C’est avec ces mots simples, une voix douce et chaleureuse, et beaucoup d’humanité dans le regard que le docteur L. nous a accueilli à l’hôpital bruxellois. Dernière étape après dix-huit mois de combat, ponctués d’espoirs et de déceptions devant une maladie progressivement devenue incontrôlable.
La médecine est encore bien démunie devant certaines maladies. Le cancer du pancréas a emporté mon épouse, Stéphanie, qui venait d’avoir 49 ans, bien trop tôt.
L’espoir s’est effacé lorsque la dernière ligne de chimiothérapie a brusquement cessé d’être efficace. S’en est suivi un essai d’immunothérapie sans bénéfice puis l’annonce de l’impasse thérapeutique, début janvier. La maladie a progressé de manière fulgurante, et les souffrances s’amplifiaient au point de devenir insupportables. Difficulté pour se nourrir, vomissements, somnolences, douleurs articulaires, difficulté pour marcher, impossibilité de monter les escaliers.
Les médecins ont alors commencé à évoquer la nécessité de l’hospitalisation en service de soins palliatifs. Stéphanie ne souhaitait pas cette fin de vie sous morphine, perfusion, assistance respiratoire, sédation jusqu’à ce que le cœur lâche. Nous nous sommes sentis bien seuls. Stéphanie voulait partir dignement, pour elle, et pour ses proches. Elle souhaitait organiser son départ comme elle a organisé sa vie. Elle souhaitait reprendre les cartes en main. Elle demandait l’euthanasie. Sa décision s’est naturellement imposée à moi. Mon amour et mon devoir me dictait de l’accompagner.
S’est ensuite posé la question de la destination, la Suisse ou la Belgique. Ayant résidé quelques années en Belgique, nous avons pu grâce à certains de nos amis belges que je remercie infiniment, être mis en relation avec Madame A., qui a organisé notre venue sur Bruxelles une semaine plus tard. La souffrance de Stéphanie était telle que chaque jour comptait, et chaque matin elle attendait que son départ soit planifié. Savoir que tout était organisé pour le 17 février, à midi, l’a libérée, l’a apaisée, lui a permis de se concentrer sur ce qui lui restait à faire, à dire, à transmettre. Chère Madame A., il est difficile de vous témoigner toute notre gratitude pour l’aide apportée en si peu de temps.
Nous sommes partis pour Bruxelles en voiture accompagnés de notre fille, de ma belle-sœur et son mari qui conduisait. A l’issue d’un voyage très éprouvant pour Stéphanie, nous sommes arrivés à l’hôpital universitaire le mardi 16 en milieu d’après-midi, où après quelques formalités administratives nous avons été admis au centre de soins palliatifs. La chambre était belle, lumineuse, avec un lit d’appoint. Les heures qui ont suivi sont hors du temps. A cinq dans la chambre nous avons parlé. De tout, de la chance que nous avions eue. Stéphanie parlait, l’esprit clair, nous donnait son amour et la force de surmonter la tristesse, elle avait la situation en main, nous n’avions qu’à nous laisser guider, elle nous a portés.
Le docteur L. est passé en début de soirée. Pour s’assurer du maintien du consentement, expliquer comment les choses allaient se passer en pratique le lendemain, et nous offrir son humanité. La nuit est venue, j’ai fait la lecture à Stéphanie, jusqu’à s’endormir d’épuisement, main dans la main. La matinée nous a permis à nouveau de parler à cinq, envahis de douceur, d’amour. C’était une belle matinée.
Stéphanie a tenu à ce que la perfusion soit placée tôt sur son bras, vers 11h. Elle était déjà prête. A midi trente, heure convenue la veille, le docteur L. est venu accompagné du professeur D.. Stéphanie les a remerciés. L’effet de l’injection fut rapide, en moins de trente secondes elle s’éteignait, paisiblement, dignement, sereine, nous l’entourions avec notre fille en lui serrant les mains, elle partait avec la certitude qu’avoir ainsi organisé son départ nous aiderait à faire notre deuil, et poursuivre notre chemin.
Cela fait quatre mois déjà. Je n’ai jamais douté de son choix, elle est partie comme elle le souhaitait, cette certitude m’apaise dans la tristesse.
C.M.
19.06.21