Ex-secrétaire d’Etat aux personnes âgées de 2001 à 2002, Paulette Guinchard-Kunstler a décidé de mourir la semaine dernière en Suisse. Elle avait demandé à son amie, Marie-Guite Dufay, de témoigner de ce choix pour « faire bouger les lignes » dans le débat sur la fin de vie.
Par Marie-Guite Dufay Présidente (PS) de la région Bourgogne-Franche-Comté
Paulette n’était pas une militante de l’euthanasie, qui offre la possibilité à un médecin d’injecter un produit létal à un malade dans l’intention de provoquer sa mort. Initialement, elle n’était pas non plus une militante du suicide assisté, qui donne la possibilité non pas au médecin mais au patient lui-même d’injecter le poison. Paulette était avant tout une militante des soins palliatifs qui visent à soulager.
Mais la vie l’a rattrapée, elle, sa famille, ses proches. La douleur l’a rattrapée. Jusqu’au bout Paulette était l’esprit vif, lucide, courageux, déterminé, combatif qui a tant séduit, toute sa vie, celles et ceux qui ont eu la chance de croiser sa route. Un esprit enfermé dans un corps qui souffrait. Un esprit qui souffrait de cette dépendance qui croissait, pour tous les actes de la vie quotidienne.
Paulette a dit sa douleur. Et puis elle a dit sa volonté d’en finir avec celle-ci. Idées : Il faut mesurer la portée d’une telle décision, ses conséquences. Il faut mesurer le cheminement qu’il implique. Annoncer aux gens que l’on aime, et qui vous aiment, que malgré cet amour, la douleur n’est plus supportable, et qu’elle doit cesser. Annoncer aux gens qui vous aiment que, quel que soit l’amour infini dont vous les savez capables, vous refusez qu’ils vous voient dégradée, affaiblie, dépendante. Parce que vous refusez vous-même de vous imaginer ainsi. Est-ce condamnable ?
On n’est jamais prêt, dans l’entourage, à entendre une telle décision. C’est un séisme. Et le premier réflexe, l’instinct de survie qui est en chacune et chacun de nous esquive, minore, refuse. Il faut apprendre à écouter, entendre la douleur qui perce sous cette décision. Se sachant condamnée, voyant sa dépendance croître, son corps se dégrader, Paulette a pris sa décision. L’aimer, c’était la respecter. L’aimer, c’était la laisser partir. Elle ne s’infligerait pas, et elle n’infligerait pas à ses proches, cette vision-là, cette période-là. Dès lors, elle a cherché les voies et moyens pour mettre son projet à exécution.
Elle a voulu utiliser la loi de notre pays. Elle en a découvert toutes les limites. Les médecins ont été d’un appui sans faille, mais quels que soient leur écoute, leur attention, leur immense professionnalisme, Paulette ne pouvait se prévaloir de la loi française pour être aidée. Aux yeux de celle-ci, et bien que chacun la sache condamnée, c’était trop tôt. Comme s’il fallait que la maladie, dont la morsure était déjà si visible, si invalidante, produise le plein de ses effets dévastateurs pour que des droits s’ouvrent. Comme si le droit à être épaulé ne pouvait être acquis qu’au terme – au terme ! – du processus de dégradation corporel et psychique sur fond de douleur, auquel nous destinent ces maladies de long cours. Pourquoi ? Pourquoi faut-il infliger cela comme préalable pour être aidé ? Pourquoi ne laisse-t-on pas au malade le choix du bon moment, dans un cadre strict et régulé par la loi ? Pourquoi le contraindre à se voir diminuer ? Face à cette incapacité à faire valoir ce qu’elle pensait être un droit, dans son pays, Paulette s’est tournée vers l’étranger. C’est là qu’elle a mis fin à sa vie et à ses souffrances, elle-même, entourée.
Paulette était mon amie depuis quarante ans. Paulette souhaitait que son geste soit connu, avec l’espoir, espérait-elle, de faire bouger les lignes. C’est le sens de ma prise de parole aujourd’hui. Il faut apprendre à écouter. Il faut entendre la parole des malades. Il faut écouter leurs souffrances, et leurs décisions. La loi doit évoluer. Elle n’est pas suffisante pour honorer les volontés de celles et ceux, lucides, qui souffrent et se savent condamnés. Car pour les aider, on les condamne une seconde fois : à vivre l’épreuve de la déchéance intellectuelle et physique, à partir de laquelle, seulement, des solutions médicales et encadrées peuvent intervenir. Ce n’est pas digne de notre pays, en 2021.
Je sais la difficulté de ce débat, car il interroge chacune et chacun d’entre nous sur son rapport intime à la vie et à la mort. Mais la mort fait partie de la vie, et nos conditions de mort valent bien un débat égal à ceux que nous avons sur nos conditions de vie. Portons-le. Ayons ce courage. Au nom des malades et de leurs douleurs, au nom de leurs proches et de leur impuissance.
Source :
« Libération » 10.03.21