OTTAWA — Nicole Gladu n’a plus le temps de débattre de la protection des personnes vulnérables contre toute contrainte extérieure pour les pousser vers l’aide médicale à mourir.
La Québécoise de 75 ans est confinée à son fauteuil roulant en raison du syndrome de post-poliomyélite, une maladie dégénérative qui a réactivé au cours des 25 dernières années la scoliose de son enfance, affaibli ses muscles, déformé son corps et rendu difficile sa simple respiration.
Mais Mme Gladu vit toujours de façon autonome dans son condo au 14e étage d’une tour, « pourvue de commodités mais aussi d’une vue imprenable sur le fleuve où se reflète la beauté des couchers de soleil ». Elle chérit son autonomie — y compris le droit de demander l’aide médicale pour mettre fin à ses souffrances lorsqu’elle décidera que la douleur est devenue intolérable.
Avec Jean Truchon, Mme Gladu a contesté avec succès la constitutionnalité de la disposition de la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir qui prévoyait que cette procédure ne pouvait être accordée qu’aux personnes dont la mort naturelle était « raisonnablement prévisible ».
À la suite de la décision de la juge Christine Baudouin, de la Cour supérieure du Québec, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau a déposé le projet de loi C-7, actuellement étudié par le Sénat, pour étendre l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes qui ne sont pas « en fin de vie ».
Mme Gladu rejette les critiques paternalistes qui soutiennent que le projet de loi laisse les personnes vulnérables handicapées exposées à des pressions directes ou indirectes, par le biais d’attitudes sociétales et d’un manque de services de soutien, pour qu’elles demandent l’aide médicale à mourir. « La vulnérabilité est un concept utilisé ad nauseam par les bien portants paternalistes faisant obstacle à l’aide médicale à mourir », soutient-elle.
Elle rejette également l’argument — avancé par des groupes de défense des droits des personnes handicapées et repris par la majorité des députés conservateurs — selon lequel le projet de loi envoie le message que la vie avec un handicap ne vaut pas la peine d’être vécue. « Mon parcours de vie (75 ans) prouve qu’un handicap peut stimuler à faire reculer ses limites !»
Mme Gladu a accordé une entrevue à La Presse Canadienne par courriel, parce qu’elle ne se sentait pas assez bien pour une entrevue téléphonique.
Droit à la liberté
Ni Mme Gladu ni M. Truchon, dont la paralysie cérébrale l’avait privé de l’usage de ses quatre membres, n’étaient admissibles à l’aide médicale à mourir, parce qu’ils n’étaient pas en « fin de vie ». Ils ont contesté en cour la validité de cette disposition de la loi fédérale et une disposition similaire de la loi québécoise.
L’automne dernier, la juge Baudouin a invalidé l’exigence de « mort raisonnablement prévisible » et l’exigence de « fin de vie » du Québec, parce que ces dispositions violent les droits à la liberté et à la sécurité, garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Le projet de loi C-7 vise à mettre la loi fédérale en conformité avec cette décision. Il supprimerait l’exigence de « mort prévisible », mais mettrait en place deux voies pour obtenir l’aide médicale à mourir : des règles quelque peu assouplies pour ceux qui sont proches de la mort, et des règles plus strictes pour ceux qui ne le sont pas.
Mme Gladu estime que ce projet de loi est « plus ou moins » conforme à la décision de la juge Baudouin: elle souligne ainsi qu’il imposerait «un nouveau mais bref délai» pour évaluer les demandes de ceux qui ne sont pas près de la mort.
Le projet de loi a suscité de vives objections de la part de groupes de défense des droits des personnes handicapées et de politiciens conservateurs. Ils soutiennent que les personnes ayant des incapacités débilitantes sont victimes de discrimination lorsqu’elles ne sont pas en fin de vie et, par conséquent, se font effectivement dire que leur vie n’est pas d’égale valeur.
Ces opposants soutiennent que de nombreuses personnes handicapées sont marginalisées, vivent dans la pauvreté et sans les services de soutien qui rendraient leur vie plus épanouissante. Pour ces personnes, choisir l’aide médicale à mourir ne constitue pas un véritable choix, soutiennent-ils.
« Parcours atypique »
Mais Mme Gladu ne correspond pas du tout à cette description — ce qui explique en partie la conclusion de la juge Baudouin : que chaque cas doit être évalué au mérite, et qu’une exclusion générale des personnes qui ne sont pas à la fin naturelle de leur vie constitue une violation de leurs droits garantis par la Charte.
Mme Gladu assure qu’elle n’a jamais manqué de quoi que ce soit pour mener une vie bien remplie. Dans sa jeunesse, son père, enseignant, lui a donné un accès aux livres. « La culture est devenue mon passeport dans la vie, développant mon imaginaire de sorte que j’ai rêvé ma vie avant de vivre mes rêves dans les communications, au Québec et à l’étranger », écrit-elle.
À cause de la polio, contractée à l’âge de quatre ans, elle a d’abord été scolarisée à domicile. Mais elle est finalement allée à l’université, est devenue journaliste et a travaillé à Paris puis à New York, où elle a été attachée de presse aux Nations unies avant de revenir au Québec pour prendre sa retraite.
« Mon parcours atypique témoigne selon moi d’un caractère très autonome, qui culminera avec la mort », soutient-elle.
Jusqu’à ce que la loi fédérale soit modifiée pour supprimer le critère de « mort raisonnablement prévisible », la juge Baudouin a donné à Mme Gladu et à M. Truchon — et à d’autres dans la même situation — le droit de demander des exemptions judiciaires individuelles pour recevoir l’aide médicale à mourir. M. Truchon, à 51 ans, s’est prévalu de son droit en avril dernier. Il a expliqué qu’il avait décidé de devancer la date de sa mort en raison de la pandémie de COVID-19.
Mme Gladu ne s’est pas prévalue de la procédure, mais elle assure que l’existence même de cette possibilité lui assure une tranquillité d’esprit, alors que son état se détériore. Après le jugement Baudouin, elle estimait qu’on lui avait « rendu sa liberté » de choisir.
Source : « L’Actualité », « La Presse Canadienne » par Joan Bryden 16.12.2020