GEORGIA VRAKAS
Professeure au département de psychoéducation, Université du Québec à Trois-Rivières
CHRONIQUE / Le texte d’aujourd’hui n’a pas été facile à écrire. Il est inspiré de la fin des audiences publiques de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie où il était entre autres question de l’inclusion de la maladie mentale comme seul motif pour l’aide médicale à mourir (AMM). Une partie de moi est découragée, l’autre est pleine d’espoir et surtout de beaucoup de détermination. Ce texte vient du cœur, de mon expérience vécue avec la maladie mentale, de mon cheminement avec celle-ci, de mon processus de rétablissement. Je veux vous partager ceci pour réitérer qu’il y a de l’espoir même lorsqu’on vit avec une maladie mentale grave.
J’ai déjà parlé ici de ma situation, de mon diagnostic relativement récent de bipolaire de type 2. Je suis suivie par tous les professionnels pertinents, je prends mes médicaments. J’ai même récemment joint un groupe de soutien. Je fais tout ce qu’il faut faire. Je ne vous cacherai pas qu’il y a des journées plus difficiles que d’autres. Je ne vous cacherai pas non plus que c’est dur pour moi, une psychologue, de m’ouvrir ainsi à ce sujet si personnel.
Ma vie a changé depuis mon diagnostic et mes traitements. Pour le mieux. Je m’étais habituée à ma « vie d’avant » à travailler sur plusieurs projets en même temps, m’impliquer dans tout, d’être hyper productive, mon cerveau carburant aux multiples idées simultanées que j’avais. Tout semblait bien aller durant ces épisodes jusqu’au moment où je tombais inévitablement de haut, directement dans les bras ouverts d’un épisode dépressif majeur.
Depuis mon nouveau traitement, je sens une différence. Non, ce n’est pas instantané. Cela prend du temps à accepter et à m’adapter à ce que je vis. C’est tout à fait normal. Cela fait partie du rétablissement. J’avoue que, parfois, je m’ennuie des moments d’hyper productivité que j’ai vécus. Mais pas souvent, car je connais trop bien le prix élevé à payer pour ceux-ci. Je m’ajuste afin de trouver un nouvel équilibre, tranquillement, un pas à la fois.
Voyez-vous, lorsqu’on fait référence au rétablissement, c’est de cela qu’il s’agit : nous refaire, trouver un nouvel équilibre qui a du sens pour nous et qui tient compte de notre nouvelle réalité. Il ne s’agit pas de guérison (c.-à-d. : disparition complète des symptômes pour toujours) quoique qu’elle puisse en faire partie, mais plutôt d’une reconstruction de soi. C’est que j’ai trouvé le plus difficile en témoignant à la Commission, de faire valoir que la vie des personnes vivant avec des troubles mentaux graves vaut la peine d’être vécue, même avec des symptômes. Qu’une personne sans être « guérie » de sa maladie, peut vivre dans la dignité avec les hauts et les bas qui font partie du processus non linéaire du rétablissement, avec l’aide et le soutien nécessaire. Encore faut-il que cette aide soit disponible et accessible.
Justin Trudeau a annoncé cette semaine un transfert de 6,5 milliards $ aux provinces et territoires pour la santé mentale. Je ne peux que saluer cette initiative. Dans cette époque où l’on débat de l’inclusion de la maladie mentale comme seul motif pour l’aide médicale à mourir (AMM), cet investissement est une excellente nouvelle.
C’est un baume au cœur pour moi après avoir lu des mémoires déposés par certains ordres professionnels et organismes qui se positionnaient pour l’inclusion de la maladie mentale comme seul motif pour l’AMM, choisissaient de ne pas se positionner. Ces organisations sont censées protéger les personnes atteintes de troubles mentaux, défendre leurs droits, leur offrir des services qui soutiennent leur rétablissement, s’assurer qu’ils soient traités avec dignité. À mon avis, ce n’est pas en rajoutant l’AMM au «panier de services» en santé mentale que nous allons aider les personnes atteintes de troubles mentaux à se rétablir.
Je me retrouve avec deux chapeaux : je suis une personne directement concernée par le sujet ayant un trouble bipolaire, mais je suis aussi une professionnelle en santé mentale. Peu importe le chapeau que je porte, j’espère sincèrement que l’argent que Trudeau promet pour la santé mentale sera investi dans les services, les ressources, les programmes de logement et d’emploi, les campagnes de déstigmatisation, la prévention du suicide. Garnissons mieux notre panier de services en santé mentale et on n’aura pas besoin d’y rajouter l’aide médicale à mourir. C’est ce dont ont besoin les personnes atteintes de troubles mentaux qui souffrent. La Journée mondiale de la prévention du suicide approche à grands pas. Assurons-nous de leur envoyer un message d’espoir.
Source :
« Le Soleil – 04.09.21