Chers ami(e)s et adhérent(e)s,
Au cours des deux dernières semaines, notre association a recueilli le témoignage d’une neuropédiatre retraitée qui a choisi de communiquer sur sa décision de suicide en Suisse pour alerter les pouvoirs politiques en France et en Suède son pays natal.
Elle devait normalement se rendre en Suisse début Avril, mais le confinement l’en a empêchée.
Elle a saisi l’opportunité de ce retard pour adresser une lettre au Président Emmanuel Macron et au Ministre de la santé Olivier Véran, que vous trouverez en annexe 2.
Elle n’a reçu aucune réponse à ce jour. Elle a accepté de témoigner à la fois en rédigeant un très émouvant récit (également joint en annexe 1) sur sa douleur de vivre . Elle souffre depuis de longues années, d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge “DMLA” qui la plonge inexorablement vers la cécité et elle est atteinte depuis quatre ans de surdité . Nous avons pu la rencontrer et filmer un entretien qui sera prochainement mis sur le site.
Comme nous l’avons été nous-mêmes, vous êtes sans doute sensible à sa détresse et à sa démarche libre courageuse et militante d’une femme qui sait rester debout.
Sa conduite au cours de ces derniers mois est exemplaire. Nous espérons que vous appuierez son action, en écrivant à votre tour une lettre de soutien à l’attention d’Emmanuel Macron.
La période des vacances et les changements au niveau du gouvernement nous conduisent cependant à prévoir ces lettres de soutien à la rentrée de Septembre.
Nous vous enverrons une lettre type que vous pourrez bien entendu adapter et modifier, et qui nous l’espérons facilitera l’envoi de votre propre courrier.
Dans l’immédiat, le Collège décisionnel va adresser une lettre de soutien à Mme A-E-N (*) dont vous aurez bien entendu la copie.
Nous vous souhaitons un été ressourçant avec vos proches après ces quelques mois qui furent difficiles pour tous.
Le Collège décisionnel
N’oubliez pas d’adhérer (cliquer sur le lien) votre présence nous est essentielle
Annexe 1/2 :
Témoignage
Je suis née en août 1935. Je ne fêterai pas cet anniversaire. Par contre, je fêterai le jour de ma mort, le 9 septembre 2020 chez Dignitas en Suisse.
Ce jour sera plus important, car la date a déjà été décalée une fois à cause de Covid-19 qui avait fermé les frontières.
J´ai 84 ans, je suis neuropédiatre à la retraite. Souvent, j’ai dû porter des messages de souffrance et de mort. J´ai aussi servi de mon mieux pour soulager, réconforter selon le serment d´Hippocrate. Il y avait beaucoup de conversations au sujet de la vie et la mort, des questions existentielles que les enfants et adolescents m´ont posées, ainsi que leurs parents.
Maintenant je me trouve dans la pente descendante de la vie. L´âge a fait ses ravages dans ma vision et mon audition mais laisse mon cerveau intact. Je suis atteinte de DMLA atrophique depuis 2006, et durant les 4 dernières années mon audition a baissé. Depuis 3-4 ans je ne peux pas lire, depuis 2 ans je porte un appareil auditif.
J´ai perdu ma qualité de vie. Mes centres d’intérêts : lecture, littérature, philosophie, histoire, apprendre ce qui se passe dans le monde sur beaucoup de sujets, je ne peux plus les satisfaire. Mon cerveau est intact mais sa nourriture n´arrive pas. La caméra, qui était mes yeux s’est lentement cassée par la vieillesse. J’ai compensé avec les touches de l’ordinateur et les moyens de la technologie les plus sophistiqués. Contre la perte d’audition, je contre-attaque avec un appareil auditif.
Pendant les 10 dernières années j’ai aussi aimé formuler mes pensées, les habiller de mots, et bientôt je ne pourrai plus écrire du tout.
La couleur bleue de la douleur.
Le soleil. Il fait mal quand il frappe les yeux, mais pas beaucoup. Juste une toute petite douleur, qui se sent à peine. La lumière faible d’un jour couvert fait mal elle aussi, mais un peu moins que la lumière du soleil.
La lumière bleue de l’ordinateur procure la même sensation de douleur. Je porte les filtres, le filtre UV et le filtre contre la lumière bleue. Soulagement d’une toute petite douleur.
Pourquoi la lumière doit-elle faire mal ? Même le Siècle des Lumières avait sa douleur.
La plus grande douleur se trouve à l’intérieur. Il n’existe pas de protection contre elle. C’est une colère qui fait exploser le crâne jusqu’au point de rupture, mais qui ne donne pas mal à la tête. Elle ne fait que fracasser le cerveau, détruire ses fonctions. Les os du crâne restent intacts.
La colère est entrée par les yeux. L’appareil photo qui devait photographier la réalité s’est cassé. Les images sont devenues incompréhensibles. C’est à ce moment que la colère s’est introduite, la colère contre le fait que l’interprétation ne peut avoir lieu. La colère contre le fait que tout est devenu une langue étrangère, une langue totalement inconnue qui ne peut plus trouver une interprétation sensée. En dépit de la présence d’un dictionnaire, mais d’un dictionnaire incomplet.
La colère a donné naissance au chagrin. Il n’est pas noir comme la dépression, gris foncé comme la déprime. La couleur du chagrin est bleue avec des nuances, le bleu de la mer dans le bleu du ciel.
Le chagrin aussi a sa lumière, qui n’est pas vive, plutôt comme une petite flamme. On peut mettre sa main en coupe autour d’une flamme et sentir sa chaleur. C’est un peu la même chose avec le chagrin, il réchauffe un peu. Réchauffe la colère froide qui fracasse le cerveau. Pour qu’elle puisse pulser encore plus, comme si elle s’amplifiait par la chaleur. Elle devient douleur, celle qui ne se voit pas de l’extérieur. La douleur psychique dont la couleur est bleue.
Pourtant elle s’exprime par le bleu, les nuances, les expressions, qui sont la conscience. La conscience de ce qui est la vie, une sorte de joie paisible. Une joie qui embrasse même la mort.
Point final.
le 21 mai 2020
Mme E-A-N (*)
(*) Pour respecter sa vie privée , nous n’avons mis que les initiales de son prénom et nom
Annexe 2/2 :
Monsieur le Président de la République
Sujet : L’autodétermination dans la phase finale de la vie
J’apprécie beaucoup de vivre dans un pays où il y a un philosophe sur le trône républicain. Un président avec des projets visionnaires dans une république dont la devise est : Liberté. Egalité. Fraternité.
Une devise qui devrait être celle non seulement de la France mais de l’Europe et du monde entier.
Je suis un être humain dans le monde, européenne et de nationalité suédoise, demeurant en France depuis plus de 30 ans. J’ai 84 ans, et je suis neuro-pédiatre à la retraite.
Cette lettre concerne l’ultime liberté d’un être humain dans sa singularité : le droit d’autodétermination dans la phase finale de sa vie.
Protéger notre mort est aussi important que protéger notre vie. Ni la France, ni la Suède ne protègent la mort d’un individu dans leur législation.
D’autres pays en Europe le font, ainsi que le Canada et dix états des Etats-Unis, où la loi permet la mort assistée par médecin sur la demande d’un être humain. L’Allemagne est probablement en route après que la ”Bundesverwaltugsgericht ” (cour constitutionnelle fédérale) à Karlsruhe a déclaré que le droit à l’autodétermination d’un être humain est inclus dans le droit général des êtres humains et donc doit être respecté par l’Etat et par la société.
Vous connaissez « Antigone ». Nous avons besoin d’une Antigone qui peut se mettre debout pour notre droit à une mort en dignité. Une telle mort doit aussi faciliter le travail de deuil de la famille et des amis que le décédé quitte.
Plusieurs personnes âgées considèrent qu’elles ont vécu leur vie et qu’elles sont prêtes. Plusieurs, âgées ou jeunes, subissent les douleurs insupportables d’une maladie incurable. Toutes les douleurs ne peuvent pas être soulagées par les soins palliatifs. Les êtres humains en dignité souhaitent que ce soit Thanatos qui arrive, au lieu de Hypnos son frère jumeau, quand le crépuscule de la vie s’approche.
Je suis l’un d’eux. Mon cerveau en bonne santé est affamé, car la vieillesse en a détruit les portes d’entrée pour sa nourriture: le Texte écrit. Ma vision est trop endommagée, de même que mon audition.
L’époque des Lumières a fait essaimer les lumières de la France jusqu’en Suède. Mon espoir, mon vœu est que cette lumière nouvelle, encore une fois, arrive à mon pays d’origine, au nord.
Mon espoir est donc, Monsieur le Président, que vous agissiez pour une législation en France permettant la mort assistée par médecin. Dans ce cas, peut-être, la Suède suivrait.
Ma mort aurait dû avoir lieu le 8 Avril chez Dignitas, en Suisse.
Mais le Corona virus et les frontières fermées en ont bloqué l’accès.
Mon dernier temps de vie, qui va jusqu’au 9 Septembre, nouvelle date fixée pour ma mort, je le passe à argumenter dans les médias suédois pour la mort assistée dans mon pays d’origine. Maintenant, j’espère en la lumière de la France et de son Président.
Vous, Monsieur le Président, avez sûrement lu comme moi, « This life : Secular Faith and Spiritual Freedom », de mon compatriote Martin Hägglund. Je pourrai au moins dire –selon l’esprit de ce livre – que j’ai pourtant essayé de faire comprendre à ceux qui prennent les décisions, ce qu’est le vrai respect de la valeur d’un être humain : sa propre décision pour l’ultime liberté.
Je vous prie d’agréer, Monsieur Le Président de la République, mes sentiments les plus respectueux.
Mme E- A-N (*)
Copie pour connaissance : Monsieur Olivier Véran, Ministre des Solidarités et de la Santé.
(*) Pour respecter sa vie privée , nous n’avons mis que les initiales de son prénom et nom
Maison de la Vie Associative et Citoyenne : »Le Choix – Citoyens pour une mort choisie » – Boite N° 36
54 rue Jean-Baptiste Pigalle
75009 Paris
Bonjour,
le témoignage de cette dame est très émouvant. Elle a eu le privilège d’être prise en charge par DIGNITAS pour finir sa vie avec dignité et sans souffrance. Malheureusement je crois savoir que cette démarche est très difficile et surtout très coûteuse. Je n’ai pas les moyens financiers,mais j’aimerais néanmoins savoir comment on peut prendre contact avec cet organisme suisse.
Bien chaleureusement
Bonjour madame,
Nous vous remercions pour votre commentaire. En ce qui concerne Dignitas, vous pouvez les contacter par courriel : dignitas@dignitas.ch