On dit que le mieux est l’ennemi du bien. Dans le cas de la Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives, c’est le temps qui joue ce mauvais rôle. Porté par un consensus transpartisan remarquable, le projet de loi 38 (PL 38) a été déféré à la Commission de la santé et des services sociaux pour une étude détaillée, qui devra se boucler cette semaine au grand galop. Il est dommage qu’on en soit réduit à tout rapailler en quelques jours, alors qu’on a mis tant d’heures patientes à nous mener irréprochablement là.
Comme l’a dit ironiquement le député solidaire Vincent Marissal, on n’aura qu’à « arranger ça au montage ». Ce n’est pas si simple, évidemment. Les membres de la Commission en sont conscients et, même s’ils ont tous professé la meilleure des volontés pour faire entrer le PL 38 en gare, il n’est pas exclu qu’ils s’égarent au dernier tournant.
Sur les principes, le consensus est unanime : il s’agit d’offrir une porte de sortie de plus en ouvrant aux décisions anticipées et à l’inaptitude. Cette ouverture touche aussi l’accessibilité à ce soin pareil à nul autre, notamment en élargissant sa prestation aux infirmières praticiennes spécialisées travaillant au public. On applaudit tout en se désolant de constater que cela exclut d’office certains milieux de fin de vie. Et pas des moindres. En 2020, 47,6 % des prestations de l’aide médicale à mourir ont été données en résidence privée, 17,2 % en établissements de soins palliatifs.
Apparue comme un lapin tiré d’un chapeau, l’admission des handicaps neuromoteurs graves et incurables a été retirée prestement par le ministre de la Santé, Christian Dubé. Le débat immédiat y gagne, la bouchée était trop grosse. Mais il faudra y revenir sans tarder, car, sur le terrain, ce verrouillage n’est pas sans conséquence : face à une souffrance devenue inapaisable, des patients se sont laissés mourir de faim, se sont suicidés ou sont allés chercher ce soin à l’étranger. À ce propos, le Collège des médecins a opportunément rappelé l’iniquité qui s’est creusée entre le Québec et le reste du Canada. Son président, Mauril Gaudreault, a eu cette phrase limpide : « Il ne peut y avoir deux lois pour une même souffrance. » Il a parfaitement raison. Hors du Québec, une personne souffrant d’un handicap entraînant des souffrances physiques et psychiques intolérables a maintenant librement accès à l’aide médicale à mourir. Au Québec, il lui faut en plus être atteinte d’une maladie grave et incurable. Cela doit être uniformisé.
Le Dr Gaudreault est même allé plus loin en réclamant un mécanisme pour faciliter une harmonisation obligatoire. Mais le chemin qui mène à l’uniformisation de ces lois doit continuer de nous appartenir en propre. Les parlementaires qui l’ont fait ont eu raison d’insister sur ce point. Cette autodétermination est fondamentale, à plus forte raison quand on sait combien les prochaines étapes seront décisives. Et ô combien délicates. Le gouvernement fédéral a en effet introduit l’exclusion de la santé mentale par C-7 avec une clause de temporarisation qui prendra fin en 2023. Il faudra fatalement y revenir aussi et y consacrer tout le temps nécessaire. Le Québec a été un pionnier dans le domaine de l’aide à mourir ; s’il avait passivement attendu que le fédéral bouge, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Ne nous laissons pas démonter par ce train de retard : réglons promptement, mais exemplairement, le projet de loi 38, afin que nous passions aux étapes suivantes, forts de nos propres décisions.
Commentaire de deux abonnés :
En attendant
En attendant combien de personnes agonisent longuement de ne pouvoir mourir immédiatement. Le jour est encore loin où chacun pourra décider seul, sans autorisation bureaucratique de qui que ce soit d’autre, de la fin de sa vie devenue irrémédiablement et objectivement insupportable. Sans avoir à donner bonne conscience à toutes les personnes impliquées dans l’échelle bureaucratique.
Si personne n’a décidé de naître, chacun devrait avoir le droit de décider du moment le plus approprié de la fin de sa vie.
G..
Conclusion du Jugement UNANIME de la CSC en février 2015 :
««L’alinéa 241b) et l’art. 14 du Code criminel portent atteinte de manière injustifiée à l’art. 7 de la Charte et sont inopérants dans la mesure où ils prohibent l’aide d’un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition.»
Évitons le calvaire d’aller en CSC, à toute personne avec un handicap qui contestera cette permission.
Évitons aussi d’alimenter une augmentation de douleurs/souffrances et d’insensé aux yeux de la personne concernée, une augmentation du nombre de suicides ou d’aides au suicide, de grèves de la faim, de refus de médicaments contre la douleur, de voyages en Suisse, …
L’Assemblée nationale a le DEVOIR, avant la fin de cette session, de voter sa Loi INCLUANT la personne avec handicap. Solidarité invite. Compassion supplie. Dignité oblige.
Bref, moins d’égo chez les membres de la Commission et plus de primauté du seul intérêt de la personne éclairée et libre finissant Sa vie.
Y.B.
Source :
« Le Devoir – Louise-Maude Rioux Soucy – 06.06.22