La Convention citoyenne sur la fin de vie a rendu ses travaux la semaine dernière à Emmanuel Macron qui a promis un projet de loi pour «la fin de l’été». Pour le docteur Denis Labayle, président de l’association «le Choix», le soin n’est pas la «vie coûte que coûte».
Alors que dans la foulée des travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie, Emmanuel Macron a promis un projet de loi «pour la fin de l’été», les partisans de la légalisation de l’aide active à mourir s’inquiètent du manque d’allant du ministre de la Santé, François Braun. Samedi, dans un entretien au Monde, ce dernier a estimé que «le débat sur l’aide active à mourir est encore ouvert», qu’«un texte de loi allant en ce sens changerait profondément notre société et notre rapport à la mort» et que «priorité devait être donnée au renforcement de l’existant». Président de l’association «le Choix, citoyens pour une mort choisie», et à ce titre invité au dîner organisé le 9 mars à l’Elysée autour du chef de l’Etat, le docteur Denis Labayle met en garde contre le lobbying des associations marquées par le monde religieux. Ancien chef de service hospitalier et auteur du livre le Médecin, la liberté et la mort paru début 2022, le gastro-entérologue estime indispensable de modifier l’actuelle loi Claeys-Leonetti et d’ouvrir largement le droit à l’aide active à mourir.
Samedi, François Braun a affiché ses réserves sur une éventuelle évolution de l’actuelle loi Leonetti. Cela augure-t-il, selon vous, d’un recul de l’exécutif ?
Difficile à dire. François Braun doute et s’interroge, c’est tout à fait respectable. Je remarque toutefois que ses collègues du gouvernement ont progressé plus que lui dans leur réflexion. C’est le cas d’Agnès Firmin le Bodo qui a écrit un article poignant sur les conditions de fin de vie de sa mère. C’est aussi vrai d’Olivier Véran : lui qui, il y a trois mois, ne jurait que par les soins palliatifs a admis avec honnêteté lors du dîner à l’Elysée avoir été frappé de constater à quel point les médecins en Belgique avaient intégré dans leurs pratiques, les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir. Je pense que le point de vue exprimé par François Braun est avant tout personnel, et lié à son expérience hospitalière. Les urgentistes, comme lui, sont confrontés à la fin de vie de façon très aiguë, et, si l’on peut dire, indifférenciée. C’est loin d’être le cas de tous les médecins. Certains comme les gastro-entérologues, les cancérologues, les pneumologues et les généralistes accompagnent leurs patients atteints de maladie grave ou incurable pendant des mois et connaissent mieux les souhaits de leurs patients. Il se crée entre le malade et eux une alliance dont la qualité est éprouvée au moment de la fin de vie.
Néanmoins, François Braun semble être très à l’écoute des soignants fédérés par la Société Française d’accompagnement des soins palliatifs (Sfap), hostiles à une évolution de la législation…
C’est vrai. Un courant très marqué par le monde religieux mène une campagne importante contre l’aide active à mourir en général, et l’euthanasie en particulier. Les dirigeants de la Sfap ne cachent d’ailleurs pas leurs convictions catholiques. C’est leur droit et je le respecte. Mais dans une République laïque, ce n’est pas aux religions de décider. La Sfap, tout comme des associations comme «Soulager mais pas tuer» ou Alliance Vita militent pour la vie coûte que coûte. Quand la Sfap prétend que «donner la mort n’est pas un soin», c’est une position idéologique que je ne partage absolument pas. Qui définit la notion de soin ? Il a fallu attendre dix ans pour que l’accouchement sans douleur soit considéré comme un soin ! Le soin est une notion qui évolue dans le temps et qui varie selon les positions de chacun. Pour moi, l’aide active à mourir est un soin car elle relève de la compassion, et répond au choix du malade.
Beaucoup d’opposants à l’aide active à mourir font valoir qu’avant de songer à changer la loi, il faudrait garantir un égal accès de tous aux soins palliatifs, les demandes à mourir cessant quand la douleur est prise en charge. Un argument recevable ?
Il ne devrait y avoir aucune opposition entre les soins palliatifs et l’aide active à mourir. Comme c’est le cas en Belgique. Un patient devrait pouvoir recourir aux soins palliatifs puis obtenir, s’il le souhaite, une aide active à mourir. Mais quand l’exécutif promet de renforcer l’accès aux soins palliatifs partout, je m’interroge. Avec quels soignants ? En vingt ans, on a perdu 25% de médecins et 40% de lits d’hospitalisation… A mon sens, le plus urgent est de former aux soins palliatifs les médecins confrontés aux maladies graves et incurables. Cela ne demande pas beaucoup d’investissements et ce serait une vraie avancée pour les malades.
La sédation profonde et continue jusqu’au décès inscrite dans la loi Claeys-Leonetti ne répond-elle pas à votre préoccupation ?
Non. Il manque deux mots essentiels dans l’intitulé de cette disposition de loi : pour obtenir une agonie «brève et indolore». Actuellement, nous avons des dizaines et des dizaines de témoignages de familles qui décrivent des agonies d’une durée inacceptable. Mon propre frère qui a été victime d’une hémorragie cérébrale massive a mis un mois à mourir ! Quand je demandais qu’on augmente les doses de sédatifs, on me répondait : «Impossible ! Ce serait de l’euthanasie !» A mes yeux, en cas de maladies graves et incurables, le soin doit donner la priorité à la lutte contre la souffrance sur la défense de la vie coûte que coûte.
Selon le récent rapport de la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti, la sédation profonde et continue est en réalité peu pratiquée…
Comment s’en étonner ! Il faut regarder le texte d’application, élaboré par la Haute autorité de santé, sous la dictée de la Sfap. La méthodologie impose une déshydratation du corps du malade et une sédation fluctuante, fonction de son état de conscience. En clair, en cas de surveillance médicale insuffisante à domicile ou en Ehpad, le malade peut se réveiller avec des douleurs insupportables… De plus, pendant des décennies, on a enseigné à l’hôpital qu’une hydratation de confort était indispensable pour éviter la sensation de soif à l’agonisant. Ce qui est proposé aujourd’hui dans cette loi n’est pas digne d’être appelé «soin». Cette méthodologie qui entraîne des agonies prolongées est pour un grand nombre de médecins éthiquement inacceptable.
François Braun ne ferme pas la porte à une possible légalisation du suicide assisté, le geste létal n’étant alors pas accompli par les soignants mais par le patient. Qu’en pensez-vous ?
Ce serait un progrès. Mais en écartant l’euthanasie, on acterait une forme de démission du corps médical. Pour moi, le rôle d’un médecin est d’accompagner son malade jusqu’à la mort. Evidemment si les praticiens ne veulent pas assumer ce lien et préfèrent se détourner au moment critique, il vaut alors mieux donner au malade incurable une possibilité de se débrouiller tout seul ou de faire appel à des non-soignants. Mais je trouverais cela malheureux, et pas à la hauteur de l’idée que je me fais du rôle du médecin et de son éthique.