Par le Docteur Denis Labayle *
Je viens d’enterrer mon frère, âgé de 78 ans. Hospitalisé le 13 décembre 2020 pour une hémorragie cérébrale massive, associée à une embolie pulmonaire bilatérale et une pneumonie de déglutition. Un pronostic à l’évidence mortel à très court terme, et pourtant une agonie d’un mois, douloureuse et inutile, pour lui, pour nous.
Les deux médecins, par ailleurs accueillants, répondirent aux sollicitations écrites de la famille : « Nous ne sommes pas ici pour faire de l’euthanasie. » Ces confrères oubliaient la signification étymologique du mot : « Mort sans souffrance. » De fait, on en a été loin ! Ils ont appliqué la loi Claeys-Léonetti de 2016, déclenchant une sédation profonde et continue bien tardive, et si progressive qu’elle prolongea l’agonie au-delà du raisonnable, au-delà de l’humain. Un acharnement palliatif ! Ces médecins n’étaient pas opposés à aider mon frère à mourir, mais ils voulaient rester dans le cadre de la loi, manifestant une peur évidente des sanctions.
« L’ombre du procès du Docteur Bonnemaison plane toujours sur l’inconscient médical. »
La mise en accusation aux assises de ce médecin reste dans tous les esprits : il avait utilisé de l’Hypnovel (produit actuellement proposé par la Haute autorité de santé pour la sédation profonde et continue), dans le but d’aider médicalement à mourir une femme de 86 ans qui présentait le même type d’hémorragie cérébrale que mon frère. Son interdiction d’exercer son métier par une décision inique du Conseil national de l’ordre des médecins n’encourage pas à prendre de risques. Je regrette que mon frère n’ait pas rencontré l’humanité d’un Docteur Bonnemaison.
Pendant que mon frère agonisait, j’apprenais la perquisition au domicile de 13 militants d’associations luttant pour que chacun puisse choisir sa fin de vie et exercer son ultime liberté, au motif qu’ils avaient informé des personnes du moyen d’acheter à l’étranger du Pentobarbital, un sédatif puissant. Un moyen d’éviter éventuellement « une agonie inutile et douloureuse » comme l’a vécue mon frère et tant d’autres. Parmi les personnes « soupçonnées » se trouvent la présidente de l’association d’Ultime Liberté et la coprésidente de l’association Le Choix-Citoyens pour une mort choisie (ce jour-là, absente de son domicile, en séjour en Belgique). Quant au philosophe François Galichet, il fut maintenu 48 heures en garde à vue, comme un dealer suspect de trafic de drogues ! Déjà, l’an dernier, la police avait fait une descente chez 125 personnes âgées, accusées du même délit.
En pleine pandémie virale où un tiers des personnes décédées ont plus de 65 ans, cette descente de police, mobilisant entre 7 à 10 représentants de l’ordre à chaque intervention, a quelque chose de surréaliste.
« Mais non ! C’est la loi actuelle, liberticide interdisant à chacun le droit de choisir sa fin de vie. »
La France est maintenant entièrement entourée de pays qui ont décidé de faire évoluer ce problème sociétal qui touche tous les citoyens sans exception. Outre les Pays-Bas et la Belgique qui ont légiféré depuis près de 20 ans, on peut citer en allant vers le Sud : le Luxembourg ; la Suisse qui accepte le principe du Suicide assisté depuis 1982 ; plus récemment l’Italie et l’Allemagne dont les Cours constitutionnelles ont jugé liberticides les lois interdisant la possibilité pour les citoyens de choisir leur fin de vie (Une position rejointe, décembre 2020, par la Cour constitutionnelle autrichienne). Et plus au Sud, le parlement espagnol qui vient en 2021 d’adopter un projet de loi sur l’Aide active à mourir. En février 2020, le parlement portugais a voté également un texte proche, en première lecture.
« Jusqu’à quand les hommes politiques français resteront-ils sourds à la demande d’une population qui, à plus de 90 %, réclame un changement de la loi ? »
(Enquête Ipsos de mars 2019). Des projets de lois ont été déposés au parlement, pas encore discutés, comme tant d’autres dans le passé. Le 29 novembre 2020 une cinquantaine de sénateurs et sénatrices ont signé un texte digne et respectueux des choix de chacun.
Jusqu’à quand nos responsables politiques se laisseront-ils abuser par un moralisme judéo-chrétien qui défend le maintien d’une non-vie coûte que coûte, oubliant que cette position aboutit à une inhumanité, oubliant que nous sommes dans une République laïque défendant la diversité des opinions. Il serait temps que notre pays se réveille. Voilà une occasion pour les élus de combler le fossé creusé entre les instances dirigeantes et leurs concitoyens. Nous sommes nombreux à attendre que le Président de la République ait le courage de défendre cette dernière liberté, comme ses prédécesseurs ont eu l’audace de faire voter la loi sur l’IVG ou sur la suppression de la peine de mort.
« Il est urgent d’agir. Aucun de nous ne sait s’il trouvera le moment venu l’être qui acceptera de l’aider à partir en douceur et selon son désir. »
Ceux qui ont les moyens financiers pourront aller à l’étranger chercher ce que la France leur refuse. Les autres souffriront.
Personnellement, je souhaite choisir ma fin de vie, je ne souhaite pas mourir comme mon frère.
*Ancien chef de service au Centre Hospitalier Sud-Francilien
Initiateur du manifeste : « Nous médecins, avons aidé nos patients à mourir » Coprésident de l’association Le Choix (choisirmafindevie.org)