2021 devrait être l’année de l’autorisation de l’euthanasie en Espagne. La France, toujours réticente à la réguler, va se retrouver avec quatre pays frontaliers où euthanasie ou assistance au suicide sont légales.
Belgique, Canada, Luxembourg, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas et bientôt. Espagne. Sauf revirement de situation, le pays ibérique deviendra en 2021 le sixième au monde à autoriser l’euthanasie. Une proposition de loi allant en ce sens a été approuvée au parlement le 17 décembre. Le texte doit passer par la case Sénat avant de revenir auprès des députés, pour être entériné.
Au programme des socialistes, appuyée par des associations et mise en lumière par des cas médiatisés, l’euthanasie pourra être pratiquée pour cause de « maladie grave, chronique et invalidante, ou d’une maladie grave et incurable, causant des souffrances intolérables ». L’acte sera réalisé dans des établissements publics, privés ou au domicile du patient. Les substances pourront être administrées par un professionnel de la santé ou sous forme d’auto administration.
CONSENSUS
Politiquement fracturée sur de nombreux sujets, l’Espagne retrouve un semblant d’unité autour de la question euthanasique. La proposition de loi est passée sans accroc notable, recueillant 198 votes pour sur 350. Elle a été soutenue par les socialistes, la gauche Podemos, des forces régionalistes mais aussi Ciudadanos. Même parmi les opposants (138 votes contre), les critiques du Parti populaire (droite) ont été moins virulentes qu’à l’accoutumée, et les plus offensives sont venues de Vox (extrême droite).
La société espagnole elle aussi y est globalement favorable. Le sondage le plus récent, publié par l’institut Metroscopia en avril 2019, donnait un soutien de 87 %. De quoi mettre à mal la réputation de pays à tradition catholique et conservateur. Si l’Église a encore de l’influence dans certains corps sociaux, la population change et les clichés espagnols ont désormais la vie dure.
UNE PROCÉDURE TRÈS ENCADRÉE
Ce projet de loi, brandi comme une nouvelle conquête sociale, tend à présenter au monde une Espagne aux tonalités avant-gardistes. Le ministre de la Santé, Salvador Illa, y insiste en parlant de « société démocratique et mature ». Le gouvernement socialiste poursuit le travail de mise à distance de la dictature franquiste, aux affaires jusqu’à la fin des années 70, dont l’image et l’héritage se font encore sentir aujourd’hui.
Le projet fait aussi consensus parce qu’il comprend une batterie de garanties. Le patient, majeur, devra avoir démontré qu’il agit en plein état de conscience. S’il n’est pas reconnu conscient à ce moment-là, il pourra y accéder en ayant préalablement rédigé des documents attestant de sa volonté, et légalement reconnus. Le processus pourra être facilité par un interlocuteur désigné. Le patient devra faire deux demandes par écrit, certifier qu’il ne subit aucune pression extérieure, avoir l’autorisation du médecin après que d’autres alternatives aient été étudiées, ou encore avoir le feu vert d’une commission spéciale composée de personnel médical et de juristes. Au bout du bout, plus d’un mois pourra s’être écoulé entre la première demande et l’acte. La personne concernée aura dû affirmer son vœu à plusieurs reprises.
« TOURISME DE LA MORT »
Si le projet de loi est validé, la France se retrouvera avec un troisième pays frontalier où l’euthanasie est autorisée – plus la Suisse, où l’on parle d’assistance au suicide (pas besoin d’être en phase terminale d’une maladie pour recevoir l’autorisation). Peut-on imaginer des Français se rendant en Espagne pour y avoir recours, une pratique parfois nommée « tourisme de la mort » ? Car de l’autre côté des Pyrénées, l’euthanasie ne sera pas ouverte qu’aux Espagnols. Pourront aussi y avoir accès les résidents légaux, ainsi que les personnes disposant d’un certificat de recensement municipal (empadronamiento) justifiant une présence sur le territoire supérieure à 12 mois.
Le même jour ou le parlement espagnol votait, la députée française Marine Brenier (Les Républicains) déposait une proposition de loi pour « l’aide active à mourir ». Des dispositifs existent déjà (soins palliatifs, sédation), mais les défenseurs de l’euthanasie les jugent insuffisants.