La femme mise en cause n’avait pas participé directement à l’ingestion des substances mortifères.
C’est une information juridique à la croisée des chemins. Dans un débat sociétal et politique loin d’être tranché (lire en savoir plus), entre euthanasie et « droit à mourir dans la dignité », « l’aide à mourir » vient de s’inviter en justice. Un rendez-vous permettant d’affiner les contours de la responsabilité pénale d’une « aidante. »
Elle tente de l’empêcher et se résout à l’aider. Une dramatique histoire est à l’origine d’une jurisprudence poitevine récente sur cette assistance officieuse à la fin de vie dont le législateur préfère taire l’existence.
Voici une mère et sa fille. Un amour fusionnel obéré par un profond mal être de la maman. Dans le huis clos d’un appartement, cette mère de cinq enfants implore sa progéniture de l’aider à mourir, une nuit d’août 2014, à Poitiers. Sa fille tente vainement de l’empêcher mais se résout à assister sa mort médicamenteuse (lire repères).
« Homicide volontaire sur ascendant ». Dehors, la justice des hommes l’attend pour assumer ses actes : information judiciaire ouverte pour « homicide volontaire sur ascendant », mise en examen, détention provisoire et perspective d’un renvoi devant la Cour d’assises de la Vienne.
Sept ans plus tard, l’histoire judiciaire a écrit, dans un arrêt rendu le 5 janvier 2021, une autre conclusion : un non-lieu et l’apparition d’une jurisprudence sur ce cas, si particulier, de la responsabilité d’une tierce personne dans le « droit à choisir sa fin de vie. »
Ni actes « positifs », ni passivité. Comment est-ce possible ? Pour comprendre, il faut décortiquer le raisonnement judiciaire. « Donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre », indique l’article 221-1 du code pénal [30 ans de réclusion criminelle encourue, NDLR]. Mais un meurtre, c’est un homicide volontaire nécessitant l’accomplissement d’actes « positifs » de la part de l’auteur pour entraîner la mort de la victime. Et dans ce cas précis, la victime avait consciemment ingéré les anxiolytiques préparés par sa fille. Pas d’acte positif dans sa démarche mais pas de passivité non plus. Les juges ont finalement retenu l’empoisonnement à son encontre en s’appuyant sur une jurisprudence datant de 1993 (1).
Le choix d’absorber ou non les substancesEn mai 2020, cette primo délinquante était renvoyée devant la cour d’assises de la Vienne pour « empoisonnement sur un ascendant » (2).
Sans la perspicacité de son avocat, Me Laurent Sillard, elle risquait la réclusion criminelle à perpétuité. Tout s’est joué en décembre 2020, lors d’une audience à huis clos de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Poitiers. L’avocat rappelle à cette occasion la volonté clairement exprimée par la victime de mourir, après plusieurs tentatives de suicide et des attitudes autodestructrices, estimant qu’elle était « seule maître de son destin, libre du choix d’absorber ou non les substances mortifères. »
« Il s’agit clairement d’une aide à mourir »Surtout, selon lui, sa cliente n’avait pas obéi à ses seuls sentiments, dissuadant sa mère de commettre l’irréparable, « agissant dans la soumission et non l’initiative » (3).
En clair, une « aide à mourir », mue par une « force extérieure à laquelle elle n’a pas pu résister. » Le conseil avait alors demandé aux magistrats de prononcer un non-lieu. Accordé dans cet arrêt du 5 janvier 2021.
« De mon point de vue, il s’agit clairement d’une “ aide à mourir ”. Cette décision me semble constituer une évolution et une clarification essentielle de la jurisprudence, se félicite Me Laurent Sillard. À la lecture de l’arrêt, on peut considérer que la volonté maintes fois répétée par la victime de mettre fin à ses jours, ainsi que la participation de l’auteur, limitée à la fourniture des moyens d’y parvenir, ont été les deux éléments déterminants de la décision rendue. J’y vois une évolution salutaire d’une jurisprudence obsolète qui posait un principe général lourd de conséquences. »
(1) Dans un arrêt rendu le 8 juin 1993, la Cour de cassation estime, concernant une affaire d’empoisonnement dans l’Est de la France, qu’une remise à la victime de médicaments susceptibles d’entraîner son décès s’apparente à une administration (article 301 du code pénal). Mais dans ce dossier, la victime ne voulait pas mourir. (2) Article 221-5 du code pénal : « Le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement. » (3) Article 122-2 du code pénal : « N’est pénalement responsable la personne qui agit sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pas pu résister. »
repères
« Aider à mourir » sans « attenter » à la vie
Dans la nuit du 22 au 23 août 2014, dans un appartement du centre-ville de Poitiers, les policiers découvrent une femme âgée de 66 ans décédée dans un fauteuil. Enlacée par sa fille, alcoolisée et en état de choc. Dans la pièce, gisent des dizaines de canettes de bière et des boîtes d’anxiolytiques. La sexagénaire, décrite par ses proches comme alcoolique chronique, dépressive et sous dépendance médicamenteuse, faisait état depuis plusieurs mois de propos suicidaires. Cette nuit la, elle avait supplié son enfant de l’aider à mourir. Une demande ultime, couchée par écrit dans une lettre signée de sa main et remise à sa fille. Au cours d’un dernier échange, cette dernière avait tenté une dernière fois de la dissuader. Les enquêteurs avaient retrouvé une liste pesant le pour et le contre de son choix à mourir. En vain. Sur la table, un verre d’eau et une grande quantité d’anxiolytiques mis à disposition de la maman. La fille est à ses côtés pour l’accompagner. Jusqu’à son dernier souffle, dans la tendresse d’une main caressant ses cheveux.
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Fin de vie : le tabou français
Depuis l’adoption de la loi Claeys/Leonetti en 2016 instaurant le « droit à la sédation profonde et continue pour les patients en toute fin de vie dont la souffrance est insupportable », le débat sur le droit à choisir sa fin de vie bouleverse régulièrement la société française. Le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran a annoncé mi-mars un nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie. Une nouvelle proposition sur des soins palliatifs mais pas sur l’euthanasie active ou médicalement assistée, comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays européens. Un sujet tabou en France. Preuve récente de la frilosité des législateurs à se pencher sur cette question, le 11 mars 2021, la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie a purement et simplement décidé de retirer sa proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité. Le Sénat venait de voter la suppression de l’article Ier, considérée par l’auteure comme le « cœur de sa proposition » de loi visant à « faire évoluer la législation vers une aide active à mourir, seule voie permettant d’ouvrir et de faciliter le libre choix de nos concitoyens pour leur fin de vie. »
Source :
« La Nouvelle république » – Xavier Benoit (rédaction de Poitiers) 31.03.21