Intervention du Docteur Labayle,
co-président d’honneur du Choix — Citoyens pour une mort choisie,
au dîner organisé par le Président de la République le 09 Mars 2023.
Monsieur le Président,
Je vous remercie pour votre invitation.
Je tiens à vous dire que je suis un français heureux de vivre dans une République laïque. Car « Laïque », pour moi, veut dire « Tolérance ».
Tolérance entre les différentes religions, et entre croyants et non-croyants.
Le problème de la fin de vie doit se traiter dans le cadre de cette tolérance.
Il est illusoire de vouloir obtenir un consensus entre deux philosophies opposées, entre les défenseurs de « La vie coûte que coûte » et ceux qui estiment que dans certaines circonstances la lutte contre la souffrance supplante le principe de la vie coûte que coûte.
Quand la maladie devient grave et dépasse nos possibilités thérapeutiques, les rôles entre le médecin et le malade sont redistribués.
Le médecin doit rester au service du malade, au service du désir de celui qu’il ne peut plus guérir, et dès lors, c’est au malade de choisir.
Ce n’est donc pas un débat sur la dignité.
J’accepte parfaitement que certains trouvent de la dignité dans l’acceptation de leur sort, voire dans l’acceptation de la souffrance, mais d’autres aussi trouvent leur dignité dans le refus de la dégradation progressive d’un corps et d’un esprit qui glissent vers une fin de vie trop douloureuse.
La question de la fin de vie est celle de la liberté.
Une liberté strictement individuelle qui n’empiète en rien sur la liberté des autres. C’est la liberté de celui qui va définitivement partir, sa dernière liberté. On se doit de la respecter.
Alors, Monsieur le Président, il faut entendre la demande d’une très large majorité de la population, plus de 80 % dans toutes les études d’opinion.
Il faut faire voter une loi sur l’Aide active à mourir (AAM) pour trois raisons :
- Permettre aux patients atteints de maladie grave et incurable qui ne sont pas encore au stade ultime, pre mortem, de choisir de partir sans se rendre à l’étranger On ne peut nier cette réalité qui concerne principalement les cancers arrivés à un stade incurable et les maladies neurodégénératives.
- La deuxième raison est que cette loi supprimera la pénalisation qui pèse sur les soignants qui veulent répondre humainement à la demande des malades souhaitant une sédation profonde et continue. Beaucoup de partisans du statu quo connaissent bien l’intitulé de la loi « Sédation profonde et continue jusqu’au décès », mais combien ont lu attentivement le texte d’application de la loi rédigé par la Haute autorité de santé (HAS) sous la dictée de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFASP) ? J’ai posé la question à celui qui a parrainé cette loi, le président Hollande : « avez-vous lu ce texte de l’HAS ?» Il a reconnu honnêtement qu’il n’avait pas eu le temps. Alors je lui ai expliqué les indications extrêmement restrictives, les douleurs qui doivent être réfractaires sans savoir qui le décide (les médecins ou le malade ?). Depuis quand ? Huit jours ? Quinze jours ? Un mois ? Sans parler des modalités qui imposent une déshydratation du corps médicalement inutile et éthiquement discutable et une sédation fluctuante en fonction de son état de conscience. Une loi sur l’Aide active à mourir permettra aux médecins d’augmenter les doses de sédatifs afin de rendre l’agonie brève et indolore – deux mots essentiels qui manquent dans l’intitulé de la loi. C’est ce que nous faisions dans le passé, sans arrière-pensée. J’ai été 7 ans chef de clinique à l’hôpital de Clamart, en même temps que Jean-François Delfraissy. J’avais un chef de service catholique. Jamais nous ne déshydrations les malades et nous augmentions rapidement les doses de sédatifs pour obtenir une agonie indolore et brève.
- Enfin et troisième raison : une loi sur l’Aide active à mourir réduira l’angoisse des autres. Une grande majorité des malades n’y auront pas recours, mais le seul fait de savoir que c’est possible réduit l’angoisse de fin de vie. En Belgique, seulement 2,5 % des personnes demandent l’Aide active à mourir, mais 80 % des Belges ne veulent pas qu’on change la loi.
Voilà les trois raisons majeures qui justifient que votre gouvernement s’engage en faveur de cette loi sociétale essentielle. Tous nos pays voisins ont évolué, tous sans exception. La France, République laïque, est à la traîne. Il serait temps qu’elle évolue pour le bien des malades et le respect de la liberté des citoyens.
Enfin, quand certains prétendent qu’une telle loi serait la fin de la civilisation, je répondrai que les valeurs que je défends en valent bien d’autres. « Personne, ici, ne peut prétendre avoir le Monopole des valeurs morales. » Je revendique les miennes, des valeurs humanistes de tolérance, de justice et de solidarité pour lesquelles je me bats depuis tant d’années.
En réponse à ceux qui parleront du risque de dérive de l’aide active à mourir, je ferai plusieurs remarques :
Concernant les dérives de l’AMM,:
- Chez nous, tout est clandestin, donc ouvert à toutes les dérives.
- Les Belges ont vingt ans d’avance sur nous et leurs lois n’ont pas abouti aux « massacres » que certains prétendent. Que de mensonges sur nos voisins !
Mais il ne faudrait pas oublier les dérives d’inhumanité qu’entraine la défense de la vie coûte que coûte :
- Dérive d’une sédation lente et inhumaine – mon frère a fait une hémorragie cérébrale massive en janvier 2021, il a mis un mois à mourir dans des conditions atroces. Quand je demandais aux médecins des soins palliatifs d’augmenter les doses de sédatifs, ils me répondaient « Nous ne sommes pas là pour faire de l’euthanasie »
- Nous avons publié quarante témoignages de famille qui évoquent les dérives de la loi actuelle.
- Dois-je rappeler également les pires dérives de l’affaire Humbert, ce quadriplégique qui suppliait que l’on mettre fin à son calvaire ; ou encore celles de l’affaire Lambert cet homme emprisonné dans un corps pendant quinze ans avant qu’on accepte de le libérer d’une vie qui n’en était pas une ; ou encore celles d’Alain Coq, cloué au lit depuis 36 ans par une maladie de Charcot et qui est parti en Suisse parce qu’on refusait de l’aider à se libérer.
Donc, commençons par réduire les dérives inhumaines qui sont chez nous avant d’accuser les dérives des autres.
Docteur Denis Labayle,
Co-président d’honneur de l’association Le Choix – Citoyens pour une mort choisie
Merci Monsieur Labayle
Qu’ajouter de plus à votre allocution . Tout est dit ; et clairement..
les seules souffrances supportables sont celles des autres . Que tous les opposants se projettent mentalement dans leur future agonie .. que souhaitent-ils vraiment pour eus et leurs proches ?
espérons que nous allons enfin régler ces choses de simple bon sens et d’humanité .
Encore merci