(Ottawa) À quelques jours de la fin des travaux parlementaires, et à deux semaines de la date butoir fixée par la Cour supérieure du Québec dans le dossier de l’aide médicale à mourir, le ministre de la Justice David Lametti exhorte le chef conservateur Erin O’Toole à rappeler ses troupes à l’ordre.
Les députés ont débattu du projet de loi que le gouvernement Trudeau a élaboré en réponse à la décision Truchon-Gladu jusqu’à 22 h 40 environ, mercredi soir. La majorité des conservateurs qui ont pris la parole depuis le début de la semaine, alors que le sprint final est entamé, sont hostiles à l’aide médicale à mourir.
Ils estiment notamment que la mesure législative C-7 ne protège pas adéquatement les personnes en situation de handicap et les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et plaident que le fédéral aurait dû faire appel de la décision du tribunal québécois.
« Un seul juge d’un tribunal inférieur a pu annuler la réponse sensée du Parlement à l’arrêt de la Cour suprême du Canada et a invalidé l’avis mûrement réfléchi qu’il a exprimé il y a quatre ans. […] Selon moi, le procureur général n’a pas fait son travail », a lancé mercredi Tako Van Popta, de la Colombie-Britannique.
Beaucoup ont accusé les libéraux de prétexter l’urgence, alors que la date limite du 18 décembre approche à grands pas. « Il est troublant que les libéraux, fidèles à leur habitude, semblent avoir fabriqué une urgence artificielle », a regretté le député albertain Damien Kurek, lundi.
La Cour supérieure a accordé deux délais au gouvernement fédéral pour qu’il refasse ses devoirs à la lumière de son jugement. La première fois, les libéraux ont argué que la campagne électorale avait interrompu les travaux du Parlement, et la seconde fois, ils ont pointé du doigt la pandémie de la COVID-19.
Et au gouvernement Trudeau, on ne s’attend pas à une troisième chance.
D’où ce plaidoyer du ministre fédéral de la Justice, David Lametti, transmis à La Presse :
« Je suis très déçu de voir le Parti conservateur continuer leurs tactiques pour empêcher le projet de loi sur l’aide médicale à mourir de progresser. Nous voulons réduire la souffrance des gens et c’est pour cela que nous devons agir maintenant. », a-t-il déclaré mercredi soir.
« Le délai de la Cour supérieure du Québec se termine dans deux semaines et les conservateurs essaient de diminuer l’urgence de la situation. C’est une situation sérieuse et Erin O’Toole a besoin de démontrer son leadership », a ajouté le ministre Lametti.
Le procureur général du Canada a conclu son appel à l’action en faisant valoir que « le Parti conservateur doit respecter la volonté des Québécois, des tribunaux et permettre à cette législation importante de progresser ».
O’Toole prêt à défier la Cour supérieure
Le chef de l’opposition officielle a signalé qu’il ne se formalisait pas de la date butoir.
« C’est important d’avoir des protections pour les plus vulnérables, et c’est plus important que le timeline [échéancier] d’une cour. C’est une décision très importante pour le bien-être des Canadiens et leur famille, et c’est pourquoi on va prendre le temps nécessaire », a-t-il exposé en conférence de presse, jeudi matin.
Il existe des divergences considérables sur la question de l’aide médicale à mourir au sein de la députation conservatrice. Les élus de l’Ouest sont généralement beaucoup plus réfractaires à l’idée d’y autoriser l’accès, et encore plus à la perspective de l’élargir, ce que fait le projet de loi C-7.
Le seul député conservateur du Québec à avoir voté contre la mesure législative en deuxième lecture est le représentant de la Beauce, Richard Lehoux. Il est aussi le seul des 78 élus québécois de la Chambre des communes à s’y être opposé.
Le chef Erin O’Toole a aussi enregistré un vote en défaveur du projet de loi. Alors qu’il briguait la direction du Parti conservateur, il avait fait de son opposition à la mesure un outil de séduction pour faire le plein de votes des tenants de la droite sociale au sein de la formation.
Lorsqu’il sera enfin mis aux voix en troisième et dernière lecture à la Chambre des communes, il est acquis que le projet de loi C-7 ralliera une majorité de députés. Par contre, une fois arrivé à la chambre haute, où l’on a entamé une étude préalable, il se heurtera à la réticence de sénateurs conservateurs.
La mesure législative a été déposée pour une première fois en février dernier, avant la prorogation du Parlement. Selon le gouvernement, il a fait l’objet de vastes consultations d’un bout à l’autre du pays, et plus de 300 000 Canadiens ont partagé leur avis à son sujet dans un sondage en ligne.
Si le projet de loi n’est pas adopté le 18 décembre, la décision du tribunal québécois entrera en vigueur au Québec, mais pas dans le reste du Canada. Or, le fédéral ne souhaite pas se retrouver dans une situation où la législation diffère d’une province à une autre en matière d’aide médicale à mourir.
« On ne veut pas que les gens commencent à aller au Québec pour s’en prévaloir, surtout pas alors qu’on est dans un contexte de pandémie », a illustré une source libérale à La Presse.
L’ex-ministre Wilson-Raybould critique
Fait à noter, l’ancienne ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, qui avait déposé le projet de loi initial sur l’aide médicale à mourir élaboré en réponse à l’arrêt Carter de la Cour suprême, le C-14, a critiqué celui dont son successeur David Lametti a accouché pour le modifier.
Lors de la période de questions en Chambre, le 23 novembre dernier, elle a signalé son opposition au retrait du délai de sauvegarde de 10 jours et de l’exigence d’une nouvelle confirmation du consentement, ce qu’elle a fait en laissant entendre que l’avis du plus haut tribunal au pays aurait dû être sollicité.
« Pourquoi ? Ce changement n’est aucunement exigé par la décision Truchon rendue par la Cour d’appel du Québec, que le gouvernement a choisi de ne pas porter en appel. De plus, la Cour suprême du Canada insiste, dans l’arrêt Carter, sur la nécessité d’obtenir un consentement clair », a lancé Mme Wilson-Raybould.
Source :
« La Presse » Mélanie Marquis 03.12.2020