OPINION : après les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et l’Espagne, la France va peut-être à son tour envisager de légaliser l’euthanasie active, comme le souhaitent 96 % de Français. Il serait temps.
Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l’auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Face à la mort, nous sommes tous égaux ou devrions tous l’être, quels que soient nos origines, nos croyances, nos convictions politiques, notre milieu social. La faucheuse finit toujours par nous rattraper, mais certains meurent mieux que d’autres.
Au fil des progrès de la science, nous tendons à nous croire invincibles, immortels ; parler de la mort est un tabou dans une société attachée à la performance, au jeunisme, aux technologies. Et pourtant, nous risquons davantage qu’autrefois d’être atteints d’une pathologie lourde liée au vieillissement, qui nous condamnera à l’inertie, parfois à la douleur. Au point de se demander si on peut encore parler de vie, de survie, de sous-vie.
Si l’espérance de vie ne cesse d’augmenter (85,6 ans pour les femmes et 79,7 ans pour les hommes en 2019, chiffres Insee), l’espérance de vie en bonne santé (appelée également « espérance de vie sans incapacité ») ne suit pas la même cadence. Entre 2005 et 2019, elle n’a progressé que lentement, et même stagné ou reculé par périodes, pour s’établir à 64,6 ans pour les femmes et 63,7 ans pour les hommes (chiffres Insee et Drees).
Ainsi, il ne s’agit pas seulement de vivre, mais d’avoir l’ambition de bien vivre, dans des conditions supportables.
Le droit à une mort digne
Le long calvaire de Vincent Lambert qui, à la suite d’un accident, est resté durant douze années en état végétatif dans un lit d’hôpital du fait de l’acharnement judiciaire de ses parents traditionnalistes, a assené un électrochoc médiatique à l’opinion.
Des milliers de Français, horrifiés à l’idée de se trouver un jour maintenus en vie contre leur gré, coupés du monde, prisonniers d’un corps pétrifié, se sont empressés de rédiger leurs directives anticipées, permettant d’indiquer aux soignants en amont ce que l’on souhaiterait pour soi-même dans de telles circonstances. Celles-ci peuvent figurer dans notre dossier médical partagé.
Malgré cette prise de conscience, ils ne sont à ce jour que 14 % à avoir accompli cette démarche qui pourrait éviter bien des conflits et des tragédies.
De Vincent Humbert à Alain Cocq, en passant par Anne Bert, Line Renaud ou Françoise Hardy, des voix s’élèvent depuis près de vingt ans pour réclamer le droit de dire stop, de mourir dignement. Des voix qui savent de quoi elles parlent, contrairement à d’autres.
Les malades les plus déterminés n’ont pas d’autre option que de braver la loi pour se procurer des substances létales, au risque d’être interpellés. Ceux qui en ont les moyens sollicitent une coûteuse euthanasie à l’étranger, comme autrefois on courait s’y faire avorter clandestinement.
Les Français favorables à l’euthanasie
Année après année, les sondages confirment que les Français souhaitent massivement la légalisation de l’euthanasie active et/ou du suicide assisté, y compris chez les catholiques. Malheureusement, les gouvernements successifs se dégonflent – il n’y a pas d’autre mot – face à un sujet empoisonné dont ils savent qu’il va réveiller l’hystérie des mouvances antichoix qui n’attendent que ça.
À l’ère du conspirationnisme et des infox qui pleuvent en continu sur les réseaux sociaux, les détracteurs du droit à l’euthanasie véhiculent des propos anxiogènes pour nous convaincre qu’une réforme de la loi nous exposerait à être « débranchés » contre notre volonté si nous étions gravement handicapés ou inconscients au fin fond d’un mouroir. Ce qui est évidemment faux.
L’euthanasie passive qui s’inscrit dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti est une décision collégiale et très encadrée. Elle n’a pas vocation à tuer pour se débarrasser des plus fragiles. Des dérives sont toujours possibles, c’est pourquoi le consentement préalable du patient doit être une condition sine qua non.
Ces seniors qui choisissent leur mort
Ces contempteurs de l’euthanasie active prétendent que les chiffres n’en finissent pas de grimper dans les pays qui la pratiquent. En réalité, cette hausse est due au fait que les seniors sont (et seront) de plus en plus nombreux : une projection du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) estime que la planète comptera 3,2 millions de centenaires en 2050, contre environ 320 000 aujourd’hui.
La Belgique totalisait 2655 cas en 2019 (dont 39,3 % étaient âgés de plus de 80 ans), ce qui ne représente qu’à peine 2 % des décès sur l’année. En Suisse, le suicide assisté, qui est légal, représente aussi environ 2 % des décès, avec quelque 1300 cas annuels en moyenne. Un chiffre certes en hausse, mais loin de l’hécatombe que les antichoix agitent comme un chiffon rouge. C’est là que l’ancienne secrétaire d’État Paulette Guinchard a choisi d’aller mourir. Aux Pays-Bas, le chiffre atteignait 6126 cas en 2018, soit environ 4 % du total des décès.
La majorité des demandeurs souffrent de cancers ; les autres, de pathologies multiples, de maladies cardio-vasculaires ou neurologiques.
La loi Claeys-Leonetti pour une mort à petit feu
La loi Claeys-Leonetti est une barbarie qui laisse mourir à petit feu des patients désireux d’en finir en les privant d’alimentation et d’hydratation jusqu’à ce que mort s’ensuive, au lieu d’abréger leurs souffrances. Depuis 2016, la loi autorise qu’ils soient sédatés pour que la procédure paraisse un peu moins inhumaine.
Les ennemis de l’euthanasie nous rétorquent qu’il faudrait améliorer les soins palliatifs, alors qu’il s’agit de deux sujets distincts. Ils sont essentiels mais ne suffisent pas toujours. Les malades qui ne tolèrent plus d’être cloués dans un lit comme des légumes ou de souffrir le martyre ne réclament pas de soins palliatifs. Ils réclament le droit de mourir.
Comme le précisait le rapport 2016 de l’Institut européen de bioéthique de Bruxelles, dans « pratiquement tous les cas » de demandes d’euthanasie, « la souffrance physique exprimée avait engendré une souffrance psychique grave » et « les traitements palliatifs n’étaient pas en mesure de maîtriser cette souffrance de manière acceptable pour le patient », certains allant même jusqu’à refuser les soins.
Cette loi est également inadaptée aux malades n’étant pas en fin de vie mais qui ne supportent plus la lente dégénérescence physique ou mentale à laquelle les assigne une pathologie incurable, tels que la maladie de Charcot ou le locked-in syndrome. Seul le suicide assisté peut mettre un terme à leur supplice.
Comment une société civilisée peut-elle leur soustraire ce droit ? Notre corps nous appartient, nul ne peut s’arroger le pouvoir de nous confisquer notre libre arbitre. Nous avions pourtant cru comprendre que le nouveau monde, c’était aussi un peu cela : reprendre son destin en main. De même, ceux qui veulent livrer bataille jusqu’au bout contre la fatalité doivent être entendus et épaulés.
L’instrumentalisation politique de l’euthanasie
Par idéologie, par clientélisme, par rejet du progressisme, une poignées de députés LR ont déposé 3000 amendements afin de rendre mécaniquement impossible l’examen en une seule journée à l’Assemblée du projet de loi pour « le droit à une fin de vie libre et choisie » le 8 avril, et d’aboutir ainsi au rejet du texte. Et ce alors même que 270 députés de tous bords y sont favorables.
Cette instrumentalisation politique d’un sujet crucial, faisant fi du souhait des Français et ne se souciant pas de prolonger la torture de milliers de malades, est une honte absolue pour la droite républicaine, pour le gaullisme, hélas frelatés depuis quelque temps par des courants rétrogrades – on se souvient notamment que François-Xavier Bellamy avait comparé l’arrêt des traitements de Vincent Lambert à un « crime contre l’humanité ».
À ces outrances nimbées de digressions philosophiques, répondons, comme Sénèque, que « la mort la plus longue est la pire de toutes ».
Partisane de l’euthanasie active et du suicide assisté depuis de longues années, j’ai coutume de dire que l’agonie n’a rien de romanesque ni d’héroïque. L’agonisant est une carcasse décharnée, marbrée d’escarres, qui macère dans ses fluides et qui attend la délivrance, parfois sans plus pouvoir bouger, ni voir, ni entendre, ni déglutir, ni parler.
L’acharnement thérapeutique est une monstruosité. Sortons enfin de cette fascination malsaine pour le dolorisme, l’expiation, la déliquescence. Laissez-nous maîtres de notre mort.
Un article publié initialement le 8 avril 2021.
Source :
« Contrepoints » – Eloïse Lenesley – 07.04.22