C’est une question délicate qui ressurgit en cette présidentielle, celle de l’euthanasie et des soins palliatifs. La loi actuelle, qui refuse toute aide active à mourir, mais propose une sédation profonde pour éviter les souffrances de l’agonie, n’est parfois même pas appliquée. En raison notamment du refus de certains médecins, et de l’influence d’une société savante de soins palliatifs, trustée en partie par des cathos-tradis. Enquête. Exclu Web
Alors que le sociologue Charles Condamines est à l’agonie, le médecin des soins palliatif est revenu sur sa décision d’une sédation profonde pourtant actée collégialement, sans explication. Élisabeth Condamines, son épouse, a beau les implorer par téléphone, ils répondent : « Soulager plus, ce ne serait pas éthique ! ». « Il est parti en s’étouffant », nous raconte-t-elle encore bouleversée et révoltée, un an après. Pire, on lui dit ensuite : « On pensait que vous exagériez ses souffrances. »
Christine Pedotti, directrice de Témoignage Chrétien (trimestriel des cathos de gauche), nous confie aussi, qu’à la mort de sa mère, à l’hôpital, on refusait de lui administrer plus de morphine. « J’ai réalisé combien, dans les équipes de soignants, prévaut une culture de la naturalité de la fin de vie, un peu comme l’accouchement qui devrait se passer dans la douleur. » L’association « Le Choix, citoyens pour une mort choisie », s’est mobilisée via une manif samedi 2 avril et publie bientôt un recueil de témoignages, Le livre noir de la mort en France,** tous plus révoltants les uns que les autres et montrant combien la loi Claeys-Leonetti n’est pas appliquée, mais aussi qu’elle est insuffisante.
Que dit cette loi ? Elle vise à proposer des droits pour la fin de vie mais toujours en évitant une aide active à mourir. Une première version de 2005 proposait le « laisser mourir », c’est à-dire que le patient soit débranché de toute aide médicale (ni nourriture ni hydratation), au risque de mourir tout simplement de faim et de soif et de devenir un squelette. La loi a été révisée en 2016, pour insister sur la possibilité d’« une sédation profonde et continue » jusqu’au décès, pour les patients atteints d’une affection grave, et dont le pronostic vital est engagé à court terme. Elle a donné aussi plus de poids aux directives anticipées. Mais cette sédation, on le voit, n’est même pas toujours administrée, ou de manière extrêmement faible, des médecins étant réfractaires à un geste qui à leurs yeux pourrait accélérer la mort du patient. Au moment du vote de la loi, les tradi-catho d’Alliance Vita avaient d’ailleurs dénoncé ce qu’ils estimaient être une « euthanasie masquée ».
Une des explications à ces blocages réside peut-être dans l’influence d’une structure, peu connue du grand public, mais qui a pignon sur rue dans le domaine des soins palliatifs. C’est la Sfap, Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, sorte de société savante, seule interlocutrice du ministère. Ils sont 1 500 soignants à y adhérer, sur 10 000 de cette spécialité – pour autant la Sfap revendique représenter l’ensemble des acteurs des soins palliatifs et veut donner le la de la doctrine en la matière. Alors que les partisans de l’euthanasie n’opposent jamais soins palliatifs et droit à mourir dans la dignité, afin de permettre à chacun d’avoir le choix, la Sfap, dans toutes ses prises de positions, établit un mur infranchissable.
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Dans les statuts de la Sfap, il est mentionné explicitement que la mort est considérée « comme un processus naturel », et que les membres « se refusent à (la) provoquer intentionnellement ». « C’est précisément l’ADN des soins palliatifs », assume sa présidente, Claire Fourcade. Elle le dit clairement : « Soins palliatifs et euthanasie ça ne va pas ensemble, on ne peut pas à la fois accompagner et faire un geste qui tue. C’est un geste impossible pour la plupart des soignants. » Est-ce que cette prise de position peut les empêcher de mettre en œuvre une sédation profonde et continue ? Claire Fourcade assure que non, mais selon elle, ce type de sédation serait assez rare et peu demandé.
Les prises de positions de la Sfap sont assez proches de celles de l’Église catholique, en l’occurrence, protéger la vie jusqu’au bout, quelles que soient les souffrances. La Sfap est réputée être trustée par des ultra-cathos, même si Fourcade assure que ses membres sont représentatifs de l’ensemble de la société. Toujours est-il que plusieurs membres de la Sfap élus à des postes clés affichent leur appartenance à la religion catholique. Claire Fourcade a reçu d’ailleurs le prix de l’Académie catholique de France. Agatha Zielinski, à la tête du collège des usagers du système de santé et des personnalités qualifiées, est une sœur de la congrégation des Xavière, proche des Jésuites. Le chercheur et essayiste Tanguy Chatel, membre du bureau de la Sfap, est également membre du collectif « Soulager mais pas tuer », créé en 2015 et proche d’Alliance Vita. Les positions de la Sfap sont d’ailleurs si proches d’Alliance Vita que l’asso tradi catho relaye souvent les positions de la Sfap.
Cette opposition farouche à l’euthanasie est présente chez beaucoup de professionnels des soins palliatifs. La Sfap a lancé une consultation auprès d’eux, pour savoir si la loi devait évoluer. Résultat : « 96% des acteurs des soins palliatifs refusent l’euthanasie », nous assure Claire Fourcade, précisant que 60% des répondants n’étaient pas adhérents à la Sfap. La Sfap a lancé cette consultation après la proposition de loi d’Olivier Falorni, l’année dernière. « Ça a été pour nous un électrochoc », explique Fourcade. « La loi est passé à l’Assemblée sans que nous soyons consultés. » (Ce qui est faux puisque Olivier Falorni avait auditionné la société).
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Rappelons que le premier article, autorisant l’euthanasie, a été voté, mais son examen n’avait pas abouti, faute de temps, 3 000 amendements ayant été déposés par des députés LR pour faire obstruction. Autre question, lors de la consultation lancée par la Sfap : comment les acteurs des soins palliatifs réagiraient, si une loi autorisant l’euthanasie était votée ? Le verdict est assez incroyable : « 40 % démissionnerait, 80 % assurent que ce serait une source de division dans l’équipe. » On voit combien le combat pour une nouvelle loi se heurte au refus de ceux qui assurent les soins palliatifs. Mais c’est aussi le serpent qui se mord la queue : c’est la SFAP qui forme la plupart d’entre eux. D’ailleurs, la société est reconnue comme un organisme de formation, elle délivre plusieurs diplômes universitaires, des Masters, ainsi que des formations en ligne. Par ailleurs, elle gère les crédits alloués par la CNAM pour les redistribuer aux associations de bénévoles d’accompagnement en soins palliatifs.
« On confie à des ultra-cathos la gestion de la mort »
La Sfap n’hésite pas à « couper des têtes » pour placer ses soutiens. Lorsqu’en 2016, à la tête d’une autre structure, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), (une structure publique, qui dépend du ministère, NDLR), le profil de la présidente Véronique Fournier ne leur convenait pas – car ils la considèrent comme ayant des positions trop pro euthanasie ! – ils ont fait en sorte qu’elle soit démise de ses fonctions, de même que son successeur, le docteur René Robert. « Je pense qu’il y a eu pas mal de lobbying pour que la direction soit tenue par quelqu’un proche de la Sfap », nous dit-il. Médecin réanimateur, aujourd’hui à la retraite, il était confronté régulièrement à cette question. « Ma position n’est pas la même que la Sfap », souligne-t-il. « Pour moi, la sédation est un outil qui nous est donné pour empêcher la souffrance. Parfois le prix à payer c’est d’accélérer le processus du décès. Le moment où la mort survient, on s’en fiche, du moment qu’elle est confortable. » Une autre différence aussi, c’est la manière d’interpréter le « pronostic vital engagé à court terme », critère inscrit dans la loi pour autoriser la sédation profonde. « La Sfap accepte de la faire lorsque le patient risque de mourir d’ici quelques heures à quelques jours, moi je considère qu’on peut administrer cette sédation pour lui éviter des souffrances, même si le pronostic vital est de quelques jours à quelques semaines », nous explique-t-il.
Preuve de son influence, c’est à deux de ses membres, dont leur ancien président, que le ministre de la Santé Olivier Véran confie ce mois-ci le 5e plan de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie. « On ne dit pas aux Français qu’en prêchant le développement des soins palliatifs plutôt que la promulgation d’une nouvelle loi sur la fin de vie, on confie de fait nos fins de vie, celles de nos proches aimés, au lobby catho », se désole Élisabeth Condamines. « C’est un déni de laïcité », abonde Emmanuelle Perrin Huisman, membre de l’association le Choix. « On confie à des ultra-cathos la gestion de la mort. »
Au-delà de l’application ou non de la sédation profonde, la loi telle qu’elle existe aujourd’hui ne répond pas à tous les cas. Atteinte de la maladie de Charcot, l’écrivaine Anne Bert, que nous avons interviewée dans le journal, se voyait enfermée peu à peu dans son propre corps, dans une longue torture où elle perdait toutes ses fonctions corporelles, mais sans pour autant être en phase terminale pour que la loi puisse s’appliquer. Elle avait reçu des courriers d’ultra catho lui disant qu’elle avait de la chance : c’était Dieu qui lui faisait vivre une souffrance rédemptrice, osaient-ils dire. Elle avait dû se rendre en Belgique pour pouvoir bénéficier d’« une mort la plus douce qui soit », que la France lui refusait.
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La question de l’euthanasie pourrait bien être un des débats du prochain quinquennat, alors que question resurgit régulièrement depuis plusieurs années. Plusieurs candidats de gauche, Anne Hidalgo (PS), Yannick Jadot (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) se sont engagés à modifier la loi actuelle. Emmanuel Macron ne se mouille pas, et propose une « convention citoyenne » pour trancher ce débat. La Sfap est déjà dans les startings block pour y participer, et peser de tout son poids. « Nous y porterons la voix des soignants », annonce Claire Fourcade. Quid de celle des patients ? ●
Source :
« Charlie-Hebdo » – Laure Daussy – 07.04.22
** NB du Choix : titre définitif restant à fixer