Un texte qui veut légaliser l’euthanasie doit être examiné jeudi. Plus de 3000 amendements ont été déposés.
Choisir sa mort: la tentation de légiférer sur l’euthanasie ne semble jamais s’éteindre. Même en pleine pandémie. Alors que les soignants luttent pour sauver la vie de patients atteints par le Covid-19 dans des hôpitaux au bord de la saturation, les partisans d’une aide active à mourir réclament une loi qui consacrerait une «ultime liberté».
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Ce jeudi 8 avril, les députés examineront une proposition de loi d’Olivier Falorni (Libertés et Territoires) «garantissant» le droit à «une fin de vie libre et choisie», dans le cadre d’une niche parlementaire de son groupe. Avec un gouvernement réticent au vote de ce texte dans un contexte de crise sanitaire et pas moins de 3005 amendements déposés sur le texte, son examen dans l’Hémicycle s’annonce compliqué. Alors que le temps d’examen est limité à une journée, il n’est pas certain qu’un vote puisse avoir lieu. Pourtant, même si cette loi n’est pas adoptée, le débat sur la fin de vie vient de franchir une nouvelle étape. C’est en effet la première fois qu’un texte sur l’euthanasie a été adopté en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. De plus, le rapport entre les partisans et opposants à l’euthanasie semble sur le point de basculer parmi les élus. Pas moins de 272 députés ont signé une tribune dans le Journal du dimanche pour défendre l’examen de cette loi.
Le premier article du texte promet «une mort rapide et sans douleur» via une «assistance médicalisée». Ce droit serait ouvert à toute personne «capable» et «majeure», se trouvant «en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable (…) lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable». Le mot «euthanasie» ne figure cependant pas dans ce texte, calqué sur la loi belge. A-t-il été jugé trop inquiétant, trop violent? Pourquoi proposer une loi qui ne dit pas son nom? «Je n’ai aucun problème avec ce mot. Ne signifie-t-il pas “belle mort” en grec ancien? Mais il fallait insister sur le fait qu’il devait s’agir d’un acte médical, même en cas de suicide assisté si le malade voulait réaliser lui-même le geste», avance Olivier Falorni.
Un trio de médecins serait chargé de vérifier que le patient se trouve dans une « impasse thérapeutique » et de s’assurer du caractère « libre, éclairé, réfléchi et explicite » de sa demande
En pratique, la demande d’euthanasie devrait d’abord être transmise au médecin traitant avant d’être examiné par trois médecins dont un spécialiste de l’affection du malade. Ce trio serait chargé de vérifier que le patient se trouve dans une «impasse thérapeutique» – autrement dit «condamné» – et de s’assurer du caractère «libre, éclairé, réfléchi et explicite» de sa demande. Leur réponse devrait être rendue «dans un délai maximal de quatre jours». Après ce feu vert, l’acte létal pourrait être réalisé «après un délai de vingt-quatre heures», «en présence et sous le contrôle du médecin».
En réponse aux voix du monde médical qui s’élèvent contre une transgression de l’interdit fondamental de tuer et rappellent le serment d’Hippocrate, le texte prévoit une clause de conscience pour les soignants. Ces derniers ne seraient pas tenus de mettre en œuvre l’«assistance médicalisée active à mourir» mais devraient cependant orienter «immédiatement» le patient vers un autre praticien.
Inquiétude autour de l’article 3
Sur un sujet aussi sensible que la fin de vie, chaque mot de la description de ce processus soulève une foule d’interrogations. Comment définir la «souffrance psychique» évoquée dans le texte? Une douleur jugée «insupportable» pourrait-elle ouvrir le droit à l’euthanasie même si les médecins affirment pouvoir la soulager? «Ce texte ne propose pas un droit restreint. Si on en fait une lecture extensive, une maladie psychiatrique pourrait être considérée comme grave et incurable», avertit le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).
C’est sans doute l’article 3 du texte qui suscite le plus d’inquiétudes. Il dispose que les personnes qui ne sont plus en capacité de s’exprimer puissent avoir accès à l’euthanasie à la condition que cette demande figure expressément dans leurs directives anticipées ou relayée par leur personne de confiance. «Le risque de dérives est immense et nous perdrions le droit à l’inconstance de nos désirs. Cela ouvrirait un champ considérable de patients potentiellement concernés, allant jusqu’aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer». Olivier Falorni, au contraire, défend «une loi de liberté pour le malade et le médecin», bordée par des garde-fous. «Ce droit est encadré par des règles strictes, à commencer par la clause de conscience pour les médecins, souligne-t-il. Ce droit est également conditionné par le fait que le malade soit en phase avancée ou terminale de la maladie. Il serait accessible aux malades incurables mais pas aux personnes dépressives.»
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Au-delà des inquiétudes sur les contours du texte, les médecins de soins palliatifs avertissent: «Autoriser l’euthanasie n’ouvrirait pas seulement un droit à quelques-uns mais changerait irrémédiablement la manière dont toute notre société considère la mort.» Car si personne ne serait obligé de choisir cette fin de vie, «tout le monde serait obligé de l’envisager». «C’est un piège qui se referme, insiste Claire Fourcade. Avec cette loi, on court le risque de voir beaucoup de patients refuser d’être soulagés et orientés d’emblée vers une assistance à mourir.»
Source :
« Le Figaro » – Agnès Leclair – 05.04.21