Les Valaisans se prononcent fin novembre sur la fin de vie. Au cœur de la votation: la pratique de l’assistance au suicide en institution. Duel d’éthiciens sur le sujet
Les institutions sanitaires ou sociales valaisannes, qui ont un mandat public, se verront-elles dans l’obligation d’offrir à leurs résidents la possibilité d’obtenir une assistance au suicide, au sein de l’établissement? C’est l’un des enjeux de la votation cantonale qui se déroulera à la fin novembre. Les citoyens se prononceront en effet au sujet de la loi sur les soins palliatifs et l’encadrement de la pratique de l’assistance au suicide en institution. Au cœur de cette votation une question centrale: la liberté individuelle est-elle au-dessus de tout?
«Les gens ont la capacité de choisir ce qui est important dans leur vie et la fin de vie doit aussi être un choix. L’être humain est libre», appuie Johan Rochel, membre associé du Centre d’éthique de l’Université de Zurich. Mais tous les éthiciens ne partagent pas cet avis. Membre de la Commission de bioéthique et des soins palliatifs de la Conférence des Evêques suisses, Stève Bobillier se demande si «la liberté n’est réellement qu’individuelle?» Lui ne le pense pas. Il considère qu’il y a «toujours un impact sur les autres».
«Les patients sont-ils en pleine connaissance de cause?»
En ce qui concerne le suicide, qu’il soit assisté ou non, Stève Bobillier estime que l’on oublie trop souvent que l’impact du geste sur l’entourage de la personne est conséquent. «Les risques de stress post-traumatique ou de dépression sont grands, de l’ordre de 15 à 20%. Par ailleurs, on constate également une hausse du risque de suicidalité chez les enfants ou les petits enfants», détaille-t-il. Précisant qu’il n’est pas opposé au suicide assisté, il poursuit: «Pour prendre une décision réellement libre et autonome, ne faut-il pas que les patients aient connaissance de toutes les conséquences, aussi sur leurs familles, sur les soignants et sur les personnes les plus vulnérables?»
Pour le bioéthicien, la solution passe par la création d’une commission d’éthique, chargée d’analyser au cas par cas les demandes d’assistance au suicide en institution: «Cela permettrait plus de souplesse pour prendre en compte l’avis du patient, qui prime bien sûr, mais aussi celui de la famille, qui n’a pas voix au chapitre dans un cas de suicide assisté, et de la direction de l’établissement ou du personnel soignant, dont la mission est de soigner et soutenir la vie.» Critique envers le texte proposé au vote, il souligne le risque d’effet d’imitation: «Légaliser, c’est faire croire aux plus vulnérables que le suicide est une solution.»
L’importance du droit de la personne qui choisit de partir
Johan Rochel ne peut partager une telle vision, lui qui défend le texte. «Que reste-t-il du droit de la personne à choisir si les autres disent non? Et si les membres de la commission changent, les décisions concernant le suicide assisté pourraient-elles totalement évoluer? interroge-t-il. C’est arbitraire.» L’éthicien considère que «le seul droit qui doit être pris en compte est celui de la personne qui choisit de partir, pas celui d’une commission ou de la famille». A condition évidemment que cette personne remplisse les exigences pour avoir recours au suicide assisté en institution, inscrites dans la loi soumise au vote.
Ayant vécu une telle situation au sein de sa famille, Johan Rochel reconnaît que c’est «une expérience poignante que de se dire au revoir comme cela». «D’où l’importance d’une préparation bien réalisée et d’une bonne communication avec les proches, ajoute-t-il. Au vu de la procédure pour y aboutir, un suicide assisté sur un coup de tête n’est pas possible, le geste est très réfléchi. Il est donc important pour les gens qui entourent la personne qui a décidé de partir d’accepter son choix. C’est un geste d’amour et de générosité que de le respecter.»
«Les patients sont chez eux, dans leur lieu de vie»
Et pense-t-il au personnel soignant, qui accompagne, au jour le jour, ces personnes, parfois depuis de nombreuses années? «Ce n’est pas facile sur le plan humain, je l’entends, d’où, je le répète, l’importance de la communication», répond-il. Et d’argumenter: «En institution, les patients sont chez eux, dans leur lieu de vie, alors que le personnel est sur son lieu de travail. Pour moi, la relation est très claire. Et il ne s’agit pas pour le personnel soignant de participer à cette pratique, mais de la tolérer.»
On en revient toujours, pour Johan Rochel, au droit de la personne de choisir librement sa fin de vie. «Mais est-ce un droit?» questionne Stève Bobillier. Pour lui, il existe un problème juridique: «Les droits humains et constitutionnels sont toujours positifs. Ainsi, l’Etat garantit un droit de vivre, mais ne peut donner un droit de se suicider. Se suicider est une possibilité, mais pas un droit.» Les citoyens valaisans partageront-ils cet avis? Réponse le 27 novembre.
Source :
« Le Temps » – Grégoire Baur – 16.11.22