« Quand il a décidé d’ôter la vie à son épouse, atteinte de la maladie d’Alzheimer au stade ultime, mon client était dans une détresse physique et psychologique extrême. Trois ans plus tard, il n’a pas supporté de revivre ce drame », explique avec compassion Me Frédéric Surel.
Le 7 juin 2022, Jacques, 84 ans, s’est planté un couteau au niveau du cœur, quelques jours après avoir reçu l’ordonnance de mise en accusation. Son procès devant les assises de l’Eure était prévu à partir du 7 octobre 2022, à Évreux.
Cet octogénaire était poursuivi par la justice d’abord pour assassinat puis, au terme de l’instruction, pour le meurtre de sa femme. « Très malade, elle avait quitté la réalité de notre monde depuis un moment », souligne l’avocat ébroïcien
Le juge d’instruction avait donc écarté la préméditation car, selon l’expert psychiatre qui a diagnostiqué le médecin retraité après son crime, son discernement était altéré au moment des faits. Où il est question d’une propension au suicide altruiste.
Jacques avait perdu quelque 30 kg au fil des derniers mois pendant lesquels il voyait décliner son épouse vers la démence et la déchéance. Monique n’était pas suivie.
Une lettre pour demander pardon aux enfants
L’accusé risquait en théorie la réclusion criminelle à perpétuité. Il ne sera jamais jugé. Jacques a mis fin à ses jours de la même façon qu’il avait tué Monique, 76 ans, le 18 juillet 2019, dans leur pavillon propret des Barils, dans le sud de l’Eure.
Ce jour-là, Jacques, qui vit une relation fusionnelle avec son épouse, prend un couteau dans la cuisine et la tue. Monique venait de faire une nouvelle crise délirante. Puis il prend l’arme et se la plante dans le thorax. Les gendarmes retrouveront le couple allongé dans le lit conjugal. Et une lettre. Il demande pardon à ses enfants pour ce geste « impardonnable et inqualifiable ». Il craignait aussi de mourir avant elle. Jacques sera hospitalisé dans un état grave.
« Il s’était toujours reproché son acte »
« En juin dernier, m on client n’a laissé aucun mot pour expliquer son suicide. Mais il s’était toujours reproché son acte. Sa douleur et sa culpabilité étaient telles qu’il était en sursis depuis le drame, poursuit Me Frédéric Surel. Il s’en voulait de n’avoir pas dirigé sa femme vers les services spécialisés, mais mon client était complètement noyé. Sa détresse était immense. »
Pour l’octogénaire qui vivait discrètement dans ce petit village aux portes de Verneuil-d’Avre-et-d’Iton, « la tuer relevait d’un soulagement pour elle, poursuit-il. Se suicider comme il a enlevé la vie à son épouse, et une première fois essayé de mourir, n’est pas anodin. »
Aucune partie civile
Aucune partie civile ne devait faire face à l’accusé lors de ce procès. En clair, la famille n’en voulait pas à Jacques, au bout du rouleau.
« Il avait l’angoisse de revivre cet événement traumatisant », explique Me Frédéric Surel. Les témoignages, les expertises, les soupçons, les images des lieux du meurtre : c’était trop pour ce vieil homme qui avait été admis d’office en hôpital psychiatrique juste après avoir commis l’irréparable, en 2019.
Mais il sera quand même placé en détention provisoire pendant un an, au milieu des délinquants et criminels… Quelle que soit la raison, un crime reste un crime.
Sollicité par Paris-Normandie, le nouveau procureur de la République d’Évreux, Rémi Coutin, qui n’était pas en poste lors du meurtre puis du suicide de Jacques, explique néanmoins avoir deux regrets majeurs quant à l’issue funeste de ce dossier.
« Même si ce meurtre revêt un caractère très particulier, la société ne pourra pas juger l’accusé pour ses actes. Je le rappelle : pour l’instant, la loi n’autorise pas à tuer quelqu’un, insiste le magistrat. D es proches attendaient peut-être des réponses. En outre, si nous n’avions pas poursuivi ce monsieur devant la justice, on aurait pu nous le reprocher. »
Fort de vingt-deux années d’expérience, le procureur de la République eurois, qui représente la société, estime « qu’un tel procès permet aussi de poser des questions de société. Il aurait pu contribuer à éclairer le débat actuel sur la fin de vie et à une prise de conscience », regrette Rémi Coutin.
Plusieurs précédents
Bien que les victimes de la maladie d’Alzheimer sont de plus en plus nombreuses, les passages à l’acte pour abréger les souffrances de leurs victimes, et celles du proche qui commet le crime, restent très rares.
En attestent plusieurs exemples ces dernières années, qui ont systématiquement fait l’objet de poursuites judiciaires et de condamnations, principalement à des peines symboliques avec sursis.
Ces gestes ultimes de désespoir (ou d’amour) ont tous pour point commun, outre l’extrême épuisement des aidants et leur difficulté à demander une aide extérieure, le suicide ou la tentative de suicide de l’auteur de ces meurtres – voire d’assassinats.
Mais pour certaines associations féministes, « l’âge, la maladie, le coup de folie ne sont jamais une excuse ».
En novembre 2017, Hubert O., 81 ans, a été condamné à cinq ans de prison avec sursis après avoir étouffé son épouse à l’aide d’un traversin, dans l’Isère. Il avait été découvert dans leur baignoire avec des entailles à la gorge et aux poignets.
En septembre 2019, un nonagénaire qui rendait visite à son épouse de 86 ans hospitalisée dans une clinique du Val-de-Marne lui tire une balle dans la tête avant de se donner la mort.
En octobre 2020, la cour d’assises de Paris a condamné Michel G., 88 ans, à quatre ans de prison avec sursis pour avoir poignardé son épouse, « prisonnière dans le huis clos de la maladie ». Lui aussi a ensuite essayé de s’ouvrir les veines après ce crime qualifié de « compassionnel ».
En octobre 2020 toujours, en Charente, un octogénaire tue sa femme d’un coup de fusil avant de retourner l’arme contre lui, au domicile du couple. Son état s’était beaucoup dégradé les semaines précédant le drame.
En avril 2021, M.C, paisible retraité de Gonfreville-l’Orcher, 83 ans, présenté comme exemplaire, est condamné à quatre ans de prison avec sursis. Il avait poignardé sa femme atteinte de cette dégénérence. L’amour de sa vie avait succombé quelque temps plus tard, mais de la maladie d’Alzheimer.
Source :
« Paris-Normandie » – Guillaume Lejeune – 05.10.22