OPINION
La Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de la loi relative à l’euthanasie (CFCEE) a communiqué les chiffres de la pratique de l’euthanasie en 2021. Ce n’est pas une obligation légale, la loi ayant prévu l’établissement d’un rapport bisannuel. La Commission prépare d’ailleurs son 10ème rapport qui couvrira les années 2020-2021.
2020, une année entre parenthèses, Covid oblige
En 2020, la Commission a enregistré 2 444 déclarations d’euthanasie pour 2 657 en 2019 et 2 699 en 2021. Les mois qui marquaient cette diminution étaient essentiellement ceux d’avril et mai, sans surprise. Comment en effet pouvoir mener à son terme une procédure d’euthanasie si les médecins ne peuvent visiter leurs patients et vice-versa ? Par ailleurs, le patient qui est en demande d’euthanasie doit mobiliser pas mal d’énergie. Impossible à concevoir pour des patients qui se trouvent en soins intensifs, sous respirateur.
Déclarations néerlandophones versus déclarations francophones
Le delta entre les déclarations rédigées en néerlandais (74,3 %) et celles en français (25,7 %) s’est quelque peu infléchi. Ceci est dû certes à une certaine augmentation des déclarations rédigées en français (2019 : 603 ; 2020 : 508 ; 2021 : 693) mais surtout à une diminution des déclarations en néerlandais (2019 : 2 053 ; 2020 : 1 836 ; 2021 : 2 006). Est-ce dû aux répercussions du procès Tine Nys ? Ou encore aux pressions opérées sur des médecins, de manière plus systématique en Flandre, par des proches de patients en demande d’euthanasie ? Recevoir une mise en demeure d’un avocat menaçant de déposer plainte pour homicide volontaire ou encore empoisonnement ayant causé la mort dans l’hypothèse où serait pratiquée l’euthanasie peut en effet dissuader le plus courageux des médecins, même si son dossier est impeccable. Et pourtant la loi est claire : les deux personnes qui ont le pouvoir de décider sont le patient qui demande l’euthanasie et le médecin qui consent (ou non).
Les affections médicales à l’origine des euthanasies : Le cancer reste la cause majoritaire (62,8 %) suivi par les poly pathologies (17,7 %) et les maladies neurodégénératives (Parkinson, SLA, sclérose en plaques, etc.).
Moins d’1 % d’affections psychiatriques : en proportion inverse des critiques formulées par les opposants qui, en outre, confondent fréquemment la cause, affection psychique, et la conséquence, souffrance psychique ! Et 1 % pour les troubles cognitifs, à savoir les syndromes démentiels. Pour ces derniers, rappelons que les médecins ont estimé que ces patients disposaient de suffisamment de (moments de) lucidité que pour pouvoir formuler une demande actuelle d’euthanasie.
L’euthanasie reste une décision médicale de fin de vie marginale : de l’ordre de 2,5 % de l’ensemble des décès.
Mentionnons également les maladies de l’appareil circulatoire (3,7 %) et de l’appareil respiratoire (2,3 %). Les détails des autres affections sont repris dans la publication de la CFCEE https://organesdeconcertation.sante.belgique.be/fr/documents/euthanasie-chiffres-de-lannee-2021.
Le lieu de l’euthanasie
Le domicile éventuellement dans la maison de repos représente près de 70 % au point de vue du lieu choisi pour l’euthanasie. Incontestablement, les patients, quand ils le peuvent, priorisent leur lieu de vie. Et pourtant, pour le médecin qui pose ce geste, le domicile peut présenter plus de difficultés que l’environnement hospitalier en ce qui concerne notamment l’accès aux médicaments ou encore le support de l’équipe soignante, en particulier des infirmiers.
L’âge : Aucune déclaration concernant un mineur n’a été communiquée à la Commission. L’euthanasie reste une exception pour les patients en dessous de 40 ans. Il ne faut pas s’étonner que l’on retrouve le plus grand nombre de patients dans les tranches d’âge au-delà de 70 ans (67,8 %) : il suffit de se référer aux statistiques générales des décès. En 2021, la Commission a enregistré 7 déclarations concernant des centenaires.
Déclaration anticipée d’euthanasie versus demande actuelle
Seulement 17 euthanasies sur la base d’une déclaration anticipée, soit 0,6 % de l’ensemble des déclarations.
Comment s’en étonner lorsque l’on connaît le champ d’application restrictif de la déclaration anticipée : le patient doit être atteint d’une affection grave et incurable (rien à objecter : c’est une des conditions essentielles prévues par la loi), il doit être inconscient (qu’entend-on par inconscient ?). Et sa situation doit être irréversible au regard de l’état actuel de la médecine. Il est grand temps, » 20 ans après « , que nous revoyons ce chapitre de la loi et qu’à l’instar de nos voisins néerlandais, les médecins puissent prendre en considération une déclaration anticipée d’un patient développant une forme de démence, déclaration par laquelle ce patient aurait déterminé les conditions et le contexte dans lesquels il souhaitait obtenir l’euthanasie.
Conclusion Après la parenthèse de 2020, les grandes tendances que l’on avait constatées dans les années antérieures se retrouvent confortées en 2021. Une remarque cependant : une inflexion dans les déclarations d’euthanasie rédigées en néerlandais.
Le 10e rapport de CFCEE portant sur les années 2020-2021 attendu en 2022 sera bien entendu plus détaillé. L’occasion peut-être de se poser des questions sur l’opportunité de maintenir l’anonymat dans les déclarations. Il sera certainement question de l’incidence de la crise Covid sur la pratique de l’euthanasie.
L’euthanasie reste une décision médicale de fin de vie marginale : de l’ordre de 2,5 % de l’ensemble des décès. C’est la seule décision médicale de fin de vie qui fait l’objet d’un contrôle. Or, la sédation terminale intervient sans doute six fois plus souvent que l’euthanasie. À ce sujet, il serait intéressant que l’on dispose enfin d’une étude transversale portant sur toutes les décisions médicales ayant une incidence sur la fin de la vie.
Source :
« Le Journal du Médecin.be » – J. Herremans – 05.04.22