Fin de vie : le préprojet de loi suscite la « colère » du collectif des soignants opposés à l’aide active à mourir
Une première mouture du texte gouvernemental « ouvre à la personne en fin de vie la possibilité de bénéficier de l’administration d’une substance létale ». Un communiqué rédigé par un collectif de soignants, publié jeudi 14 décembre, dénonce « un schéma qui se rapproche des modèles étrangers les plus permissifs ».
Par Béatrice Jérôme
Un tir de barrage qui se veut dissuasif. Alors que l’exécutif prévoit de présenter un projet de loi sur la fin de vie « courant février », une version provisoire du texte suscite la « colère » de soignants hostiles à l’aide active à mourir, dans un communiqué de presse publié jeudi 14 décembre.
Ils réagissent à une première mouture gouvernementale intitulée « Projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » – que Le Monde a dévoilée le 14 novembre (édition datée du 15 novembre). Ce document non rendu public depuis lors est parvenu sur le bureau de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), mercredi 13 décembre. Il a été repris le même jour dans Le Figaro.
Il s’agit d’« un texte indigent dont le caractère approximatif témoigne d’une grave méconnaissance de l’existant », juge la SFAP dans son communiqué de presse, cosigné avec une douzaine d’autres associations et organisations de soignants (représentant des gériatres, des réanimateurs, des infirmières et des professionnels de l’hospitalisation à domicile), réunies depuis plusieurs mois dans un collectif opposé à la légalisation d’une aide à mourir.
« Une exception d’euthanasie, sans la nommer »
Le préprojet de loi, daté du 6 octobre, a été rédigé par Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Il a été remis à l’Elysée il y a plus de deux mois, conformément au souhait exprimé, le 3 avril, par le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, de « bâtir un projet de loi d’ici à la fin de l’été ».
Le texte de Mme Firmin Le Bodo comprend un chapitre III consacré à « l’accès à l’aide à mourir » qui inclut huit articles. L’aide à mourir, explique le document dans la présentation du contenu de ces articles « ouvre à la personne en fin de vie la possibilité de bénéficier de l’administration d’une substance létale ».
Le préprojet précise : « Cette administration est par principe réalisée par la personne elle-même. » Il indique toutefois que « si la personne est en incapacité physique de s’auto-administrer la substance létale, un tiers peut la lui administrer. Ce tiers peut être un médecin ou un infirmier. » Le texte prévoit « également la possibilité pour un proche d’assurer ce rôle (par exemple : amener le verre et faire boire à la personne la substance létale, etc.) ». L’exposé des motifs des articles indique que le texte de loi « introduit une exception d’euthanasie, sans la nommer » et souligne : « L’expression “aide à mourir” a été privilégiée aux termes “suicide assisté” et “euthanasie”. »
Pour les signataires du communiqué publié jeudi, « l’ensemble [de ces] dispositions vont à rebours des demandes adressées par les soignants ».
« Je suis sous le choc en découvrant ce document »
Le collectif dénonce « un schéma qui se rapproche des modèles étrangers les plus permissifs », et reproche au ministère sa « façon cynique d’avancer masqué », en prévoyant l’euthanasie mais « sans la nommer ». « Je suis sous le choc en découvrant ce document, déclare au Monde la docteure Claire Fourcade, présidente de la SFAP. Il s’agit ni plus ni moins que d’introduire l’euthanasie dans la loi, à l’image du modèle en vigueur en Belgique », qui prévoit le suicide assisté et l’euthanasie et auquel la SFAP est vigoureusement opposée.
Ce préprojet de loi témoigne d’un « mépris envers les soignants de la part d’une ministre qui prétend pourtant les avoir écoutés. Mais qui ne les a manifestement pas entendus », s’indigne la docteure, invitée avec d’autres professionnels de santé à participer au groupe réuni depuis septembre par Mme Firmin Le Bodo pour préparer le projet de loi.
Au passage, évoquant la possibilité ouverte dans le texte du ministère qu’« un proche » puisse être impliqué dans l’administration du produit létal, le collectif autour de la SFAP s’interroge : « Qu’en sera-t-il des personnes vulnérables notamment âgées, qui déjà si souvent craignent d’être un poids pour leur entourage ? »
Le communiqué conclut : « Sur la base de ce texte, le gouvernement doit être conscient qu’il n’y aura aucun accord avec les soignants. »
Levée de boucliers
Ce préprojet de loi est sur le bureau du président de la République, mais aucun texte n’a encore été transmis au Conseil d’Etat. Et l’Elysée et Matignon continuent de consulter les acteurs du sujet. Emmanuel Macron n’a pas arbitré le projet final, assurait le ministre de la santé, Aurélien Rousseau, dans un entretien à Libération, en novembre. « Sur l’aide active à mourir, des points sont encore en discussion sur la notion de pronostic vital engagé, de consentement libre et éclairé, ou s’il faut prévoir une exception d’euthanasie quand un patient est dans l’impossibilité physique de s’auto-administrer un produit létal », déclarait-il alors.
Dans les couloirs du ministère de la santé, on laissait toutefois entendre, ces derniers jours, que l’exception d’euthanasie pourrait bien demeurer in fine dans le texte gouvernemental.
Si la seule version connue à ce jour du texte en préparation suscite une levée de boucliers parmi les soignants, les partisans d’un droit à une aide active à mourir s’inquiètent, de leur côté, d’un nouveau report du projet de loi. « La ministre Agnès Firmin Le Bodo prévoit un débat parlementaire étalé sur dix-huit mois. Dix-huit mois ! », s’indigne l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, dans un communiqué, le 13 décembre. Alors, « au mieux, la France n’aura pas de loi avant 2026 ! », s’impatiente son président, Jonathan Denis.