Fin de vie : « Offrons une possibilité apaisée de mourir »
TRIBUNE
Martine Lombard
Professeure émérite de droit public
Alors qu’un tribunal a innové en relaxant un vétérinaire qui a aidé un homme à mourir, la professeure de droit Martine Lombard fustige, dans une tribune au « Monde », l’ampleur de l’impasse de la législation actuelle sur la fin de vie.
Un « état de nécessité » face à « une impasse législative ». Pour ce motif, le tribunal, correctionnel d’Angers a relaxé, le 2 mai, un vétérinaire qui avait prescrit un produit euthanasiant à un ami atteint de la maladie de Charcot. Pour échapper à des souffrances qu’il jugeait intolérables, celui-ci avait fait plusieurs tentatives de suicide, et toute sa famille connaissait sa détermination à mourir. Elle soutenait devant le tribunal celui qui l’avait enfin aidé à pouvoir se suicider.
La question est à nouveau posée par ce jugement sur « l’état de nécessité » : le législateur français prendra-t-il enfin ses responsabilités ?
Des cours constitutionnelles toujours plus nombreuses, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Italie, etc. ont dit clairement que le droit à la vie n’implique pas l’obligation de la supporter jusqu’à la lie lorsqu’elle n’est plus que souffrance. Des lois sont votées un peu partout en Europe, y compris dans l’Espagne catholique, pour organiser une aide à mourir lorsqu’il est constaté par les médecins que les soins palliatifs sont impuissants. A condition d’être exprimée avec une volonté libre et réfléchie, la demande d’être aidé à mourir doit alors être entendue.
En France, la liberté de mourir est certes aussi reconnue puisque le suicide n’est plus réprimé depuis la Révolution. Mais c’est ici une liberté qui ne peut s’exercer que dans la violence dirigée contre soi. Et une liberté factice, notamment pour qui est paralysé par la maladie.
Idéologie masquée
La France bat ainsi de tristes records de suicides de personnes âgées, pas seulement par solitude et abandon, mais aussi lorsqu’elles craignent de perdre leur autonomie.
Même Axel Kahn, opposant de toujours à « l’ultime liberté », celle de mourir, reconnaissait que « le risque d’une perte d’autonomie et d’une dépendance croissantes » pourrait le conduire à « souhaiter, [s’il n’était] pas en mesure de mettre [lui-même] fin à [ses] jours, qu’on [lui] apporte une assistance au suicide », mais, raisonnant en médecin, sans vouloir en transférer la responsabilité au législateur (L’Ultime Liberté, Plon, 2008). Mais tout le monde ne peut pas compter sur des confrères.
Aussi les Français sont-ils nombreux à partir en Suisse ou en Belgique pour bénéficier de la liberté de mourir sans violence qui leur est déniée en France. Comme les Britanniques et les citoyens des pays qui croient pouvoir s’en remettre aux seuls soins palliatifs pour en finir avec les situations de détresse. A tort, comme ces exils le prouvent.
Les Français expriment, sondage après sondage, leur souhait d’une évolution de la loi. On ignore souvent que la même demande s’est dégagée avec force des conférences citoyennes organisées sur ce thème par le Comité consultatif national d’éthique, comme la loi de 2011 sur la bioéthique l’y obligeait. Par deux fois, la majorité de ses participants s’est prononcée, tant en 2013 qu’en 2018, pour l’ouverture du suicide assisté ou pour qu’un tiers puisse directement aider à mourir la personne qui le demande. Par deux fois, ses voix ont été étouffées sous le concert conservateur des institutions officielles également consultées (ordre des médecins, Académie de médecine, etc.).
Il est d’autant plus important qu’une convention citoyenne puisse cette fois se dérouler sans être entravée par l’idéologie masquée, voire par une certaine arrogance de telles institutions.
Par exemple, lorsque les statuts d’une association comme la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) précisent que la mort doit être un « processus naturel », comment attendre d’elle autre chose que l’idée que le développement des soins palliatifs est nécessaire, ce qui est évidemment indiscutable, mais serait aussi l’unique solution, censée répondre à tout, ce qui est notoirement faux ?
La piste du référendum
L’idéologie est encore plus dangereuse lorsqu’elle avance masquée. Ainsi des éléments de langage de la SFAP, repris par exemple par Eric Zemmour, voudraient que la France ait inventé avec les soins palliatifs une « troisième voie », entre « laisser souffrir » et « faire mourir », qui serait le système belge. Comme si les soins palliatifs n’existaient pas autant en Belgique qu’en France ! Ils y ont été développés avant la France et y sont plus accessibles qu’en France.
C’est bien cette arrogance institutionnelle qu’une convention citoyenne devra pouvoir bousculer si elle veut, cette fois, aller au bout de sa mission.
Il restera ensuite à traduire ses conclusions en actes. N’écartons pas trop vite pour ce faire la piste du référendum. S’il était décidé, comme en Belgique ou au Canada, que le service public de la santé doit pouvoir offrir une prestation exceptionnelle d’aide à mourir, sous des conditions contrôlées par les autorités publiques, cela pourrait a priori entrer dans le champ de l’article 11 de la Constitution.
Car l’enjeu, si le choix est d’écouter les Français, tous les Français, sera au moins double :
offrir une possibilité apaisée de mourir à certains, sans qu’ils ne soient plus pris en otage par les valeurs de ceux qui prônent le respect absolu de la vie, mais protéger aussi la liberté de conscience de ces derniers et tous ceux, nombreux dans les faits lorsqu’ils sont concrètement confrontés à la mort, qui veulent vivre jusqu’au dernier instant possible.
C’est aussi précisément l’un des enseignements apportés par la pratique des nombreux pays étrangers que de constater, paradoxalement peut-être, que la liberté de mourir, quand elle est entourée de garanties, peut aider aussi à vivre. Une convention citoyenne organisée par le Conseil économique, social et environnemental comme nouvelle « chambre de la participation citoyenne » devra permettre de ne plus les occulter, même si leur expérience est perfectible.
Martine Lombard, professeure émérite de droit public à l’université Paris-II Panthéon-Assas