De :Denis LABAYLE
Envoyé : dimanche 11 avril 2021 12:31
À :Arnaud Viala
Objet :
Cher monsieur, cher élu
Merci d’avoir pris du temps pour nous répondre.
Nous sommes d’accord sur un point : ce sujet mérite mieux qu’une niche parlementaire, mais reconnaissez que chaque fois que des élus ont voulu l’aborder, ce n’était jamais le moment. Est-ce normal que quatre projets de loi, déposés par des partis aussi différents que le LR, LREM, Radiaux, et les Insoumis ne soient pas abordés pas l’assemblée nationale depuis tant d’années ?
En tant que médecin hospitalier (40 ans d’expérience) je me permets d’affirmer que les deux lois votées sur la fin de vie par le passé, me posent un réel problème d’éthique. Avez-vous déjà accompagné une personne soumise aux exigences de la loi Claeys-Leonetti imposant une déshydratation du corps et une sédation soit disant profonde et continue mais qui en pratique assure une agonie souvent prolongée, inutile et douloureuse pour le patient et sa famille. Les ambiguïtés de ces lois font que si le médecin administre trop de sédatifs peut être accusé d’empoisonnement. Le texte de la Haute autorité de santé détaillant la méthodologie officielle est une véritable « usineà gaz », excusez l’expression. Pas étonnant que les médecins refusent de l’appliquer avec une telle épée de Damoclès sur la tête.
Que ceux qui souhaitent une telle fin, soient exaucés, mais, de grâce, qu’ils ne l’imposent pas aux autres. Mon frère vient de mourir en janvier avec une indication reconnue de la sédation profonde et continue. Son agonie a duré un mois !!! Insupportable. Là est la violence ! Là est le masque de notre société qui refuse de regarder en face la diversité des opinions. Respectons ceux qui du fait de leur croyance religieuse souhaitent l’application de la loi Claeys Leonetti, mais que les autres, tous les autres et ils sont nombreux puissent être entendu et ne soient pas obligés d’aller à l’étranger chercher ce que la France leur refuse.
Quant à l’unanimité des parlementaires, je crois qu’elle cache une peur d’agir. Aucune réforme sociale d’envergure ne s’est faite dans l’unanimité. La confrontation des idées est le prix de la démocratie. L’unanimité est toujours douteuse.
Encore merci pour votre réponse sincère. Je suis à votre disposition pour en discuter.
Très cordialement
Docteur Denis Labayle
Coprésident du Choix, Citoyens pour une mort choisie
De : Arnaud Viala
Date: ven. 9 avr. 2021 à 09:16
Subject: RE: débat du 8 avril
Monsieur,
Vous m’avez écrit au sujet de la Proposition de Loi déposée par le député Olivier Falorni sur le ‘droit à une fin de vie libre et choisie’ et – comme je le fais autant que possible – je tiens à vous apporter une réponse aussi précise que sincère à vos interrogations.
Tout d’abord, ce sujet est d’une importance tout à fait capitale puisqu’il nous concerne tous, qu’il ressort de l’intime et qu’il est étroitement lié à des dimensions éducatives, culturelles, religieuses parfois, philosophiques, éthiques…, bref, c’est une question éminemment humaine qui nous renvoie tous à notre finitude et à la réalité de la maladie, de la souffrance, et de la mort. Ce premier point me porte à considérer qu’une proposition de loi, débattue au sein d’une journée parlementaire dédiée à un groupe de l’Assemblée nationale, sans véritable débat, et sans que les consultations n’aient pu être suffisamment abouties, n’est pas le bon véhicule législatif pour aborder un sujet aussi profond. A l’approche d’une élection présidentielle et d’un renouvellement du Parlement, il me semble que cette question doit figurer dans le débat national et être soumise au choix des Français dans leur ensemble.
En second lieu, pour avoir participé aux débats de 2015-2016 sur la loi Claeys-Léonetti et pour avoir voté ce texte qui élargissait les dispositions permettant de faire droit aux volontés exprimées par tout un chacun quant à sa fin de vie, j’ai mesuré combien il est délicat de modifier les lois régissant ce moment si particulier de la vie, et surtout de rendre possible sa mise en œuvre. Je me suis récemment replongé dans les débats de l’époque et ai eu l’occasion de participer à un échange avec M. Jean Léonetti, très impliqué depuis de nombreuses années sur ce sujet. J’en suis ressorti avec le même sentiment d’une responsabilité tout aussi énorme que de conscience, et la certitude d’un besoin d’approfondir les réflexions.
Enfin, à ce que nous en savons à ce stade, une manœuvre politique est en train de se dessiner quant au débat prévu demain sur la proposition de loi de M. Falorni ; elle consiste à la faire précéder par voie d’amendement d’un article générique qui introduit la liberté à choisir sa mort, sans autre précision à ce stade du processus législatif. Il ne m’est pas possible d’accepter une telle méthode. Je ne pense pas que l’on puisse légiférer de cette façon sur un sujet aussi lourd de conséquences. La seule voie possible pour parvenir à des évolutions – contre lesquelles je n’ai aucune opposition de principe – est d’atteindre, comme cela a été le cas pour les 2 lois Léonetti, un consensus le plus large possible. Ce n’est absolument pas le cas sur ce texte, et il m’est donc totalement impossible de prendre une position arrêtée dans ces circonstances. Un tel vote ne serait pour moi ni éclairé, ni sincère.
J’ajoute à ces quelques lignes deux précisions sur la forme : une tribune de parlementaires réunissant plusieurs signatures visant à promouvoir le texte de M. Falorni a été diffusée par voie de presse. Pour toutes les raisons que j’ai développées ci-dessus, je ne l’ai pas signée ; trop de zones d’ombre sur l’aboutissement de cette initiative parlementaire doivent encore être levées. Par ailleurs, certains députés ont usé – abusivement à mes yeux – de leur doit d’amendement, et déposé des centaines d’amendements, sans aucun doute pour ‘engorger’ le débat. Je ne souscris pas davantage à ce procédé ; il n’est pas à la hauteur de l’enjeu, mais correspond – in fine – au climat général puisque d’autres élus semblent vouloir confisquer le vrai débat par une autre voie : celle de l’amendement ‘chapeau’ qui emporte toute la discussion et l’occulte. Ces ‘manœuvres’ témoignent bien de l’impréparation du sujet.
J’ai rédigé ces quelques lignes au terme d’une réflexion humble, sincère, et pleine de doutes ; ma position est tout sauf fermée et je suis disposé à échanger avec vous si vous le désirez avant qu’un processus législatif équilibré ne soit envisageable.
Espérant avoir apporté quelques réponses à vos légitimes questions, je vous prie de croire, Monsieur, en ma considération et en mon dévouement,
Arnaud VIALA
Député de l’Aveyron