L’idée de s’occuper spécifiquement des malades en fin de vie est née d’une évidence : nombre de médecins se désintéressaient de ces malades.
Pourquoi ? Refus inconscient de la mort considérée comme un échec ? Absence de formation suffisante pour soigner ces malades ? Ou angoisse face à l’inéluctable, reflet d’une société qui a refoulé l’idée de mort.
Précisons que tous les médecins ne sont pas confrontés de la même façon à la fin de vie : les dermatologues, les ophtalmologues ne vivent pas la même situation que les gastroentérologues, les pneumologues, les cancérologues ou les médecins travaillant en EHPAD.
La première unité de soins palliatifs a été créée en 1967 en Angleterre par Cicely Saunders pour « faire tout ce qu’il reste à faire quand il n’y a plus rien à faire », c’est-à-dire soulager, entourer, apporter des soins de confort, aider psychologiquement l’être qui va mourir.
La France a proposé pour la première fois la création de lits destinés aux patients en phase terminale en 1986, soit 25 ans après l’Angleterre. Interpellé par l’action de ces pionniers, le code de déontologie médicale a précisé en 1995 le rôle du médecin : « Soulager la souffrance des malades, éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou les thérapeutiques, accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments et assurer par des soins et mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin. »
Avec le temps, les soins palliatifs se sont diversifiés en plusieurs catégories :
- les Unités de Soins Palliatifs ( USP) représentant des structures autonomes d’hospitalisation.
- Les lits destinés aux soins palliatifs au sein des services de médecine générale ou de spécialité.
- Les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) pouvant intervenir dans les structures hospitalières ou à domicile.
Malgré le soutien massif et inconditionnel des autorités politiques, médicales, religieuses, philosophiques et médiatiques, les soins palliatifs n’ont pas connu de développement à la hauteur de la demande.
Aujourd’hui, on compte : 152 unités de Soins palliatifs, 426 équipes mobiles, 122 unités d’hospitalisation à Domicile. Au total 5057 lits destinés aux soins palliatifs.
Ce qui est peu quand on sait que, par exemple, 150.000 personnes décèdent chaque année de cancer.
Beaucoup accusent le manque de moyens financiers. En réalité le problème est plus complexe.
La crise du Covid 19 a confirmé la lente dégradation du système de santé en France, comme dans beaucoup de pays européens, liée à la diminution massive du nombre de lits d’hospitalisation courante (40 % de moins en trente ans en France) et à la diminution du nombre de médecins temps plein actifs. Et la situation n’est pas près de s’améliorer. Dans ces conditions, il est quasiment illusoire de penser que les instances décisionnaires de la santé publique vont développer massivement des unités de soins palliatifs, aux dépends des services d’urgence déjà en crise ou des services de soins aigus en grande difficulté.
Pour intéressante que soit la démarche des soins palliatifs, leur généralisation pose une question : est-ce la seule condition pour une fin de vie sereine ?
La médecine est de plus en plus compartimentée, multiplier les lieux de prise en charge en fonction du stade évolutif de la maladie est-ce la solution la plus humaine ? Est-ce même la plus éthique ?
Déjà les services de chirurgie ont pris l’habitude de transférer leurs malades en fin de vie vers les services de médecine, certaines cliniques transfèrent systématiquement ces malades devenus trop coûteux en soins, vers les services médicaux hospitaliers. Alors, faut-il que ces derniers se déchargent à leur tour de ces patients en fin de vie sur des services spécialisés ?
Accompagner ses patients jusqu’à la mort n’est-il pas le devoir de tout médecin ?
Une autre limite philosophique aux soins palliatifs tels qu’ils sont structurés actuellement : la charge imposée aux soignants.
Pour un médecin, une infirmière, il n’est déjà pas simple d’accompagner jusqu’à la fin les malades qu’ils suivent. Pour un spécialiste des soins palliatifs, la prise en charge de malades qu’il ne connaît pas et qui viennent pour mourir est encore plus complexe. Est-il psychologiquement sain de s’occuper uniquement de la mort pendant toute sa carrière médicale ? La motivation initiale ne risque-t-elle pas de s’émousser avec le temps ?