En 2020, Romain promettait de se suicider si l’euthanasie lui était refusée. Deux ans plus tard, il reprend goût à la vie et rêve de travail, de famille, de voyages…
Le gouvernement du Québec souhaite élargir les critères d’admission à l’aide médicale à mourir. Mais les législateurs ne souhaitent pas permettre cet accès aux personnes atteintes de maladie mentale. La Belgique a pourtant ouvert cette porte, il y a 20 ans. On n’y rapporte aucun cas d’abus médical. Au contraire. Voici l’exemple de Romain.
L’image est frappante. Romain a perdu du poids, il a le sourire facile, il est engageant envers Mathieu, le caméraman, et moi. Il nous dit : J’ai été en couple avec une fille, j’ai des amis, j’ai mon petit chien qui m’oblige à sortir tous les jours. C’est complètement différent aujourd’hui de lorsqu’on s’est vus.
C’était il y a plus de deux ans. Nous l’avions rencontré dans le cadre d’un reportage plus large sur l’aide médicale à mourir en Belgique, un des pays les plus permissifs du monde sur cette question.
Épuisé, Romain était arrivé au bout de son long parcours dépressif : les multiples tentatives de suicide, les hôpitaux, la psychiatrie, les médicaments, les psychothérapies et même les électrochocs étaient impuissants à soigner son mal. Il ne demandait qu’une chose : le droit de mourir dans la dignité.
« Oui, c’est vrai que, quand on s’est vus, j’étais vraiment dans l’optique de vouloir mourir… »
— Une citation de Romain
Dans le reportage de 2020, me regardant droit dans les yeux, il avait lâché cette phrase : Si l’euthanasie m’est refusée, je passerai à l’acte suicidaire.
Pour y arriver, selon les termes de la loi belge, Romain devait convaincre au moins deux médecins, dont un psychiatre, de l’incurabilité de son mal et de sa détermination à mettre fin à ses jours. Il a essuyé des refus. À cause de son jeune âge.
Aujourd’hui, il nous raconte la suite. C’est vrai qu’il y a eu un long parcours par rapport à la demande d’euthanasie. Et puis, finalement, j’ai pu rencontrer un médecin qui m’a bien aidé.
S’accrocher à la vie
Le Dr Léon Constant se disait prêt à évaluer la demande d’euthanasie de Romain. Je me suis positionné en disant : »Si tu es en confiance avec moi, si tu penses qu’on peut travailler ensemble, je vais devenir ton médecin traitant. Et on verra ensemble si l’euthanasie est la meilleure réponse. » Je n’ai pas dit oui, je n’ai pas dit non. J’ai dit : c’est possible, mais on va travailler.
Ce médecin est connu pour avoir pratiqué de nombreuses euthanasies en Belgique depuis l’entrée en vigueur de la loi, il y a 20 ans. Il juge qu’il s’agit d’un soin médical tout à fait acceptable quand tous les critères prévus par la loi sont remplis. Et Romain répondait à plusieurs de ces critères.
On parle de souffrance ici, pas de douleur physique, la loi est d’ailleurs très sage sur ce plan-là. Et si la souffrance est jugée par le patient inapaisable, insupportable, c’est un des trois critères. Romain n’est pas dément. Il ne souffre pas d’une maladie psychiatrique qui le prive de son jugement et de son libre arbitre. Donc, il est »euthanasiable ».
Restait le dernier critère : l’aspect incurable de la maladie. Là-dessus, le Dr Constant a voulu creuser la question. Il l’a fait pendant des mois avec Romain. Il a dirigé son patient vers des psychiatres. Et puis, le médecin est arrivé à cette conclusion : J’ai dit à Romain : »Je pense que le rapport que nous avons avec notre réalité psychique et notre cerveau est complexe. Il évolue avec le temps et il est marqué par des traumatismes d’enfance. Je pense que dans ton cas, c’est bien de cela qu’il s’agit. Et ça, ça peut être travaillé. Et avec le travail, on peut arriver à d’autres solutions que la mort. »
Peu à peu, contre toute attente, grâce au Dr Constant, le jeune dépressif a repris goût à la vie.
La clé? J’ai trouvé avec lui une écoute que je n’avais eue nulle part ailleurs, dit Romain.
Le reste s’est enchaîné. Réduction de la médication, perte de poids, gain de confiance…
Je vis des choses aujourd’hui, ajoute Romain. J’ai mon appartement. Et, comment dire, je me dis que si la vie c’est ça, je suis peut être d’accord de continuer.
Jacqueline Herremans, présidente de l’Association belge pour le droit de mourir dans la dignité
Je ne pense pas qu’il y a eu un déclencheur, un fait précis, nous dit Jacqueline Herremans, avocate et militante, à propos de l’évolution de Romain. Elle le connaît bien. Elle l’a accompagné dans sa quête pendant des années. Et c’est elle qui a présenté Romain au Dr Constant.
« Quand j’ai vu tout doucement Romain se dégager de cela, ne plus parler de suicide au cas où on n’entendrait pas sa demande d’euthanasie et même reprendre ses études, j’ai poussé un ouf de soulagement. »
— Une citation de Jacqueline Herremans, avocate et militante
Jacqueline Herremans est membre de la Commission d’évaluation nationale de contrôle de la loi sur l’euthanasie depuis son adoption en mai 2002. Elle explique que les motifs pour obtenir l’aide à mourir se sont diversifiés avec le temps.
Au départ, on n’avait pas nécessairement pensé à des cas de demandes d’euthanasie pour raisons psychiatriques. Nous pensions : cancer, maladies neurodégénératives, etc. Et puis, les demandes sont arrivées assez rapidement en ce qui concerne des patients atteints de dépression chronique pour lesquels il n’existait pas de possibilité de traitement.
C’est ce qui pourrait bien arriver un jour au Canada. L’avocate belge a d’ailleurs été auditionnée par le comité parlementaire responsable du projet de loi actuellement à l’étude à l’Assemblée nationale du Québec.
Jacqueline Herremans, le Dr Constant et Romain sont tous d’accord : la loi belge est bien faite. Je peux me prendre comme exemple, dit Romain. Finalement, on m’a proposé autre chose, on a essayé autre chose, aujourd’hui, ça fonctionne.