Le 13 septembre, le Comité consultatif national d’éthique a ouvert la porte à une « aide active à mourir ». En octobre, Emmanuel Macron lancera une « Convention citoyenne sur la fin de vie » et laisse entendre qu’il ne s’opposerait pas à une légalisation de l’euthanasie. J’y suis quant à moi résolument favorable, pour sept raisons.
La première, c’est que l’euthanasie dite « volontaire » (parce qu’elle est demandée par le patient lui-même) n’est qu’une assistance médicale au suicide.
Or je suis convaincu, comme la plupart des philosophes non religieux, que le droit de mourir fait partie de nos libertés fondamentales. Je pourrais là-dessus citer la quasi-totalité des penseurs antiques, mais me contenterais de Montaigne, qui résume leur message.
« Le plus beau cadeau que nature nous ait fait, c’est de nous avoir laissé la clé des champs », écrivait-il. Et d’ajouter: « Dieu nous donne assez de congé, quand il nous met en tel état que le vivre nous est pire que le mourir. »
Le droit de s’en aller fait partie des droits de l’homme.
Légaliser l’euthanasie et l’assistance au suicide, ce n’est pas une question de dignité mais de liberté.
Montaigne n’ignore évidemment pas l’interdit biblique ( « Tu ne tueras pas » ). Mais, observe-t-il, « de même que je ne viole pas les lois qui sont faites contre les voleurs quand je prends mon argent dans ma bourse, ni celles contre les incendiaires quand je brûle mon bois, aussi ne suis-je tenu aux lois faites contre les meurtriers pour m’avoir ôté la vie ». C’est ma deuxième raison: ma vie m’appartient; j’ai donc le droit de l’interrompre si je le souhaite.
D’ailleurs, troisième raison, le suicide, comme l’a remarqué Robert Badinter, n’est nullement un délit. Pourquoi l’assistance au suicide en serait-elle un? On me dira que je peux me suicider sans avoir besoin pour cela d’une loi ni d’une aide médicale. Certes, quand je suis valide et en bonne santé.
Mais, c’est ma quatrième raison, la demande d’euthanasie ne se justifie que dans des situations où ce n’est pas le cas. Essayez de vous suicider dans un Ehpad ou un hôpital, vous m’en direz des nouvelles! Or pourquoi voudrais-je me suicider, si je suis en bonne santé?
Et pourquoi m’interdire de le faire, quand je suis trop dépendant pour y parvenir par moi-même?
Ma cinquième raison, c’est que tous les sondages confirment que neuf Français sur dix sont favorables à une légalisation de l’euthanasie. Je sais bien qu’un sondage ne fait pas une loi.
Mais il est malsain que notre législation soit à ce point en décalage avec le souhait avéré de notre population.
Sixième raison: mon attachement au libéralisme. Ce n’est pas à l’Etat de décider si ma vie vaut ou non la peine d’être vécue.
De quel droit viendrait-il limiter ma liberté, quand elle n’empiète en rien sur celle des autres?
Septième raison: la justice sociale.
Je ne peux accepter la mort à deux vitesses qui est en train de s’instituer: l’une rapide et douce, en Suisse ou dans le secret d’une clinique de luxe; une autre longue et douloureuse, dans nos Ehpad ou nos hôpitaux.
Mourir dans la dignité? Ce n’est pas la question. Un mourant ou un malade en phase terminale, même souffrant atrocement, ont par définition la même dignité que vous et moi, qui sommes (pour l’instant!) en bonne santé.
Légaliser l’euthanasie et l’assistance au suicide, ce n’est pas une question de dignité mais de liberté. C’est pourquoi il faut le faire.
Source :
« Challenges » – 24.09.22