Aurélie Daunay dont le témoignage vidéo est visible sur notre site a envoyé aux parlementaires qui vont débattre de la future loi sur la fin de vie une lettre suivante expliquant sa situation, les limites de la loi Claeys-Leonetti et pourquoi elle souhaite avoir recours à l’aide active à mourir. En voici le texte intégral :
Reims,
Janvier 2024,
Madame la Députée / Monsieur le Député
Madame la Sénatrice/ Monsieur le Sénateur
Je m’appelle Aurélie, j’ai 44 ans, je suis atteinte d’un cancer de l’ovaire (cancer des cordons sexuels à tubules annelés) depuis mes 30 ans. Il est rare, incurable et évolue lentement, ce qui est une chance pour moi.
Alors que le nouveau modèle français d’accompagnement de la fin de vie sera bientôt débattu au Parlement, je souhaite vous écrire pour vous faire part de mon expérience. Je suis soutenue dans cette démarche par ma mutuelle, MGEN, qui s’est engagée sur le sujet de la fin de vie et porte les valeurs d’égalité et de liberté que je partage et défends également.
Après une année et demie d’errance et d’erreurs médicales (deux opérations sous coelioscopie qui ont diffusé le cancer dans mon abdomen ; un rendez-vous avec un oncologue qui n’a pas su diagnostiquer le cancer malgré la biopsie de la tumeur), j’ai été prise en charge il y a 12 ans par d’autres professionnels médicaux à la pointe de leurs savoirs que j’ai trouvés grâce à des amies internes en médecine.
Depuis, je me bats contre cette maladie grâce à différents traitements dont l’objectif, à défaut d’éradiquer la maladie, est d’en freiner la progression : trois laparotomies lourdes, deux opérations par cryo-ablation, 35 séances de radiothérapie sur une seule tumeur, une dizaine de protocoles de chimiothérapies par perfusion et per os, plusieurs essais cliniques menés à l’hôpital Cochin à Paris et à l’Institut Gustave Roussy de Villejuif avec un suivi à hauteur d’un scanner tous les deux mois pendant dix ans.
En octobre 2021, mon oncologue m’a proposé de reprendre un traitement de chimio que j’avais déjà eu et que j’avais très mal supporté en raison des platines. Ma réaction fut alors immédiate : le refus. Je refusais de retomber dans cet état de souffrance. Je n’avais plus qu’une envie : vivre le mieux possible ce qui me restait à vivre. Vivre en tant qu’Aurélie, avec toute ma personnalité, continuer à exercer mon métier, enseignante (à distance grâce au CNED et à mi-temps), continuer à vivre avec l’homme que j’aime, continuer à avoir une vie la plus banale possible. Cet arrêt des soins a été décidé définitivement après de nombreuses discussions avec mon mari, que j’ai fini par convaincre, puisqu’avec ou sans traitement, il ne me resterait plus que quelques petites années, au mieux, à vivre.
J’ai choisi de suivre les traitements pour lutter contre la maladie tant que je le pouvais physiquement et psychologiquement.
J’ai choisi d’arrêter les traitements quand j’ai estimé que je pourrais vivre ma vie plus intensément sans eux et sans leurs effets secondaires.
Je souhaite donc à présent avoir la possibilité de choisir comment mourir.
Aujourd’hui je suis en phase palliative. Je suis suivie par une unité mobile de soins palliatifs qui évalue mes besoins pour soulager mes douleurs qui vont en grandissant et qui trouve des solutions afin de faire fonctionner le mieux possible mes organes au quotidien qui fatiguent de plus en plus. J’ai ainsi bénéficié depuis septembre 2023 de deux ponctions d’ascite de 4 litres ainsi que de cinq séances de rayons sur une tumeur péritonéale dans l’espoir de retarder le moment où elle percera la peau. Je remercie cette équipe qui sait nous écouter, mon mari et moi, qui nous accompagne dans nos questionnements sur la fin de vie avec patience et qui me suit avec beaucoup de douceur et qui va me suivre jusqu’au bout.
Le bout, c’est ma mort.
Aujourd’hui, le « bout » des soins palliatifs, dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti, cela pourrait être pour moi la sédation profonde et continue jusqu’au décès. C’est-à-dire que je serais endormie, les antidouleurs me seraient encore prescrits mais les équipes soignantes arrêteraient l’hydratation et la nutrition de mon corps, ce qui provoquerait la mort. C’est cette mort-là que je ne souhaite pas.
Je ne veux pas mourir à petit feu, je refuse que mon corps se dégrade petit à petit d’une façon que je considère comme inhumaine (déshydratée et dénutrie). De plus, aucun produit ne permet réellement une sédation qui serait continuellement profonde. Ce sont les soignants qui doivent gérer le produit en le réinjectant selon leur avis sur mon état de réveil. Cela veut dire que je pourrais, dans le pire des cas, me retrouver en phase de réveil mais dans quel état ? Dans la souffrance ? Avec un minimum de lucidité qui me ferait dire « Eh non, tu n’es pas encore morte » ?
Aurais-je le temps de voir la tristesse et la détresse dans les yeux de mon mari ? Je ne veux pas de cette agonie, je ne veux pas de cette agonie que personne ne pourra réellement maîtriser et qui pourrait durer quelques heures au mieux comme plusieurs semaines au pire. Je ne le veux pas pour moi, je ne le veux pas pour mon corps, je ne le veux pas non plus pour mon mari qui n’attendra qu’une chose, que je meure le plus vite possible pour que mes souffrances soient abrégées, et qui va souffrir auprès de moi comme je ne le souhaite à personne.
Ce moment-là, le moment de décider de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, je l’ai vécu au mois de septembre 2023, quand j’ai eu un étranglement intestinal en raison d’une éventration péritonéale qui datait d’une précédente laparotomie. J’ai été hospitalisée en urgence dans un service de gastro-entérologie. On m’a posé une sonde nasogastrique qui n’a été enlevée que neuf jours après. Cela veut dire que pendant neuf jours je n’ai pu ni boire ni manger naturellement. Cela a été pour moi une véritable torture psychologique et physique, hydratée par perfusion dès le premier jour, nourrie par perfusion quatre jours plus tard et ne pouvant hydrater mes muqueuses buccales qu’avec 500 ml d’eau toutes les 24 heures. J’ai pu bénéficier d’un traitement de première intention avec des injections quotidiennes de corticoïdes, en vain.
Les chirurgiens ne voulaient pas m’opérer car au regard de l’étendue du cancer dans l’abdomen et de la présence importante d’ascite, le risque de septicémie et donc de décès était trop élevé. Cinq jours après mon admission à l’hôpital, une réunion de concertation a eu lieu et un Professeur, spécialiste des éventrations, s’est proposé pour m’opérer afin de « prolonger encore un peu ma vie » m’a-t-il dit. Il m’a sauvée. Je le remercie pour son humanité dans ma prise en charge, sa douceur et son efficacité.
Mais face au refus des premiers chirurgiens de m’opérer, aucune autre solution ne m’avait été proposée. J’aurais donc dû soit attendre que mes intestins se nécrosent et mourir ainsi, soit choisir la sédation profonde et continue jusqu’au décès. La mort ou la mort. Et ça, je l’avais bien compris, sans que ce ne soit dit clairement.
Revenue chez moi, j’ai demandé au médecin des soins palliatifs qui me suit de m’expliquer comment je serais morte si j’avais choisi la sédation profonde et continue. Elle m’a expliqué que dans ce cas-là, la mort serait arrivée assez vite, soit en quelques heures, soit en quelques jours, le temps que les intestins se nécrosent et que mort s’ensuive. À ce moment-là je lui ai demandé pour quelles raisons la mort n’aurait pas pu être accélérée grâce une injection létale au lieu d’attendre que mes intestins se nécrosent et me tuent. Bien entendu, en conformité avec la loi actuelle, elle m’a répondu que cela n’était pas du tout envisageable.
Cette situation est pour moi paradoxale et hypocrite : la mort aurait été inexorable mais on aurait attendu que la nature fasse son œuvre, que les intestins se nécrosent ? Cela signifie que mon mari serait venu chaque jour à l’hôpital et qu’on lui aurait dit « les intestins de votre femme ne sont pas encore nécrosés donc elle n’est pas encore décédée » ? Mais à quoi aurait servi cette agonie ? Qu’est-ce qu’elle m’aurait apporté ? Qu’est-ce qu’elle aurait apporté à mes proches ? Qu’est-ce qu’elle aurait apporté à mon mari à part une souffrance terrible, une énième souffrance ? Cette loi Claeys-Leonetti me fait extrêmement peur et me fait redouter le moment de mourir. C’est pour cela que je souhaite avoir la possibilité de bénéficier d’une aide active à mourir.
Je considère que l’aide active à mourir n’est pas un homicide mais un soin qui fait partie des soins palliatifs, l’ultime soin que les soignants pourraient m’apporter. Si une loi allant dans ce sens pouvait exister en France, cela me permettrait de ne penser qu’à la vie que je suis encore en train de mener sans craindre une agonie longue et incontrôlée.
Je préfère mourir le sourire aux lèvres, quitter définitivement mon mari à un instant choisi tous les deux plutôt que de laisser un hasard morbide et mortel nous séparer. Je souhaite mourir main dans la main, yeux dans les yeux avec lui.
Je souhaite que mon mari garde de moi une image qui me corresponde, à savoir celle d’une femme en pleine possession de ses moyens et consciente et non délirante sous les effets des antalgiques, analgésiques ou en train d’agoniser sous sédation. Je souhaite que mon mari ait envie de me regarder comme il l’a toujours fait, de m’embrasser jusqu’au bout. Je ne veux voir ni l’angoisse dans ses yeux, ni la peur, ni la souffrance devant ma déchéance physique et psychique.
Je souhaite que le moment de ma mort corresponde au plus près à ma personnalité, à ce que je suis, à ma philosophie de vie et en tant que citoyenne libre dans un État de droit. À la place de l’injection qui pourrait m’être apportée dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti, je souhaite que l’équipe soignante m’injecte ou qu’elle me donne le produit létal que je m’injecterai en pleine conscience, dans un cadre très clairement défini par une loi qui prendrait sa source dans un des principes de la République Française : la liberté.
Ma façon de vivre ne dépend de personne, mon bien être ne dépend de personne. Par là même, je ne veux pas que ma mort dépende de l’avis personnel d’un soignant ou d’une équipe soignante. Je ne veux pas que ma mort dépende d’une idéologie qu’elle soit politique, philosophique ou religieuse.
En tant que citoyenne libre et éclairée, si la loi française n’évolue pas dans le sens que je souhaite, je sais vers qui me tourner pour mourir selon mon choix. Mais ce choix, cette liberté, a un coût, que tout le monde ne peut pas s’offrir.
Cette connaissance des lois étrangères pour ne parler que de la Belgique et de la Suisse, tout le monde ne l’a pas. C’est pourquoi je parle en mon nom, mais aussi au nom de tous ces Français qui devraient avoir la même connaissance et les mêmes moyens que moi pour choisir leur mort en fin de parcours d’une longue et grave maladie. Je parlais de liberté dans le choix de mourir, je souhaite aussi l’égalité pour tous.
Enfin je partirais aussi le sourire aux lèvres, encore plus rassurée, si je savais que mon mari qui soutient mon choix ne risque aucune poursuite judiciaire si je fais appel à un système étranger. Je souhaite que personne ne puisse se retourner contre lui et qu’il vive en paix après mon décès.
Aurélie Daunay