Le 21 mars 2023, Annie WALLET et Jacqueline LAURENT, les co-présidentes du choix ont participé au Sénat à une audition commune avec les association « A.D.M.D. » et « Ultime Liberté ».
Cette audition était organisée dans le cadre de la mission d’information sur la fin de vie par les sénatrices Corinne IMBERT, Christine BONFANTI-DOSSAT et Michelle MEUNIER.
Llire le compte-rendu complet de cette audition.
Au cours de cette audition un questionnaire a été remis à nos présidentes, en voici les réponses détaillées.
1. Quel bilan général faites-vous de l’adéquation de la loi Claeys-Leonetti aux situations de fin de vie dont vous avez à connaître ?
a) Dans son appropriation par les soignants et les familles ? Les notions d’obstination déraisonnable et de droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) sont-elles bien connues et comprises par tous ?
La notion d’obstination déraisonnable est une formulation récente de ce qui était auparavant reconnu par la loi Leonetti de 2005 comme de l’acharnement thérapeutique. La nouvelle formulation reflète le point de vue des soignants, basé sur un rapport coût/bénéfice. Les patients et les familles pensent plutôt « acharnement thérapeutique » pour exprimer au soignant leur refus de soins considérés comme excessifs et signifier leur demande de l’arrêt des souffrances du patient. Sur la question de la SPCJD, l’appellation « sédation profonde » peut donner le sentiment d’une mort douce et brève mais encore faut-il réaliser que la formulation « continue jusqu’au décès » signifie que le processus peut durer un certain temps (de 7 à 14 jours dans le guide d’application de la Haute Autorité de Santé (HAS) (‘Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ?’ Guide du parcours de soins, Février 2018, actualisation Janvier 2020) : de fait, nous recevons de nombreux témoignages de familles qui ont assisté à des agonies très longues de leur proche, jusqu’à trois semaines ou un mois pour certains patients, et dont le dépérissement physique, dû à l’arrêt de l’hydratation, a été très éprouvant et culpabilisant pour leur entourage, ce qui s’ajoute à l’épreuve du deuil, au total on aboutit à des agonies longues, douloureuses et inutiles (cf. notre livre envoyé à tous les sénateurs : « Loi Claeys-Leonetti, ses erreurs et ses insuffisances, témoignages de familles, nos propositions. » Association Le Choix, citoyens pour une mort choisie, 2022).
Du côté des soignants, il y a une grande diversité dans l’interprétation de la loi, dont l’origine est sans doute la divergence entre l’esprit de la loi et son application. En effet la loi stipule (article L 110-5-3) que « le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie ». Or les décrets d’application de la HAS, dont les fiches pratiques ont été rédigées par la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP), préconisent des sédations dont l’intensité est dosée pour que le malade finisse par mourir de sa maladie (selon leur point de vue) et non du fait de la sédation, dans un délai qui ne peut être prévu et qui est souvent long. Or il est évident que le malade meure des conséquences de la sédation (déshydratation, etc.) et non de mort naturelle.
Le texte de la HAS comporte des ambiguïtés, sources d’interprétations différentes du côté des soignants : ainsi, d’un côté il est écrit « le patient est le seul à pouvoir apprécier le caractère insupportable de sa souffrance, les effets indésirables ou du délai d’action du traitement », mais il est aussi noté plus loin que « la décision repose sur une démarche partagée entre le médecin, l’équipe soignante et le patient », et encore « la capacité de discernement ne prive pas le patient de ses droits mais, pour des raisons éthiques, elle contraint à prendre en compte ses demandes avec la plus grande prudence ». Il en résulte des conflits entre les soignants et les familles sur les conditions d’accès au droit à la SPCJD ; les familles supportent mal que ce soit les soignants qui décident au final, car elles considèrent que c’est le patient qui doit déterminer la limite du supportable pour lui et non les soignants. Le terme de collégialité n’est pas interprété de la même façon : pour les familles cela signifie ‘tous ensembles’ : patient, médecin traitant, personne de confiance alors que, de son côté, le corps médical, encouragé par le guide de la HAS, considère que c’est entre collègues que la décision doit être prise. Ce texte est discutable, car il ne faut pas oublier que, sur le plan pénal, une seule personne est responsable de la décision face à la loi : le médecin prescripteur. En dépit de la collégialité une seule personne est juridiquement responsable, ou alors il faut changer la loi. Nous suggérons qu’avant la mise en place d’un SPCJD, le médecin ait l’obligation de prendre en compte avant tout la demande du malade ou la personne de confiance si le malade n’est plus en état de s’exprime.
b) Quant à ses conditions de mise en œuvre ? L’évaluation d’une souffrance réfractaire aux traitements, ou d’un pronostic vital engagé à court terme, sont-ils des critères aisés à établir pour autoriser l’administration de la SPCJD dans les cas prévus par la loi ?
Effectivement, les soignants eux-mêmes considèrent que les critères évoqués ne sont pas aisés à évaluer, compte-tenu des variations individuelles. Pourtant, certains soignants refusent d’admettre qu’une douleur physique peut ne pas être soulagée et sont persuadés que soulager les douleurs physiques suffit pour supprimer la souffrance psychologique. Cela peut être le cas pour certains patients, mais d’autres ne supportent pas d’être abrutis et ainsi empêchés d’exprimer qu’ils ont atteint leur limite. Le plus révélateur concernant ces critères est que beaucoup, de témoignages montrent que, dans les faits, la décision relève plus de l’appréciation des soignants que de celle du patient, qui n’est pas entendue.
Par ailleurs, la notion de « pronostic engagé à court terme » demeure floue et génère des interprétations différentes en fonction des équipes médicales : de quelques heures à quelques jours, d’où d’autres sources d’incompréhension entre les familles et les soignants.
Autre limite : ces conditions excluent les cas de maladies invalidantes, neurodégénératives à impact moteur ou cognitif (paragraphe suivant).
c) Quelles limites cette procédure présente-t-elle à vos yeux ?
La loi actuelle donne la priorité au maintien de la vie sans tenir compte de sa qualité. Les progrès de la médecine font que nous vivons de plus en plus longtemps avec, éventuellement, des problèmes de santé compensés par des médicaments dont les interactions ne sont pas toujours optimales. Comme indiqué ci-dessus, la loi actuelle ne répond pas correctement aux demandes de malades qui estiment répondre aux critères pour la SPCJD, seule possibilité actuellement admise pour quelqu’un qui souhaite abréger sa fin de vie.
Autre limite de poids, les dispositions de cette loi ne répondent pas aux détresses liées aux maladie dégénératives, à évolution lente, telle la maladie de Charcot, ni aux polypathologies du grand âge, ni aux cancers qui s’avèrent incurables, situations pour lesquelles la mort à court terme n’est pas prévisible. Les personnes atteintes de ces pathologies vivent une dégradation progressive de leur autonomie, ainsi qu’une altération profonde de leur qualité de vie, qui entraînent une grande douleur morale et un mal être important. Ce sont ces malades qui, le plus souvent, sollicitent une aide à mourir en Belgique ou un suicide assisté en Suisse, et dont les médias se font l’échos. Encore faut-il que leur état physique leur permette de se déplacer, qu’ils disposent des moyens financiers nécessaires et d’un entourage accompagnant. Cette insuffisance de la loi française se traduit par une inégalité de traitement entre les malades atteints de ces pathologies.
Quand elles en ont les capacités physiques, certaines de ces personnes en sont réduites à un suicide (toujours violent, quoi qu’on en dise) anticipé pour ne pas laisser arriver le moment où elles ne pourraient plus faire ce geste libérateur et donc risqueraient de subir encore plus longtemps leur dégradation. La comparaison des taux de suicides de personnes de plus de 85 ans en France et dans les pays comme la Belgique et les Pays-Bas qui ont mis en place une loi dépénalisant l’aide médicale à mourir est révélatrice : 34,46 (pour 100 000 personnes) en France, contre 27,4 en Belgique et 14,9 aux Pays-Bas. (Source : Eurostat, https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/tps00202/default/table?lang=fr).
2. L’avis n° 139 du CCNE cite pour justifier l’existence d’une voie pour l’aide active à mourir des éléments objectifs (les « situations limites » qui constituent de nouvelles formes de fin de vie, par sa médicalisation accrue), et des éléments subjectifs (l’extension des situations de solitude, une demande croissante d’autonomie psychique, une demande d’aide active à mourir explicitement formulée).
a) s’agissant des situations-limites, c’est-à-dire de situations de prolongation de la vie grâce aux progrès de la médecine et qui font naître une « grande incertitude quant à ce qui relève ou non du juste soin dans l’intérêt de la personne souffrante », comme dit le CCNE : sont-elles à votre avis devenues plus nombreuses ? plus variées ?
Il est indéniable que les progrès de la médecine, notamment en soins intensifs de réanimation, ont permis de suppléer aux défaillances d’organes vitaux. D’ailleurs, la médicalisation est, de fait, accrue dès la naissance et tout au long de la vie. Cela rend possible le maintien en vie de patients « en situations-limites » qui seraient morts sans ces interventions médicales, notamment des malades plongés dans un coma irréversible et dont le cas de Vincent Lambert était encore récemment la terrible illustration et une dérive évidente de ceux qui défendent la vie coûte que coûte. De tels cas interrogent également sur les limites accordées aux directives anticipées (DA) de personnes qui, craignant de se trouver dans une telle situation des suites d’une maladie ou d’un accident, auraient demandé par anticipation une aide médicale à mourir dans ces cas-là en désignant une personne de confiance pour exprimer leur position. Dans de nombreux pays, l’état de conscience est une condition d’application des DA, mais faudrait-il en rester là ? En Belgique, les personnes atteintes de maladie comme celle d’Alzheimer, peuvent demander une aide médicale à mourir tant qu’elles restent conscientes. Une modification de la loi est à l’étude pour leur accorder l’euthanasie quand elles auront perdu leur discernement si cette demande est inscrite dans leurs directives anticipées.
Par ailleurs, alors que la comparaison du CCNE se fait à une dizaine d’années d’écart seulement, ces situations-limites sont probablement plus nombreuses, notamment eu égard au vieillissement de la population. Il manque des données pour être affirmatif, le CCNE le fait d’ailleurs remarquer à plusieurs reprises.
b) s’agissant de la manière dont les patients abordent leur vie et leur fin de vie :
faites-vous la même analyse que le CCNE ? L’expression des préférences individuelles vous semble-t-elle revêtir des traits particuliers ou avoir évolué en quelque façon au point qu’il faille légiférer de nouveau ?
La douleur a perdu le caractère sacré qu’elle avait dans un contexte d’une société marquée par des croyances religieuses fortes, elle est donc moins tolérée comme une donnée inéluctable. Les choix personnels face à des situations de souffrances s’expriment sans tabou.
Outre le fait que l’expression des préférences individuelles semble plus présente, il est probable qu’elle force aussi l’attention, qu’elle soit approuvée ou rejetée. Obtient-elle une meilleure écoute ?
La volonté de faire respecter des choix individuels, le désir de conduire sa vie comme on le souhaite y compris dans ses derniers moments, sont des demandes majeures aujourd’hui. Et leur prise en compte nécessite une nouvelle loi.
3. Partagez-vous la conclusion du CCNE selon laquelle il existe une voie pour une aide active à mourir pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ? Comment croyez-vous possible de le définir ?
Oui, il est nécessaire de prendre en compte tous les cas de maladies graves et incurables, sans attendre que le patient soit arrivé à un stade ultime de la maladie, sans attendre que ses souffrances (physiques et psychologiques) soient intolérables ; les soignants doivent pouvoir reconnaître qu’ils ne peuvent pas toujours contrôler ces douleurs.
Dans ces cas également, c’est au patient lui-même de définir sa limite de tolérance à la souffrance physique et à sa détresse morale, aucune limite temporelle ne doit se substituer à la personne concernée. D’ailleurs, nous savons, et le CCNE le dit également, que cette limite est éminemment subjective, elle est à la fois fonction de l’histoire personnelle, des valeurs, du sens donné à la vie (y compris sa fin) par chacun. Seul le malade peut décider à quel moment les souffrances ressenties sont inapaisables et que sa vie est devenue « un état pire que la mort ».
Cette limite personnelle ne saurait donc être définie par une norme temporelle, surtout s’agissant de pathologies incurables mais à évolution lente qui dépassent largement un délai de 12 mois.
Le texte du CCNE donne pour ce moyen terme une fourchette de six à douze mois (page 25), sans expliciter les critères sur lesquels s’appuiera son évaluation.
Ainsi la notion de mort prévisible à moyen terme appelle de notre part plusieurs remarques :
– Compte tenu de la très grande diversité des pathologies incurables, il nous paraît difficile que leur évolution suive une trajectoire commune qui permettrait de définir de façon rationnelle une limite temporelle. Si une telle limite temporelle est introduite dans la loi, elle risque d’exposer certains malades à de grandes souffrances et, en conséquence, de ne pas respecter leur sentiment intime de dignité et trahir le principe de fraternité qui doit animer cette réflexion éthique.
– Des pays qui ont introduit l’aide médicale à mourir comme la Belgique (en 2002) et le Canada (en 2016), distinguent les malades dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et ceux pour lesquels le décès n’est pas raisonnablement prévisible, ou dont le terme ne peut être défini. Le court terme peut être évalué en fonction de l’état du malade en jours, semaines ou mois. Ce qui conduit des praticiens belges et québécois interrogés à considérer comme prévisible à court terme une mort dans les 12 mois.
En conclusion sur ce critère de moyen terme :
Le moyen terme de six à 12 mois cité dans le texte du CCNE (page 25), s’appuie sur les exemples de quelques états non européens qui ne constituent pas la majorité des états qui ont dépénalisé l’aide active à mourir.
Si, en France, une limite de temps était retenue dans la loi comme critère d’admission à l’AAM, on peut craindre que tous les malades dont le décès n’est pas raisonnablement prévisible dans ce délai ne pourraient pas accéder à l’aide active à mourir. Pour eux il n’y aurait aucun changement par rapport à la loi Claeys-Leonetti. Ils seraient donc contraints de partir mourir en Belgique ou en Suisse, ce qui est source d’inégalités inacceptables du fait des conditions physiques et financières que cela suppose.
C’est pourquoi l’association le Choix demande clairement qu’une future loi n’exige pas le caractère « avancé » de la maladie quand celle-ci est grave et incurable pour accéder à l’AAM.
4. Dans une telle hypothèse, quelle analyse faites-vous du rôle que pourraient jouer les professionnels du soin ? L’administration d’une forme d’assistance au suicide vous semble-t-elle entretenir avec la pratique de la sédation profonde et continue une différence de degré ou de nature ? Comment pensez-vous que l’on puisse tracer les limites de ce qu’autorise l’éthique du soin en général ?
Face à des impasses médicales, des maladies incurables qui ne peuvent pas être guéries et les douleurs physiques difficiles à apaiser, pour ces situations pour lesquelles il n’y a plus de réponses thérapeutiques, les rôles entre le médecin et le malade doivent être redistribués.
Le médecin doit rester au service du malade, au service du désir de celui qu’il ne peut plus guérir, et dès lors, c’est au malade de choisir.
Dans ce contexte, les professionnels du soin pourraient accepter de reconnaître qu’une aide médicale à mourir reste un soin d’accompagnement d’un malade lorsqu’il la demande pour mettre un terme à une vie douloureuse et qu’il juge dénuée de sens puisque sans perspective. Cette aide médicale à mourir ne peut pas prendre uniquement la forme d’un suicide assisté car certains patients peuvent ne plus être en mesure de faire le geste eux-mêmes. Il faudrait donc admettre que l’administration du produit létal puisse être effectuée par un tiers (qui pourrait être un soignant), pour que l’égal accès à tous soit maintenu et respecté. Il nous parait donc important de prévoir, au moins pour ces cas exceptionnels, la pratique de l’aide médicale à mourir ou euthanasie, par un soignant.
Dans un cas comme dans l’autre, comparés à la SPCJD, il s’agit d’un geste clair qui provoque une mort rapide et indolore, on sort de l’hypocrisie actuelle d’une mort provoquée à petit feu.
Nous considérons donc qu’il n’y a qu’une différence de degré (type et dose de produit injecté) et non de nature. Car la SPCJD n’est ni plus ni moins qu’une euthanasie différée… alors que les médecins se réfugient derrière la non intentionnalité pour voir une différence de nature entre les deux. Autre preuve qu’il ne s’agit pas d’une différence de nature : les médecins les plus hostiles à la SPCJD estiment qu’il s’agit d’un acte allant bien trop loin, y voyant une forme d’euthanasie…
5. Le CCNE reconnaît l’existence d’assistances au suicide et d’euthanasies clandestines. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ? Faut-il songer, davantage qu’à une modification de la loi Claeys-Leonetti, à une dépénalisation de certains actes médicaux ? À quelles conditions ?
L’existence d’aides à mourir clandestines prouve que la loi actuelle est inadaptée. Lorsque la justice est saisie de ces affaires, la loi punit les médecins ou leur attente des procès (Nicolas Bonnemaison, Bernard Senet). Il faut dépénaliser le suicide assisté et/ou l’aide médicale à mourir quand il s’agit de personnes atteintes de maladies incurables, souffrant de douleurs réfractaires aux traitements, et qu’elles le demandent, même si leur pronostic vital n’est pas engagé à court terme. La loi Claeys-Leonetti est, comme les textes précédents, très difficile à appréhender puisqu’il est nécessaire de naviguer dans le code de la santé pour en trouver l’ensemble des éléments.
Nous pensons qu’il serait préférable de rédiger une nouvelle loi qui admette que le dernier soin peut être l’aide médicale à mourir accordée, sous conditions contrôlées, à la demande du patient ou de sa personne de confiance, ce qui pourrait se traduire par la dépénalisation d’un tel acte.
6. Ne craignez-vous pas que la modification de la loi pour assouplir les conditions de l’aide active à mourir ne serve de prétexte pour ne pas développer les soins palliatifs, en nourrissant par exemple une demande aujourd’hui latente mais réprimée par le caractère illégal d’un tel acte ?
Le nombre et la répartition des structures de soins palliatifs sont insuffisants et la philosophie de leur pratique est inappropriée car reposant sur une idéologie qui privilégie la vie à tout prix, sans se préoccuper de sa qualité. Par définition, le soin palliatif se met en place quand le médecin admet qu’il ne peut pas guérir le malade et qu’ils arrivent ensemble à une étape où l’absence de souffrance, physique et morale, la qualité de la fin de vie, doivent être l’objectif principal plutôt que le maintien d’une vie ‘artificielle’. Cette vraie culture palliative devrait être enseignée à tout étudiant en médecine et ne pas faire l’objet d’une spécialisation.
Dans les pays qui ont mis en place une aide médicale à mourir : Belgique, Pays-Bas, Canada, le développement des centres de soins palliatifs s’est poursuivi. Soins palliatifs et AAM ne sont pas antagonistes, au contraire, l’AAM peut être pratiquée dans des services de soins palliatifs (‘L’euthanasie au seuil des soins palliatifs, 20 ans de modèle belge’ de Corinne Van Oost et Jean Bauwin, Academia, 2022).
7. Si la loi devait évoluer pour autoriser une forme d’aide active à mourir, comment prévenir les dérives que constitueraient, par exemple, la demande de mort des personnes se croyant un poids pour la société à raison de leur âge, de leur isolement ou du coût qu’entraîneraient leurs soins ?
Au vu de la dégradation générale des conditions de soin (manque de soignants, modes de financement, manque de structures de proximité), il est plutôt à craindre que des morts non demandées soient provoquées, involontairement espérons-le, par le manque de soins appropriés. Les demandes d’aide à mourir par des personnes dans les conditions décrites dans cette question seraient le signe non pas de dérives dues à l’évolution de la loi mais de dérives dues aux mauvaises conditions de prise en charge par le système de santé.
Par ailleurs, l’état de vieillesse, avec le déclin progressif des capacités physiques, entraînent, chez les personnes âgées, le désir de mourir afin d’échapper à une dégradation plus profonde et à un état de dépendance totale (cf. le taux de suicide des plus de 85 ans). Ainsi, les polypathologies du grand âge altèrent profondément la qualité de vie et peuvent être considérées comme des maladies incurables, qui peuvent justifier des demandes d’aide médicale à mourir. En outre, on peut s’interroger sur le droit des personnes à estimer que leur vie est accomplie.
Rappelons que l’absence d’une bonne loi, génère d’autres dérives, telles que les euthanasies clandestines ou le maintien en vie artificielle de personnes qui demandent à mourir (cas de Vincent Humbert ou Alain Cocq…).
Nous rejoignons les propos de Martine Lombard dans son livre « L’ultime demande » (Liana Levi, 2022) : « ne pas permettre à certains d’être aidés à mourir même s’ils le demandent et les laisser souffrir des douleurs intolérables même s’ils veulent ardemment en finir, reviendrait à vouloir leur bien malgré eux, à les protéger contre eux-mêmes et à les mettre sous tutelle. Sous couvert de « fraternité », cette manière de voir relèverait d’une condescendance peu respectueuse de nos frère humains. Qu’une loi soit en revanche nécessaire pour s’assurer strictement de la libre volonté des malades, pour les mettre à l’abri d’éventuelles pressions familiales ou sociales, cela ne fait aucun doute. »
8. De quel poids estimez-vous que pèsent exactement, ou que devraient peser les exemples étrangers dans la réflexion ? De quoi y a-t-il lieu de s’inspirer dans la législation des pays voisins, ou de se garder au contraire ?
À l’appui de ce qui précède, dans une tribune au « Monde », Mélanie Heard, responsable du pôle santé à Terra Nova, et Martine Lombard, professeure émérite de droit, considèrent que laisser le patient seul face à lui-même, comme c’est le cas en Oregon (USA), serait à l’opposé d’un principe républicain fondamental, la fraternité. De plus, un tel système est trop risqué car on ne peut accepter qu’un produit létal soit délivré à une personne qui le demande (même si elle remplit les critères) sans s’assurer qu’il est bien destiné et administré à cette personne.
Des lois qui donnent le choix, y en a-t-il beaucoup ? Une loi ouverte, hybride, associant les modalités de l’euthanasie dans la loi belge et des conditions du suicide assisté en Suisse, serait bienvenue. On pourrait même aller un peu plus loin que la loi belge, dont il est question qu’elle évolue encore pour tenir compte des directives anticipées demandant une aide active à mourir en cas d’atteinte d’une situation limite que ne souhaite pas dépasser la personne concernée à l’annonce d’un diagnostic de ‘déficit cognitif’, par exemple. Une telle loi, qui laisserait le choix à chaque personne, serait enfin conforme au triptyque de la devise de la république française « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Nous souhaitons attirer l’attention sur le rôle des directives anticipées. Aujourd’hui, l’ambiguïté demeure sur ce rôle. Le médecin peut ne pas prendre le temps de les lire s’il estime qu’il est confronté à une situation d’urgence, et même les récuser si elles lui paraissent ‘inappropriées’. Cela explique probablement en partie, le faible nombre de personnes ayant rempli leurs directives anticipées, la loi devrait rendre leurs dispositions opposables au corps médical. Elle devrait également prévoir la création d’un fichier centralisé des Directives anticipées.
Comme en Belgique, l’ensemble des actes relatifs à l’aide médicale à mourir devraient être codifiés en tant que prestations médicales avec un tarif de prise en charge.
Annie Wallet
Jacqueline Laurent
Co-présidentes