peu expliqués aux citoyens. Il s’agit aussi d’étudier en toute humilité les demandes de mort anticipée, de reconnaître leur exceptionnalité et leur singularité, et d’y répondre avec les outils de la loi. Enfin, réinventer la place des personnes vulnérables et mourantes dans notre société, former les citoyens à l’accompagnement de leurs proches, ne pas être dépossédé de sa mort restent d’importantes questions sociétales plus philosophiques que médicales. On ne se débarrasse pas du sujet de la mort digne en l’abrégeant d’une injection létale.
Signataires :
Docteur Angellier-Lucchi, oncologue, soins palliatifs
Docteur Bouleuc, oncologue, soins palliatifs
Docteur Burnod, soins palliatifs
Docteur Dolbeaut, psychiatre, unité de psycho-oncologie
Docteur Renault-Tessier, éducation thérapeutique
Docteur Rollot-Trad, onco-gériatre
Tous sont médecins responsables d’unités du département interdisciplinaire de soins de support pour les patients en oncologie (DISSPO) à l’Institut Curie.
Source :
« La Croix » – 05.04.22