Le député LREM et médecin Jean-Louis Touraine dépose une nouvelle proposition de loi pour légaliser l’euthanasie. Il met la pression sur Emmanuel Macron. Entretien.
C’est le grand combat de sa vie politique. Arrivant au terme de son troisième mandat de député, le professeur de médecine Jean-Louis Touraine lance une dernière offensive parlementaire pour légaliser l‘aide médicale à mourir : une proposition de loi cosignée par 118 parlementaires LREM. L’élu du Rhône n’a pas oublié qu’Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle, avait déclaré vouloir choisir sa fin de vie. « J’imagine qu’un président qui veut un droit pour lui-même ne souhaite pas en priver ses concitoyens », pointe-t-il avec une naïveté feinte. Jean-Louis Touraine n’ignore pas que l’exécutif n’est pas très allant sur le dossier. Professeur d’immunologie, comme le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, il confie aussi à L’Express son analyse sur la crise sanitaire, le confinement et la politique de vaccination. « Si on arrive trop tard, ce sera perdu », avertit celui qui a travaillé sur le virus du sida dans les années 1980.
L’Express : C’est déjà la deuxième fois sous ce quinquennat que vous déposez une proposition de loi portant sur l’assistance médicalisée active à mourir. Qu’apporte ce nouveau texte ?
Jean-Louis Touraine : Comme dans notre précédente proposition de loi, déposée en 2017, nous souhaitons offrir le choix de la fin de vie aux Français extrêmement malades, au terme d’une maladie incurable. Arrivés à ce stade, certains souhaitent attendre le terme naturel de leur vie, d’autres demandent une sédation profonde, et une dernière catégorie voudrait être dispensée d’agonie car c’est le seul moyen d’éviter des souffrances physiques et psychiques. Ce n’est pas une loi qui donne une obligation à quiconque. C’est un droit additionnel, une liberté optionnelle que chacun peut actionner ou non en fonction de sa philosophie et de son état.
Nous avons enrichi le texte grâce à la réflexion d’un groupe de travail transpartisan de 126 députés, qui s’est réuni très régulièrement depuis 2017. Nous y avons auditionné de nombreuses personnalités, de tous horizons et de pays voisins comme la Belgique. Plusieurs affaires, comme la mort de Vincent Lambert, ont émaillé le quinquennat. Notre proposition de loi apporte une solution à chacune et propose de renforcer les droits de tous.
Qu’aurait changé votre loi dans l’affaire Vincent Lambert, dont l’épouse et les parents se déchiraient à propos de l’arrêt des traitements ?
Il n’y aurait eu aucune affaire Vincent Lambert. Dans notre proposition de loi, la personne sollicitée pour donner son avis est désignée comme étant d’abord le conjoint. En l’absence de conjoint, ou en cas d’incapacité de ce dernier, ce serait aux enfants majeurs, puis aux parents, de se prononcer. On ne demanderait pas en même temps l’avis de tout le monde. La décision de l’épouse de Vincent Lambert n’aurait pas pu être contestée.
Nous avons aussi tiré les leçons de la crise du covid-19, avec les fins de vie malheureuses de personnes âgées totalement isolées, sans la présence de leur famille et en l’absence d’accompagnement approprié. Les soins palliatifs n’ont pas toujours été disponibles, une souffrance majeure a été causée par asphyxie et suffocation. Les dernières heures vécues par ces personnes ont été inhumaines.
Votre loi éviterait cela ?
Notre loi offrirait à la personne la possibilité de donner son avis au moment où elle sent l’agonie venir et de voir son choix respecté. Elle pourrait demander l’injection d’un produit qui l’endort, puis d’un autre qui arrête son coeur. En 1975, on a donné aux femmes le choix de disposer de leur corps et de prolonger ou interrompre leur grossesse. Il est temps de donner à tout le monde le droit de choisir sa fin de vie. C’est un droit pour les malades, celui de pouvoir interrompre des souffrances insupportables, bien entendu sous un contrôle médical pour s’assurer qu’il s’agit bien d’une maladie incurable, à un stade avancé.
Ne faut-il pas craindre, à l’inverse, des euthanasies massives quand la tension sur le système hospitalier est maximale, comme pendant la crise du Covid-19 ?
Au contraire ! On se prémunirait contre cela. Aujourd’hui, 2000 à 4000 euthanasies sont pratiquées en France chaque année, selon une étude de l’Ined publiée en 2012. Elles le sont en toute illégalité et en catimini, parfois sans que le malade ait fait ce choix. Dans les pays européens qui ont légiféré sur la fin de vie, ces pratiques illicites sont beaucoup moins nombreuses car une commission contrôle chaque décès.
Une autre erreur pourrait être corrigée. En France, la plupart des malades voudraient terminer leur vie chez eux mais ils sont conduits à l’hôpital, alors qu’en Belgique, où l’aide à mourir existe depuis 20 ans, elle est très souvent pratiquée à domicile.
Votre proposition de loi, présentée en fin de quinquennat, dans un calendrier parlementaire embouteillé, a-t-elle une chance d’être votée, ou est-ce un baroud d’honneur ?
Nous la présentons pour qu’elle aboutisse ! En début de mandat, une réunion a été organisée autour d’Emmanuel Macron à l’Elysée quand nous avons présenté notre première proposition de loi. Il a été conclu que notre groupe d’étude devait continuer ses travaux et que l’on pourrait légiférer après s’être laissé le temps d’observer les effets de la loi Claeys-Leonetti de 2016. Ils sont désormais connus : les sédations profondes sont moins nombreuses qu’avant la loi, c’est-à-dire que ce système n’est pas plébiscité par les malades ou les professionnels de santé. Cela ne fonctionne pas car, au lieu de respecter la demande d’aide à mourir de la personne, on l’endort. La mort n’intervient pas tout de suite. On l’induit en arrêtant toute hydratation, et donc en créant une insuffisance rénale aiguë que l’on ne traite pas. Au lieu de respecter la volonté du malade, on le fait mourir avec un délai inhumain, de plusieurs jours ou semaines ! On fait souffrir non seulement cette personne, dont on ne sait pas vraiment ce qu’elle perçoit sous sédation, mais aussi ses proches. J’ai reçu de très nombreux témoignages bouleversants, encore hier : un homme me racontait que sa mère, en impasse thérapeutique, lui demandait de mettre fin à ses jours sans passer par une sédation prolongée !
Votre texte est cosigné par 118 députés de la République en Marche. En revanche, il n’est endossé ni par le groupe LREM, ni par le gouvernement. Difficile d’imaginer qu’il puisse être voté sous ce quinquennat…
L’avenir le dira. Il nous est permis de l’escompter car le président de la République a déclaré publiquement, le 26 mars 2017 : « Moi, je souhaite choisir ma fin de vie » (Sur C8, NDLR). J’imagine qu’un président qui veut un droit pour lui-même ne souhaite pas en priver ses concitoyens. Par ailleurs, qui pourrait imaginer qu’un débat, porté aujourd’hui par près de 50% des députés du groupe LREM, ne puisse être mis à l’agenda ? Surtout quand 96% des Français demandent ce progrès des libertés individuelles en fin de vie !
Pourtant, sur l’IVG ou la bioéthique, Emmanuel Macron s’est toujours montré frileux, voire conservateur, depuis le début de son mandat.
Nous ne sommes pas ici dans l’aventure. Même des pays d’inspiration catholique comme la Belgique ou l’Espagne ont légiféré. Le Portugal s’apprête à le faire. Une loi sociétale et consensuelle serait une excellente façon de terminer ce mandat. Selon un sondage Ipsos réalisé en 2019, 96% des Français sont favorables au droit à l’euthanasie. Certains députés de droite le sont également. Vous voyez bien qu’il ne s’agit pas d’un affrontement entre progressistes et conservateurs. Il ne faut plus que l’on puisse dire que la France est honteuse dans sa façon d’accompagner les mourants.
A propos de l’épidémie du Covid-19, certains prônent un confinement plus ou moins volontaire des personnes âgées ou fragiles. Qu’en pensez-vous ?
En introduisant une discrimination, un confinement obligatoire se heurterait à des difficultés constitutionnelles. Les personnes âgées s’imposent déjà par elles-mêmes une certaine forme de confinement.
On peut renforcer cela par la persuasion, mais il s’agit déjà de gens réfléchis et expérimentés qui savent à quoi ils s’exposent et connaissent la dangerosité de cette maladie. Il faut jouer davantage sur le registre de l’adhésion, que l’on atteint par la conviction et non par la contrainte.
Craignez-vous une désobéissance croissante des Français face à un troisième confinement ?
Il peut y avoir dans la jeunesse ou dans certaines catégories professionnelles quelques petits îlots de désobéissance. C’est regrettable, cela fera apparaître quelques clusters ici ou là, mais sans changer le cours de l’épidémie. Je ne pense pas qu’il y aura des mouvements comparables à ceux que l’on a vus aux Pays-Bas. Reconnaissons que, si tout n’a pas été fait ou communiqué parfaitement, la France est en position plus favorable que de nombreux autres pays européens. De plus, il y a une adhésion relativement large et une très grande responsabilité de la part de la population. Nous sommes obligés de réagir à des évolutions qui ne sont pas toutes prévisibles. En ce moment, le maître des horloges, c’est le virus.
De nombreux médecins, comme le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, pensent qu’il faut reconfiner rapidement pour endiguer la propagation des variants. Comment expliquer cette lenteur de l’exécutif à agir ?
Jean-François Delfraissy déclare lui-même qu’il énonce une parole scientifique, fondée sur les données que lui fournissent les épidémiologistes. Il dit que ce n’est pas à lui de chercher un équilibre avec d’autres considérations économiques, éducatives, culturelles, sociales, psychologiques ou sanitaires. Son rôle est d’indiquer le souhait scientifique et médical pour contrôler l’épidémie, mais ensuite il s’incline devant la décision du pouvoir politique.
Plus on tardera à confiner, plus la courbe du virus sera haute, et plus on peut craindre un confinement long pour l’endiguer…
Il y a une course de vitesse, mais je ne suis pas sûr que le confinement bloquera complètement le développement du variant anglais. Il est déjà là. La seule victoire nous sera apportée par le vaccin, pour peu qu’il intervienne rapidement, avant que n’apparaissent d’autres variants qui s’avéreraient encore plus dangereux. Si on arrive trop tard, ce sera perdu. Dans une guerre, l’industrie qui produit les armes est tout aussi importante que les combattants. Il faut mettre une pression formidable sur tous ceux qui ont une chaîne de production capable de fabriquer des vaccins, quitte à les adapter.
En novembre et décembre, les Français exprimaient de fortes réticences à se faire vacciner contre le Covid-19. Beaucoup moins aujourd’hui. Les hésitations pourraient-elles resurgir ?
Il y a 10 à 20% de personnes vraiment réticentes à la vaccination que l’on aura du mal à convaincre. Mais je crois à la force de l’exemple. A partir du moment où vous êtes entouré par des personnes vaccinées, qui le tolèrent remarquablement bien, vous ne demandez qu’à être convaincu et à être débarrassé de cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.