Cédric Maritano et sa mère Dominique veulent profiter de chaque instant ensemble, tant que Cédric est encore assez en forme pour les apprécier. « Je veux mourir avant d’être trop diminué », assure l’Isérois de 34 ans. Sa mère comprend et respecte le choix de son fils .
Cédric Maritano est un homme coquet. Sa chemise noire est impeccablement repassée, sa coupe de cheveux parfaite, même ses chaussures brillent de mille feux. « J’aime être présentable », sourit le jeune homme de 34 ans. Cédric est marié, il vit en Isère, à Montbonnot-Saint-Martin, avec sa compagne. Il a un enfant, sa merveille, Léo, âgé de 7 ans.
Mais Cédric n’a plus beaucoup de temps. Il est atteint de la maladie de Huntington, une maladie neurodégénérative, héréditaire et incurable. L’issue, il la connaît. Son père était atteint de la même affection. Il est mort en 2013, dans d’atroces souffrances. Cédric ne veut pas la même vie. Pas la même fin. Alors il a décidé, quand ce sera le moment, d’en finir. De mourir.
« Mon père a déclaré la maladie vers ses 30 ans, raconte Cédric. Il a été diagnostiqué Huntington et on a compris que c’était une maladie héréditaire. À 20 ans, j’ai donc moi-même fait le test, il était positif. J’allais avoir la même maladie que mon père. À partir de là, j’ai commencé à vivre avec cette épée de Damoclès. J’ai décidé de profiter de chaque instant, de vivre à fond, intensément, de faire toutes les soirées possibles, de partir en voyage partout avec ma compagne, de nous offrir plein de cadeaux. »
« Je ne peux plus rien apprendre, plus écrire, je ne retiens rien »
Puis la question d’avoir un enfant s’est posée. « Je me suis demandé si c’était bien de faire un enfant sans savoir combien de temps je pourrais être auprès de lui. Mais je me suis dit que je pouvais lui apporter de l’amour dans le temps qui me serait imparti. Et j’espérais que la maladie se déclare le plus tard possible. »
À 26 ans, Cédric est donc devenu père, grâce à une fécondation in vitro, pour éviter que son fils ne soit lui aussi porteur des gènes de Huntington. La maladie a commencé à se développer assez vite, quand Cédric a eu 32 ans. Ça a commencé par des troubles de la mémoire. De plus en plus envahissants. Et des difficultés à écrire. Aujourd’hui, Cédric a dû arrêter de travailler (il était vendeur de voitures). « Je ne peux plus rien apprendre, plus écrire, je ne retiens rien. Chaque jour, mon fils écrit sur une ardoise ce que je dois faire dans la journée et on efface au fur et à mesure. Chaque jour, je vois que je diminue. Pour l’instant, je n’ai pas encore de signes physiques. Mais ça viendra. Et je ne veux pas de ça. Je veux mourir avant. Je me suis fixé un moment : quand je ne serai plus capable d’élever mon fils, je partirai. Je ne veux pas faire comme mon père, finir à 35 kilos sans pouvoir déglutir. Les sept dernières années de sa vie ont été un calvaire. »
« Mon fils a demandé qui allait l’emmener à l’école »
Cédric a annoncé sa volonté à sa famille. Avec sa compagne, ils ont aussi expliqué les choses à Léo. C’était en janvier. « Je lui ai dit que j’avais une maladie qui ne se soigne pas et que j’allais devoir partir au ciel, comme son papi. Il a pleuré, moi aussi, sa maman aussi. Il a dit qu’il ne voulait pas. J’ai dit qu’on allait profiter au maximum avec sa maman de tous nos moments ensemble et que ça irait pour lui. Il a demandé qui allait l’emmener à l’école. J’ai dit que sa maman sera là, que toute la famille sera là, qu’il ne sera jamais seul. Aujourd’hui, il est très câlin, il me fait beaucoup de bisous. C’est douloureux pour lui mais je veux qu’il garde une belle image de moi. »
« C’est son choix, je le respecte »
En France, Cédric ne peut pas avoir accès à l’euthanasie. « Je veux mourir avant d’être trop diminué et je n’aurai pas dans ce cas accès à la sédation profonde et définitive. Donc, je vais aller en Belgique. Je vais tout mettre en place et quand ce sera le moment, je mourrai. »
La mère de Cédric, Dominique Leduc, est là, près de son fils. En entendant ses paroles, ses yeux se voilent mais elle acquiesce. « C’est son choix, je le respecte, dit-elle simplement. Je ne veux pas le voir souffrir. Je sais ce que fait cette maladie, je sais comment il va finir. Et je ne peux que comprendre qu’il veuille mourir dans la dignité. Bien sûr que c’est dur à entendre. Mais la souffrance est telle. C’est inhumain. Je ne veux pas ça pour mon fils. »
Pour l’instant, Cédric est au début du parcours. Il a pris contact avec l’association Huntington Avenir, à Charvieu-Chavagneux et sa présidente Marguerite Garcia, qui va l’aiguiller dans ses démarches. « Je veux que tout soit prêt en amont. Et quand le moment sera venu, je pourrai partir, entouré de ma famille. En attendant, je veux profiter de chaque seconde. Ne rien regretter. Surtout, ne jamais rien regretter. »
L’association Huntington Avenir accompagne les malades
Marguerite Garcia est présidente de l’association Huntington Avenir, basée à Charvieu-Chavagneux. Elle milite depuis des années pour « le droit à mourir dans la dignité » pour les malades de Huntington.
Le sujet agite de plus en plus la société française. Une proposition de loi ouvrant un droit à « une fin de vie libre et choisie » a même été déposée début avril par le député Olivier Falorni. Mais elle n’a pas pu être examinée jusqu’au bout, des milliers d’amendements ayant été déposés par d’autres élus pour faire barrage.
« Je suis consternée, assure Marguerite Garcia. Dans tous les sondages, les Français sont majoritairement favorables au suicide assisté. Et les politiques font encore barrage. Une pathologie comme Huntington, on sait que c’est incurable pour l’instant et on connaît toutes les étapes, jusqu’à la mort. On sait que le patient va terminer avec la peau sur les os, sous oxygène, avec une gastrostomie, sans aucune capacité à communiquer avec les autres. C’est connu. Ce sont des souffrances atroces pour le patient et son entourage. Pourquoi ne pas entendre ces personnes qui disent “moi, je veux le droit de mourir dans la dignité” ? Après tout, ça fait partie de la vie. »
Marguerite Garcia n’accompagne pas les malades qui font appel à elle jusqu’en Belgique. « Les personnes viennent me voir, je leur explique la législation française, les possibilités qui s’offrent à eux en Europe. Je leur donne toutes les informations possibles et ensuite, ils décident de ce qu’ils veulent faire avec leur famille, leur entourage. »
Marguerite a rencontré Cédric il y a quelques semaines. « Je vais l’aider, je vais lui apporter toutes les informations nécessaires. Je vais le soutenir. Il a sa famille derrière lui, c’est essentiel. Mais je ne pourrai pas faire plus. Il faut maintenant que nos élus avancent sur ces sujets. »
www.huntingtonavenir.net ; mgarcia@huntingtonavenir.net ; Tél. 06 12 90 06 61
Source :
« Le Dauphiné Libéré » – Marie Rostang – 29.05.21