« La “malemort” se nourrit aujourd’hui de l’inégalité d’accès aux soins palliatifs »
Tribune
Jean-René Lecerf
Président du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie
Le président du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, Jean-René Lecerf, rappelle, dans une tribune au « Monde », que son institution a formulé 26 propositions pour améliorer les conditions de vie de l’ensemble des personnes âgées et handicapées, et dépasser une vision trop sanitaire de la fin de vie.
Accompagner la vie jusqu’à sa fin naturelle est une responsabilité essentielle de notre société. Si nous avons tous une expérience singulière de la mort et des convictions personnelles, il existe des principes fondamentaux qui nous rassemblent et qu’il nous faut discuter pour garantir aux Français, en toute hypothèse, une fin de vie digne et apaisée.
Cette dernière n’est pas pleinement assurée aujourd’hui et la « malemort » se nourrit de la pénurie des personnels de l’accompagnement et du soin, de l’inégalité d’accès aux soins palliatifs, de l’insuffisante prise en compte des aidants, du regard trop souvent exclusivement sanitaire des médecins, de la difficulté à entendre les personnes et à recueillir leur consentement, et du tabou qui existe encore autour de la mort. Il nous faut également combattre avec vigueur les discriminations qui frappent quotidiennement les personnes âgées et en situation de handicap. Elles conduisent à leur effacement ou à les réduire au silence, avec d’autant plus de facilité que ces personnes se retrouvent, en fin de vie, dans une situation de grande vulnérabilité.
Le débat national sur la fin de vie nous offre la possibilité de questionner les choix collectifs que nous envisageons pour l’hôpital, les Ehpad et le domicile. Il est temps pour nous de réapprivoiser la mort et d’accepter qu’elle fasse partie de nos vies et de nos politiques.
Logique domiciliaire
Au sein du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, nous portons une ambition forte, que nous avons formulée en 26 propositions : celle de développer les politiques d’accompagnement à domicile et de proposer des solutions intermédiaires entre domicile et Ehpad, garantes de la logique domiciliaire, c’est-à-dire où l’on se sente chez soi, l’isolement et l’insécurité en moins, et où l’on vive dans la dignité et la citoyenneté. C’est assurément en améliorant les conditions de vie de l’ensemble des personnes âgées et handicapées dans notre pays que nous parviendrons à mieux accompagner les fins de vie.
Cela implique de renforcer le nombre de professionnels au chevet des personnes, de mieux les coordonner et les former. Pour dépasser une vision encore trop sanitaire de la fin de vie, la formation devra s’ouvrir aux sciences humaines et sociales, et concerner l’ensemble des professionnels du soin et de l’accompagnement. Nous proposons également que le décès des personnes ne mette pas tout de suite fin aux prestations et au statut d’aidant, afin de permettre aux personnels des services à domicile d’accompagner les familles jusqu’au bout, et de faire eux-mêmes leur deuil de la personne aidée.
La participation des personnes aux choix concernant leur fin de vie doit se trouver également au cœur des préoccupations. Elle doit être non seulement reconnue, mais aussi encouragée et organisée. Pour cela, il est nécessaire de mieux informer sur les directives anticipées et la personne de confiance lors de toute prise en charge médico-sociale ; s’assurer que cette information a été comprise ; encourager dans tous les établissements l’instauration d’initiatives innovantes, comme on peut le voir dans certains Ehpad – certains ont, par exemple, instauré des groupes de parole sur la mort, ce qui amène à ne plus la cacher.
Des solutions pour les aidants
Aux antipodes des défunts dont le cercueil est masqué à la vue de tous, qui partent dans l’isolement, laissant leurs voisins de chambre et leurs amis dans le désarroi, le départ se fait en pleine lumière, en présence de tous les proches – familles, résidents, soignants, personnels –, avant de partager, quelques jours plus tard, un moment de convivialité où l’on échangera sur ses relations avec le défunt et la place qu’il occupera toujours dans les mémoires et les cœurs. Ce sont ces initiatives qu’il faut encourager, sans attendre une loi.
Le rôle des aidants et des proches ne doit pas être négligé non plus. La fin de vie est particulièrement éprouvante pour eux. Ils ont besoin d’être informés des étapes qu’ils auront à vivre et du soutien qu’ils pourront recevoir, et, surtout, de bénéficier de solutions concrètes de répit. Nous sommes très en retard sur ce point, d’où l’urgence d’accroître et de diversifier ces solutions. Il est important de permettre aux proches d’être systématiquement informés lorsque le pronostic vital est engagé, afin qu’ils puissent être présents dans ce moment s’ils le souhaitent.
Enfin, il est primordial de garantir la liberté de choix des personnes en fin de vie. Je pense en particulier au bénéfice d’un accompagnement dans leur lieu actuel de vie et non à l’hôpital, lorsque cela est possible, et qui corresponde à leurs convictions religieuses, philosophiques ou morales. Il s’agit là d’une condition essentielle pour permettre aux personnes de partir sereinement et aux proches de faire leur deuil.
Jean-René Lecerf est président du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, ancien sénateur (UMP), ancien président du conseil départemental du Nord, ancien maire de Marcq-en-Barœul et ancien président de la commission des finances de l’association d’élus Départements de France.