Alors qu’Emmanuel Macron a promis de faire de la fin de vie une grande réforme de son second quinquennat, les sondages d’opinion se multiplient, semblant attester d’une forte adhésion à l’euthanasie. Pourtant, ces chiffres seraient parcellaires, alertent certains experts, qui travaillent à d’autres indicateurs.
Selon une enquête d’opinion parue dimanche 10 juillet dans Le Journal du dimanche, 92 % des Français seraient favorables à une « aide médicale à mourir, en cas de maladie grave et incurable
Alors que le président de la République doit ouvrir un vaste chantier sur la fin de vie, les sondages s’enchaînent et se ressemblent, paraissant dessiner une France acquise à l’idée d’euthanasie. Dernière en date, une enquête d’opinion menée par l’Ifop pour la MGEN, et publiée par Le Journal du dimanche du 10 juillet, montre que 92 % des Français seraient favorables à une « aide médicale à mourir, en cas de maladie grave et incurable ».
Cet apparent consensus invalide-t-il, par avance, les réflexions de la convention citoyenne annoncée par le chef de l’État ou le prochain avis du Comité consultatif national d’éthique ? Certains spécialistes s’en inquiètent, estimant que les sondages prennent une place démesurée dans le débat. Plus encore, ils estiment que ces enquêtes renvoient un miroir déformé de l’opinion, en l’absence d’études sociologiques plus robustes.
Des enquêtes à prendre avec précautions
« Concrètement, les sondages consistent à soumettre une question, donnée par un commanditaire, à un panel de Français représentatif de l’ensemble de la population en termes d’âge, de sexe, de catégorie socioprofessionnelle, etc. Ils procurent ainsi une photographie de l’opinion sur une question donnée à un temps T, avance Luc Barthélémy, directeur général de l’institut Stéthos, spécialisé sur les questions de santé. De là, ils peuvent être très utiles pour tester une idée, soutenir la réflexion, alimenter le débat, mais ils ne procurent jamais une vérité de l’opinion. »
Les sondages ne valent donc que par comparaison dans le temps. En avril 2021, l’Ifop avait ainsi déjà interrogé les Français sur leur regard concernant la fin de vie, pour l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). L’institut présentait alors un chiffre quasi équivalent : 93 % des Français considéraient que la loi française devait autoriser les médecins à « mettre fin, sans souffrance, à la vie de personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ». Un chiffre déjà stable par rapport à une précédente enquête de 2017.
Reste que la question posée n’émane pas des préoccupations des sondés eux-mêmes, elle leur est suggérée et formulée par les instituts. « Dans le cas du questionnaire de l’ADMD, seuls des gens très avertis avaient compris, par exemple, qu’il faisait l’impasse sur tout ce qui peut être fait pour soulager la souffrance », estime Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).
« Nous sommes vigilants et soumis à une déontologie, mais c’est un écueil possible, reconnaît Luc Barthélémy. On peut en partie induire une réponse par l’usage de termes subjectifs, émotionnels, qui suscitent des réponses polarisées. »
Bientôt un baromètre de la fin de vie
Ces enquêtes sont à prendre d’autant plus avec prudence qu’elles ne peuvent être recoupées par d’autres données, qui pourraient permettre de cerner plus finement les attentes des Français. Ainsi, Tanguy Chatel, cofondateur du Cercle vulnérabilités et société, regrette l’absence de toute étude quantitative sur la fin de vie, fondée sur une méthodologie employée en sociologie qui permet de partir « du vécu des gens et de leurs attentes » : une trentaine de personnes choisies pour leur diversité d’opinion, réparties en petits groupes, réfléchissent ensemble sur un thème donné. « De là, nous élaborons ensemble un questionnaire, qui part réellement des nuances de ce vécu », complète Tanguy Chatel.
Même la recherche publique est peu sollicitée sur le sujet. Les derniers travaux de l’Institut national d’études démographiques (Ined) en la matière remontent à 2012, et ils portaient surtout sur les pratiques médicales. Afin d’y remédier, la Sfap est d’ailleurs en train de réviser son projet. « L’idée est que chaque année nous puissions produire un baromètre de la fin de vie, en partant de l’expérience de ceux qui la vivent, qu’ils soient patients, familles ou médecins, explique Claire Fourcade. Il sera comparable d’une édition à une autre, afin de réellement cerner les évolutions de la société. »
La future convention citoyenne, annoncée par le président de la République, pourrait aussi engager ce chantier, espère Tanguy Chatel. « À condition qu’elle prenne le temps de comprendre les enjeux, de former les participants, pour poser le problème autrement, en prenant en compte la nuance et l’expérience vécue des patients, de leurs proches ainsi que des médecins, loin des solutions toutes faites. »
Source :
« La Croix » – Emmanuelle Lucas – 10.07.22