France – Les ambiguïtés et insuffisances de l’actuelle loi autorisant une sédation profonde et continue jusqu’au décès ont à nouveau été soulevées dans le cas d’Alain Cocq. Trop restreint, le droit à une fin de vie digne pousse les médecins français à l’illégalité, et plonge les familles dans la douleur.
Huit ans de coma végétatif sur vingt-huit années de vie. Hervé Pierra a 20 ans, en 1998, lorsqu’il est hospitalisé, puis plongé dans ce coma végétatif irréversible, ses parents à son chevet. « Il faudra prendre vos dispositions, votre enfant va rester dans cet état-là », leur lâche-t-on, au bout d’un couloir.
De l’autre côté du téléphone, Danièle Pierra se souvient de tout : le bavoir attaché au cou de son fils lorsqu’il était nourri, « gavé », dit-elle, car il ne pouvait s’alimenter qu’à l’aide d’un tuyau relié de sa bouche à son estomac ; les expectorations si puissantes qu’elle retrouvait des traces sur le mur face à son lit ; et ce pouce qui n’exerçait aucune pression quand elle lui parlait, et qui aurait été la preuve d’un « embryon de conscience ». Ne répondant ni aux sollicitations, ni aux stimulations, Hervé, son enfant, transitait de la veille au sommeil.
« Notre fils est mort dans des conditions abominables »
Les époux Pierra, désormais retraités, se rappellent aussi de ces longues réunions entre médecins, qui ont débattu du sort de leur garçon durant seize mois : de la parution des décrets de la première loi Leonetti – du nom du député Jean Leonetti – autorisant fin juin 2005 le « laisser-mourir », au 6 novembre 2006, lorsque l’équipe médicale a retiré sa sonde d’alimentation.
Danièle, Paul, et leurs deux filles, ont assisté à l’agonie d’Hervé durant six long jours. « Ce 12 novembre, lorsqu’il est mort dans des conditions abominables, avec des crises de convulsions traumatisantes, nous nous sommes jurés, tous les quatre enlacés autour de lui, de nous battre pour qu’un tel drame n’arrive plus, pour aucune famille », rembobine le couple auprès de Marie Claire.
Nous nous sommes jurés, tous les quatre enlacés autour de lui, de nous battre pour qu’un tel drame n’arrive plus, pour aucune famille.
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Pourtant, depuis la disparition de leur fils, d’autres familles ont dû faire face à des situations aussi désespérantes, et d’autres patients en fie vie ont donné malgré eux leur nom à des « affaires » devenues médiatisées et politiques, Anne Bert, Chantal Sébire, Vincent Lambert, et plus récemment Alain Cocq. Atteint d’une maladie dégénérative et de souffrances réfractaires aux traitements depuis trois décennies, cet homme de 57 ans a voulu filmer son agonie et la diffuser en direct sur Facebook, qui a bloqué son contenu. Après avoir interrompu ses traitements, son alimentation et son hydratation, le 4 septembre 2020, Alain Cocq a accepté quatre jours plus tard de les reprendre, et a finalement consenti à des soins palliatifs.
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Par ce geste fort et politique, ce quinquagénaire militant de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), favorable à l’euthanasie mais aussi au suicide assisté, entendait alerter les internautes sur les ambiguïtés de la loi Claeys-Léonetti, adoptée en 2016. Il souhaitait notamment dénoncer le fait qu’elle n’autorise la sédation qu’aux personnes dont le pronostic vital est engagé « à court terme ». Ce qui n’est pas son cas.
La loi Claeys-Léonetti, douloureuse et « hypocrite »
Les militants pour le droit à une fin de vie digne reprochent surtout à cette loi sa technique de « sédation profonde et continue jusqu’au décès », et dénoncent son hypocrisie.
« La méthode de la sédation consiste à interrompre tout traitement, mais aussi l’alimentation et l’hydratation », nous explique le député LREM du Rhône Jean-Louis Touraine, rapporteur de la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique. « On crée en fait une insuffisance rénale pour que le patient sédaté décède au bout de deux semaines, parfois trois, selon la résistance de son corps. »
L’élu, aussi auteur de Donner la vie, choisir sa mort. Pour une bioéthique de liberté*, juge « terrible » d' »induire une maladie qui aujourd’hui est curable, mais que les médecins ne traiteront pas, puisque l’objectif est le décès du patient ». Pour lui, il serait « plus éthique de faire mourir ces gens en quelques minutes, à l’aide d’un produit létal, qui les endort et qui entraîne l’arrêt cardio-respiratoire ».
C’est cette possibilité d’administrer un produit à visée létale, dans certaines conditions très encadrées, qu’il souhaite ajouter à la loi sur l’accompagnement des patients en fin de vie. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a également prôné, en conclusion d’un rapport rendu en avril 2018, la légalisation de la « sédation profonde explicitement létale » pour les personnes en fin de vie qui la demanderaient.
Une épreuve pour les proches et les soignants
La sédation, telle que permise à ce jour, est « une sorte de mort du corps avant la mort », insiste Jean-Louis Touraine. « Déshydraté, le corps souffre », dit l’homme politique par ailleurs professeur de médecine en transplantation et immunologie. « Effrayant pour les proches… », soupire-t-il. « Abominable », renchérit de son côté Danièle Pierra, qui a vu le corps de son fils se dégrader.
Imaginez que vous êtes Rachel Lambert. Que reste-t-il de l’amour de votre vie après neuf jours de sédation ?
« Imaginez que vous êtes Rachel Lambert [épouse de Vincent Lambert, ndr]. Que reste-t-il de l’amour de votre vie après neuf jours de sédation ? », interroge Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD, qui s’empresse d’ajouter que « certaines personnes diront que les neufs derniers jours de Vincent Lambert furent le temps nécessaire des adieux ». « Mais on peut dire au-revoir avant, puis administrer un produit létal, qui ferait partir le patient en paix et en dix minutes », plaide-t-il.
Dans Blackbird** par exemple, Susan Sarandon joue Lily, grand-mère atteinte d’une maladie dégénérative incurable qui décide de réunir son mari, leurs enfants et petits-enfants le temps d’un week-end, avant d’être euthanasiée. C’est aussi pour ce type d’adieux apaisés que militent Philippe Lohéac et Jean-Louis Touraine, qui nous ont tous deux cité ce drame américain récemment sorti en salle en France.
Pour les soignants aussi, assister à l’agonie de leur patient est difficile à supporter.
« Pour les soignants aussi, assister à l’agonie de leur patient est difficile à supporter », pointe par ailleurs le député. La mère d’Hervé témoigne en ce sens : « Il m’est arrivé de prendre dans mes bras une jeune élève infirmière, qui était là en stage, et qui avait les yeux embués de larmes devant le lit de notre fils ».
Pour la femme de 69 ans, cette loi est une euthanasie qui ne dit pas son nom. « Mais ce n’est pas une euthanasie pratiquée en quelques heures, plutôt une sorte de laisser-mourir », s’indigne-t-elle, avant de souligner la « totale hypocrisie » d’une législation qui permet une mort lente mais interdit une piqûre qui abrégerait la souffrance du patient et éviterait un traumatisme à ses proches.
Une autre « hypocrisie » est soulevée par Jean-Louis Touraine. Il rappelle que chaque année en France, de nombreux patients font bel et bien l’objet d’un traitement thérapeutique d’aide active à mourir. « En catimini, et puisque c’est illégal, sans l’avis de la personne concernée pour la majorité des cas. Une équipe médicale dit alors ‘C’est fini’, par compassion ou pour que cette personne libère un lit », résume-t-il, avant de s’insurger : « Dans le même pays où l’on interdit aux patients en fin de vie et en phase terminale qui le souhaitent d’être aidés à mourir, on injecte un produit létal à d’autres qui n’ont rien demandé. C’est là, pour moi, la suprême des incohérences et des hypocrisies. »
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Ne plus voir la mort d’un.e patient.e comme un échec
Si cette loi cumule tant d’absurdités, qui s’opposerait alors à sa modification ? Une partie des soignants, selon Jean-Louis Touraine et l’ADMD. Et cela ne changera pas « tant que dans les facs de médecine, on fera croire aux futurs professionnels que la mort est l’échec du médecin, estime le délégué général de l’association présidée par le socialiste et adjoint à la mairie de Paris Jean-Luc Romero-Michel. C’est cette culpabilité-là qui les pousse à maintenir en vie, malgré tout, le patient à l’état irréversible. »
« Spontanément, les médecins continuent de traiter des moribonds pour y gagner quelques heures de survie. Ce n’est pas de leur faute, cela traduit une carence de leur formation », estime également Jean-Louis Touraine.
Ce dernier prend pour exemple ces chimiothérapies pratiquées sur des cancéreux dans leurs dix derniers jours de vie. Le professeur de médecine a « parfois [été] obligé de se battre pour faire respecter à certains collègues la loi sur l’interdiction de l’acharnement thérapeutique ».
« Certaines familles de patients en phase terminale d’un cancer ou d’autres atteints de la maladie de Charcot se sont vus objecter des choses hallucinantes comme ‘Il se nourrit donc c’est la preuve qu’il vit’, citent à leur tour les Pierra, en contact régulier avec d’autres familles ayant vécu la même épreuve qu’eux.
Ils ont eu peur d’être accusés d’euthanasie et ont essayé de mettre des garde-fous partout autour d’eux.
Danièle Pierra a l’impression que les médecins de son fils ont eux aussi refusé cet « échec ». « Tout en sachant que la cause était perdue, ils ont été le chercher pour le ramener dans cette sorte de non-vie », déplore-t-elle.
S’ajoute à cela, pour le cas d’Hervé Pierra, la frilosité du corps médical face à l’un des premiers patients dont la situation entrait dans le cadre de la loi Léonetti depuis son vote. « Je crois qu’ils ont eu peur d’être accusés d’euthanasie s’ils appliquaient le protocole Léonetti. Jusqu’au bout, cette crainte a pu transparaître dans leurs différentes démarches, leurs écrits, leur manière de s’adresser aux différents Conseils de l’Ordre régionaux… Ils ont essayé de mettre des garde-fous partout autour d’eux », analyse aujourd’hui la mère, qui n’a pourtant aucune once de ressentiment dans la voix.
Des opposants aussi du côté des « hiérarchies religieuses »
Outre certains médecins, s’oppose aussi à cette loi la « hiérarchie religieuse », selon l’expression de Jean-Louis Touraine, qui tient à ne pas pointer du doigt les fidèles.
Un sondage mené par l’Ifop, paru en janvier 2018 dans La Croix, relève que 72% des catholiques pratiquants se déclarent favorables à l’évolution de la loi sur la fin de vie, contre 96% de Français, selon, cette fois, le dernier sondage Ipsos, publié en 2019. « Et pourtant, si vous interrogez les archevêques, très peu se prononceront en ce sens, regrette l’élu. Parce que la doctrine officielle de l’Église catholique, comme de certaines autres religions, interdit fermement l’euthanasie. »
L’ADMD parle, elle, de « pression religieuse ». Et si son délégué général comprend qu’Emmanuel Macron consulte les représentants des religions monothéistes sur les dossiers relatifs à la bioéthique, il condamne ceux qui tentent d’imposer leur dogme.
La famille Pierra a fait face à ces détracteurs religieux. Paul Pierra, à l’époque capitaine à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, a su sauver in extremis son fils, découvert pendu. Mais son coeur ayant été trop privé d’oxygène, le jeune homme a dû être plongé dans un coma végétatif irréversible. « L’intelligentsia des catholiques intégristes s’en est fait les gorges chaudes, se souvient douloureusement son épouse. Un enfant qui tente de se suicider, déjà, vous êtes discrédités d’emblée en tant que parents. »
Danièle Pierra cite, parmi ceux « capables de tout », Alliance-VITA, une association du mouvement qui se qualifie de « pro-vie », et qui milite principalement contre l’avortement et l’euthanasie, ainsi que « Monsieur Remontada ». Elle a surnommé ainsi Maître Jean Paillot, l’avocat des parents de Vincent Lambert, qui avait fait polémique en mai 2019, en euphorisant sur l’antenne de BFM TV « C’est la remontada ! », alors qu’il venait d’apprendre la suspension de l’arrêt des soins sur le fils de ses clients.
Des pays voisins favorables à l’euthanasie
Face à la réticence de certains médecins et l’opposition des autorités religieuses, la France avance à pas prudents. Au point qu’elle est en retard sur beaucoup d’autres pays d’Europe occidentale, des Pays-Bas à l’Espagne.
« Cette grande prudence a son avantage : on peut observer ce qui se fait ailleurs, savoir alors exactement de quelle manière encadrer le projet pour qu’il n’y ait pas de dérapages, quelle commission créer… », énumère Jean-Louis Touraine. Qui nuance aussitôt : « Mais c’est vrai que pendant ce temps-là, nombreux en France sont morts dans des conditions pitoyables. »
D’autres patients éprouvés ont pu partir à l’étranger, à l’instar de l’écrivaine française Anne Bert, atteinte de la maladie de Charcot, qui a reçu une injection létale dans un hôpital belge le 2 octobre 2017. « Mais quand vous êtes si malade, en fin de vie, vous n’êtes souvent plus suffisamment mobile pour vous y rendre, pointe le député LREM. Et puis, mourir à l’étranger, ajoute-t-il, ce n’est pas un cadeau que l’on fait à ses proches qui doivent rapatrier le corps. »
Les Pierra auraient-ils pu faire le voyage vers la Belgique ou la Suisse avec Hervé ? Impossible, car il était inconscient. Mais le directeur de l’hôpital lui-même leur avait glissé que « si c’était [s]on fils, [il] partirait à l’étranger ».
Un débat à l’Assemblée : pour quand ?
Des parlementaires se réunissent en groupe d’étude sur la fin de vie mensuellement – virtuellement désormais, Covid-19 oblige – et auditionnent des voix plurielles, dont des médecins étrangers, pour s’inspirer.
Des Belges par exemple, qui utilisent le terme d' »euthanasie » plus facilement que les Français, a remarqué Jean-Louis Touraine. « Pour eux, ‘euthanasie’ signifie simplement ‘mort douce’, mais ici, en France, le mot a une connotation négative. Il est souvent employé pour parler d’une mort induite pour une personne qui ne l’aurait pas demandée. Le terme est juste, mais j’emploie plutôt l’expression ‘aide active médicalisée à mourir’, pour que l’on comprenne bien que je milite pour que le patient choisisse », développe-t-il.
Ces derniers mois, le député a modifié sa proposition de loi déposée sur le bureau de l’Assemblée Nationale en 2017, et pas encore débattue à ce jour. Il y a intégré les cas de Vincent Lambert et Alain Cocq, mais aussi, les suffocations des patients infectés par la Covid-19 en Ehpad, et de ceux atteints de maladies neurodégénératives, ne pouvant donner leur point de vue. Pour ceux-là, deux solutions sont proposées : formuler des directives anticipées, déjà possibles pour les personnes majeures, ou désigner une personne de confiance.
Bien que l’avis rendu mardi 25 septembre par le comité national d’éthique ne prévoit pas de modification de la loi dans le sens souhaité par Jean-Louis Touraine, ce dernier assure être « optimiste ». L’enjeu est « urgent », estime-t-il, alors que « beaucoup de SOS et de témoignages » parviennent à l’ADMD via les réseaux sociaux, d’après son délégué général, Philippe Lohéac.
Nous avons eu tellement de déceptions, à chaque gouvernement, que je ne veux pas avoir de fausses joies.
Si à droite de l’hémicycle le sujet divise, l’élu LREM sollicite actuellement une majorité de députés favorables, pour qu’ils cosignent son texte modifié qu’il va, ces prochains jours, déposer à nouveau.
Il reviendra ensuite au président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, de fixer l’agenda parlementaire. Mais Jean-Louis Touraine est sûr que ces modifications en faveur d’une sédation létale finiront par être adoptées.
Danièle Pierra en est moins persuadée. « Nous avons eu tellement de déceptions, à chaque gouvernement, que je ne veux pas avoir de fausses joies ». Elle analyse : « Il faut quand même un recul et un certain apaisement pour aborder cette question. Au vu de la situation actuelle de la France, en proie à ce virus et à ses conséquences, je ne crois pas que le débat sur la fin de vie fasse partie des priorités du Président. »
En 2017, Emmanuel Macron avait affirmé, face à Laurence Ferrari, vouloir « choisir [s]a fin de vie ». « Il veut choisir pour lui-même, rappelle Jean-Louis Touraine. Moi je pense que, comme tout bon président, il veut accorder les mêmes droits que les siens à ses concitoyens. »
* Donner la vie, choisir sa mort. Pour une bioéthique de liberté, éditions Érès, 2019
**Blackbird, de Roger Michell, avec Susan Sarandon et Kate Winslet, déjà en salle
Source :
« Marie-Claire » Juliette Hochberg 07/10/2020