Voici la lettre émouvante envoyée par Dragica Roddier, membre du Choix, aux députés, députées, sénateurs et sénatrices.
Vous pouvez également lire l’article de la radio ICI Nord avec son témoignage en vidéo
Dragica Roddier
Lille
Membre de l’association Le Choix – citoyens pour une mort choisieQue ma voix résonne dans vos consciences
Lettre aux députés, députées, sénateurs et sénatrices
Mesdames, Messieurs,
Je m’appelle Dragica Roddier, née en Serbie dans l’ex Yougoslavie en 1951.
Je suis arrivée en France sans pouvoir continuer mes études, à cause de la grande pauvreté dans laquelle était ma famille. J’avais 17 ans.Pourquoi la France ? Parce que j’ai toujours aimé la France et parce qu’en Serbie, on aimait les français, la France pour tout ce qu’elle représente : la culture, les gens, la solidarité, les droits … La seule demande de mon père était de ne pas aller en Allemagne car toute sa famille avait été tuée par les allemands pendant la seconde guerre mondiale.
Tout ce qui concernait la France, un petit livre, une carte postale déchirée, tout m’intéressait, pour y vivre, pas juste gagner de l’argent et repartir. J’y ai fait ma vie avec un français et nous avons une fille.Pourquoi je vous raconte ça, et j’en passe ?
Parce qu’aujourd’hui je dois quitter la France et aller en Belgique pour ce droit qui m’y sera accordé : l’euthanasie. Je ne peux plus vivre la vie que je vis à l’heure actuelle :
5 opérations en 4 mois, pas de solution pour régler les problèmes de transit, de respiration, les autosondages permanents. Après ces opérations, j’ai fait 2 mois de centre de réadaptation. J’ai récupéré l’usage de mes jambes mais je n’arrive pas à avancer à cause de mes problèmes de respiration. J’ai perdu 40 kg. Je n’ai plus d’appétit. J’ai eu une poche qu’aujourd’hui je refuse de porter.Essayez de dormir une seule nuit « dans la merde » pour savoir ce que c’est, se coucher avec la peur de s’endormir parce que c’est à ce moment là que ça arrive, aller aux toilettes jusqu’à 17 fois dans la journée, prendre un médicament pour stopper ça et être bloquée 3 jours et de souffrir comme si des pierres se décrochaient dans mon ventre.
Ça fait un an et demi que ça dure. Je suis de plus en plus faible, je n’arrive plus à me lever pour arriver à temps, je chute, je tombe par faiblesse.Je n’ai plus de vie.
Toute ma vie, j’ai été une militante : la solidarité pour les plus démunis, les vieillards, les enfants, les animaux … Aujourd’hui, « je pourris dans mon lit ». Je n’ai pas de maladie mortelle mais je ne peux plus rien faire. Je ne peux plus sortir. Ma vie c’est « toilettes, lit, toilettes », jusqu’à m’endormir dans les toilettes. Je ne vois plus personne, je n’ose plus sortir de chez moi. Je n’irai
pas plus loin, je n’ai plus de vie.Je suis obligée d’aller chercher de l’aide en Belgique. Est-ce normal dans un pays comme la France ?
Je remercie, et le mot est faible, les médecins belges parce qu’ils m’ont écoutée, ils ont compris ma souffrance, ils m’ont reçue. Je remercie, je ne remercierai jamais assez, celui qui va m’endormir. Je remercie aussi le médecin de l’association Le Choix qui m’a accompagnée dans cette démarche.
Je m’adresse à vous, mesdames et messieurs les députés, députées, sénateurs et sénatrices parce que la loi qui se prépare n’est pas suffisante. La France a plus de 20 ans de retard sur ses voisins, belges, hollandais, luxembourgeois. Faites une bonne loi, une loi qui ne laisse pas les gens souffrir, une loi à l’écoute des patients, une loi qui respecte leurs choix. Le projet de loi actuel ne prend pas en compte des situations comme la mienne. Une loi juste, c’est une loi qui ne laisse personne de côté.
Quand vous lirez cette lettre, je ne serai plus là. J’espère que ma voix résonnera dans vos consciences et qu’elle vous guidera dans l’écriture d’une loi plus humaine. J’ai confiance en vous comme des milliers de personnes qui attendent et espèrent.
Le 20 février 2025,
Dragica Roddier