Une lueur vive brille au fond des yeux d’Édith Maltais. Assise dans son fauteuil, elle discute de tout et de rien avec ses enfants. Calme et souriante, elle a le rire facile. Pourtant, la dame de 68 ans va mourir demain. Elle le sait. C’est elle qui a pris cette décision.
Nous sommes le 5 janvier 2021 à Saguenay. Le petit appartement aux murs blancs où habite Édith Maltais est une bulle remplie d’amour et de douceur. Le temps semble s’y être arrêté. En compagnie de sa fille Cynthia et de son fils Martin, elle regarde des photos. Ensemble, ils se remémorent des souvenirs et se racontent des anecdotes. Ils profitent des quelques heures qu’il leur reste.
Mme Maltais souffre depuis plusieurs années de la maladie pulmonaire obstructive chronique. Les derniers mois ont été particulièrement difficiles pour elle. Je râle beaucoup. Je tousse beaucoup puis je suis tellement essoufflée que, souvent, je suis confinée à ma chaise , explique-t-elle.
En 2011, en raison de complications, elle s’est même retrouvée dans le coma, aux soins intensifs. Elle redoutait qu’un tel scénario se reproduise et que ses enfants se retrouvent aux prises avec le choix déchirant de la débrancher ou pas.
Si elle a choisi l’aide médicale à mourir, ce n’est pas parce qu’elle est déprimée, loin de là. C’est plutôt parce qu’elle ne peut plus mener sa vie comme elle le souhaiterait depuis déjà un bon moment.
Ça vaut la peine d’être vécu, la vie! Moi, je trouvais tellement la vie belle. Je la trouve encore belle!
Édith Maltais affirme que ses trois enfants sont sa plus grande fierté. Elle a toujours été proche d’eux et n’a pas eu de difficulté à leur annoncer sa décision.
Un long cheminement
Le choix d’Édith Maltais est le fruit d’une réflexion de plusieurs mois qui s’est amorcée à la suite du visionnement d’une émission abordant le thème de l’aide médicale à mourir. Elle y a vu toutes les étapes et elle a aussi observé un patient complètement en paix avec sa décision. Ça a comme semé une graine dans ma tête puis, inconsciemment, je cheminais et je pensais à ça souvent , se rappelle-t-elle.
Elle a vécu la pandémie dans son fauteuil. En novembre, elle n’en pouvait plus. Elle était constamment en manque d’oxygène. Le moindre mouvement lui demandait un effort colossal et il lui fallait plusieurs minutes pour récupérer même si elle n’avait fait que quelques pas. La précarité de son état de santé aurait nécessité une hospitalisation, mais Édith Maltais souhaitait autre chose. La sévérité de sa maladie lui permettait d’accéder à l’aide médicale à mourir. Ça a été un grand soulagement pour elle de l’apprendre.
J’étais tellement contente là. Je disais : « Enfin, une solution pour que je parte paisiblement. Dans la dignité. Sereine. » C’est ça que je voulais!
Elle en a informé ses enfants. Ils ont d’abord été surpris, mais ils ont compris et accepté cette décision.
Malgré le fait que c’était un choc de savoir que j’allais perdre ma mère, j’étais vraiment fière de cette décision-là. Pour nous autres, ses enfants, c’était quand même difficile. Elle est en maintien à domicile, mais il y a toujours une petite peur qu’il arrive quelque chose et qu’elle soit toute seule, mentionne Cynthia Côté.
La demande d’Édith Maltais a été étudiée et acceptée très rapidement. Les soins palliatifs se sont mis en branle et la famille a pu se concentrer uniquement sur l’essentiel : profiter du temps qu’il reste. Vivre ensemble un dernier Noël.
Préparer sa mort
Cynthia et Martin se sont relayés pour permettre à leur mère de demeurer chez elle puisque c’était sa volonté.
Ce qu’on voulait pour maman, ce n’était pas des soins de détresse. C’était vivre les derniers moments de bonheur et de partage puis c’est cette chance-là qu’on s’est donnée, soutient Martin Côté. Il a été très présent dans les dernières semaines. Il a cuisiné pour sa mère. Il lui a prodigué des soins. Il a discuté longuement avec elle. Ils se sont retrouvés au diapason.
Édith Maltais a préparé des albums pour ses trois enfants et des vidéos toutes simples dans lesquelles elle s’adresse à ses cinq petits-enfants. Sa famille est sa plus grande fierté. Elle a eu le temps de dire au revoir et je t’aime à tout le monde. Elle a rassuré ses proches, en larmes, lorsqu’ils réalisaient qu’ils la voyaient pour la dernière fois. Elle assure qu’elle a passé des semaines merveilleuses.
Elle est prête à partir. Elle ne regrette rien.
Elle a choisi tous les paramètres de son dernier avant-midi, même les vêtements qu’elle portera au moment où elle recevra les injections létales. Elle mangera du filet mignon pour le petit-déjeuner et sabrera le champagne qu’elle promet de partager. Cynthia et Martin ont accepté d’être à ses côtés jusqu’à la fin. Édith Maltais va mourir bien entourée dans sa chambre nouvellement décorée en écoutant résonner le piano d’Alain Gagnon.
Je me sens très calme. Je n’anticipe pas. J’ai quasiment hâte à demain. Ça va être beau. Je le sais que ça va être beau.
Plus les journées avancent, plus on sent qu’on va la perdre, mais dans les dernières semaines, on n’était pas dans le passé ni dans l’appréhension. On était vraiment dans le moment présent, on n’était pas dans la tristesse. C’est sûr que de savoir que c’est demain, quand ça va être le moment présent, il va être riche en émotions, c’est sûr, mais on va être là puis on va lui dire qu’on l’aime, assure Cynthia en jetant un regard ému vers sa mère qu’elle considère forte et résiliente.
Édith Maltais a voulu livrer un témoignage avant de partir en espérant qu’il permettra à d’autres personnes très souffrantes de savoir que l’aide médicale à mourir peut-être une option.
Je pense que dans ma maladie, j’étais rendue là. J’étais rendue épuisée. J’étais rendue au bout de mon rouleau puis je conseille à tout le monde qui vit des situations comme la mienne de ne pas hésiter parce que c’est pas épeurant du tout, conclut-elle dans la sérénité la plus complète.
Édith Maltais est décédée chez elle, comme prévu, le 6 janvier.
Source :
« Radio Canada » – Mireille Chayer 13.01.2021