Enfin libérée
Ça y est Lydie, le moment que tu attendais depuis si longtemps est arrivé, tu as enfin obtenu ce que tu souhaitais le plus au monde depuis quelques années, être libérée de ce corps de souffrance qui ne te laissait aucun répit, qui te tenait clouée sur un fauteuil roulant, toi la championne de dressage équestre, qui ne voyait plus qu’à 20%, qui n’entendait plus grand-chose, ce corps qui de temps en temps, malgré les traitements, s’agitait de soubresauts incontrôlables, ce corps qui ne t’autorisait plus que de te servir de 2 doigts d’une seule main, ce corps qu’une main étrangère devait nourrir et abreuver comme un petit enfant, ce corps que l’immobilité forcée avait déformé, ce corps petit à petit rongé par une maladie génétique sans nom et sans traitement, tant elle est rare, ce corps noué de douleurs lancinantes qui t’empêchaient de dormir.
Fin janvier, un médecin bienveillant, doux, attentif à tes moindres paroles, a enfin accédé à ta demande et a poussé doucement le piston d’une seringue qui contenait le médicament qui te libérerait définitivement. Tu l’avais déjà rencontré un an auparavant, pour lui faire ta demande de quitter ce monde, et, prenant en compte ce souhait légitime, il t’avait promis de t’aider.
Dès lors, comme tu étais sous tutelle, après avoir été abandonnée par ta mère à la naissance, élevée par une grand-mère aimante, hélas partie trop tôt, rejetée par tes frères et sœurs, sans aucune famille à laquelle te fier et te confier, tu as dû attendre de longs mois que les rouages administratifs veuillent bien se mettre en marche, et que tu puisses enfin décider toi-même de ta destinée. Tu as rencontré sur ce chemin beaucoup de personnes bienveillantes peut-être, mais enfermées dans des routines, alors que tu n’avais qu’une hâte, en finir.
Quand je t’ai rencontrée, pour la première fois, il y a 6 mois, à la demande de l’association, pour t’accompagner dans ton parcours, tu étais recroquevillée dans ton fauteuil roulant, agitée de mouvements incontrôlés. Nous avons fait connaissance, au fil du temps, mon épouse m’a proposé de venir te faire des massages détente, que tu as acceptés, et quelquefois réclamés, une relation forte s’est établie entre vous deux, et on t’a vu t’ouvrir, te détendre, déplier tes membres recroquevillés, redresser la tête. Quand les dernières barrières sont tombées, quand tu as eu enfin la possibilité de programmer le dernier jour de ta vie après 43 ans dans ce corps que tu n’acceptais plus, on t’a vue, j’ose le mot, revivre, plaisanter, faire de l’humour, même et surtout sur cette fin que tu appelais de tes vœux. « Bon ! quand est-ce qu’on m’achève ? », tu as choisi la crémation : « Vous me préférez cuite comment ? À point ? ». Tu nous as inondés de textos humoristiques, de bons mots, de photos de ta lapine chérie, qui t’a tenu compagnie jusqu’à la veille du départ, et dont tu as demandé des nouvelles jusqu’à la dernière minute.
Les derniers jours, beaucoup des nombreuses personnes qui t’ont aidée dans ton parcours de vie, ta tutrice, les accompagnants dévoués qui se sont relayés auprès de toi pour t’aider à vivre, t’ont appelée pour te dire au revoir, pour te signifier leur chagrin de te voir partir. Et certains ont pleuré au téléphone ou en ta présence. On peut les comprendre, mais vraiment, ça ne t’a pas rendu service. Devant ces pleurs, tu en es arrivée à te demander si tu avais pris la bonne décision. « Mais qu’est-ce que j’ai fait ? » t’es-tu interrogée devant mon épouse.
Mais ta décision était ferme et établie depuis bien longtemps, et complètement acceptée dans ton esprit. Tu as géré tes derniers jours et ton départ jusque dans les plus petits détails, te souciant de vider entièrement ton appartement, tu m’as fait venir quelques jours avant pour démonter les meubles, tu as dressé des listes de ce qu’il fallait donner et à qui. J’avais l’impression que tu avançais en vidant toutes les pièces une par une, en éteignant la lumière et en fermant la porte derrière toi et en jetant la clé. Et pour finir, tu as trouvé une famille formidable pour accueillir ton animal adoré. Avant de monter dans le véhicule qui devait t’emmener pour un dernier voyage, tu m’as encore demandé si j’avais bien mis les clés dans la boîte à lettres, comme convenu.
À plusieurs reprises, tu as tenu à témoigner et à faire connaître ton parcours et ta décision. Et jusqu’au bout, tu as accepté que des journalistes, des caméras, des photographes, soient là, pour que ce que tu as décidé, contribue à faire progresser la loi française sur la fin de vie, et que toutes les difficultés que tu as rencontrées, paiement des prestations, du service et des médecins qui t’ont accueillie, des pompes funèbres, du véhicule TPMR spécialement loué pour te transporter sur 500 km, hors des frontières de France, pour que toutes ces difficultés soient résolues pour ceux qui prendront la même décision que toi.
Lydie, tu m’as impressionné par ta force, ta détermination, ton courage, et pourtant je pensais que ma longue carrière de médecin m’avait préparé à surmonter ces émotions.
Merci Lydie.
Denis R…accompagnant du Choix-citoyens pour une mort choisie