PLAIDOYER POUR UNE MORT CHOISIE
J’ai 44 ans, je suis atteinte d’un cancer de l’ovaire rare, incurable et qui évolue lentement depuis mes 30 ans.
Cela fait donc 14 ans que je me bats contre cette maladie grâce à différents traitements dont l’objectif, à défaut d’éradiquer la maladie, est de freiner sa progression : j’ai subi ainsi deux opérations sous coelioscopies, invalidantes car elles m’ont rendue stérile, un suivi à hauteur d’un scanner tous les deux mois pendant dix ans, trois laparotomies lourdes pour essayer de stopper la progression du cancer dans tout l’abdomen, deux opérations par cryo-ablation, 35 séances de radiothérapie, une dizaine de protocoles de chimiothérapies par perfusion et per os ainsi que plusieurs essais cliniques menés à l’hôpital Cochin à Paris et à l’Institut Gustave Roussy de Villejuif, en vain.
Sur les 14 années écoulées j’ai eu six mois de répit sans traitement ni opération.
Je n’évoquerai pas la liste de tous les effets indésirables des chimiothérapies que j’ai dû supporter toutes ces années à part une conséquence grave : un spasme coronarien aigu, en janvier 2021, qui a été pris en charge très rapidement. Je peux évoquer aussi une conséquence importante des rayons : certes, j’ai eu la chance que mon côlon ait été préservé puisque je n’ai finalement pas eu besoin d’une stomie mais j’ai souffert d’une rectite radique, une hémorragie du côlon pendant plus d’un an.
En octobre 2021, mon oncologue me propose de reprendre un traitement de chimio que j’ai déjà eu (qui contient de l’oxaliplatine), les mauvais souvenirs me sont alors remontés : malgré les soins de support j’avais souffert de neuropathies aux mains, aux pieds, au visage, dans la bouche et il n’y avait qu’un endroit qui me permettait de supporter mes nausées : le sol carrelé de la salle de bain sur lequel je m’allongeais et dont la fraicheur des carreaux me réconfortait. J’ai une petite pensée pour ma mère qui a été très peinée en me voyant allongée sur le sol, comme si j’avais perdu toute dignité et qui ne souhaitait qu’une chose : me relever. Je lui ai dit à ce moment : « non, maman, ne me relève pas, je suis bien là, le froid du carrelage, ça me fait du bien. » Elle était impuissante à ma souffrance, tout comme les soins de support.
Quand donc mon oncologue me propose de nouveau ce traitement, je n’ai eu qu’une réaction : « Non, je ne veux pas. Je ne veux plus. Je ne peux plus. Stop. J’arrête ». Je n’avais plus qu’une envie : vivre le mieux possible même si ma vie allait être raccourcie. Vivre en tant qu’Aurélie Daunay, avec toute ma personnalité, continuer à exercer mon métier qui me tient à cœur, enseignante, continuer à vivre avec l’homme que j’aime, continuer à avoir une vie la plus normale (enfin !) et la plus banale possible. Cet arrêt des soins a été décidé définitivement après de nombreuses discussions avec mon mari que j’ai fini par convaincre et avec mon oncologue. Au vu de la progression de la maladie, je pensais qu’il me resterait 15 ans à vivre. Selon lui, j’en aurais pour moins de 10 ans, avec ou sans traitement.
J’ai choisi de suivre les traitements pour lutter contre la maladie tant que je pouvais physiquement et psychologiquement.
j’ai choisi d’arrêter les traitements quand j’ai estimé que ma vie avait plus de valeur sans,
je souhaite donc à présent aussi choisir comment mourir.
Bravo à Aurélie Daunay pour son courage et sa lucidité.
Qu’elle soit rassurée, si elle décide d’aller en Belgique ou en Suisse bénéficier d’un départ serein, son mari ne sera nullement inquiété à son retour.