TÉMOIGNAGE. « Notre fils a mis six jours à mourir » : ils se battent pour une fin de vie digne
Danièle et Paul Pierra habitent aux Sables-d’Olonne (Vendée). Depuis quinze ans et le décès de leur fils, ils se battent pour une nouvelle loi sur la fin de vie. En ce mois de novembre 2021, Danièle publie « Le choix ultime ». Le couple espère que ce sujet de société sera débattu lors de l’élection présidentielle.
Le dernier jour de l’agonie de leur fils, Danièle et Paul Pierra se sont promis, en famille, de lutter pour que cela n’arrive pas à d’autres..
Quinze ans après le décès de leur fils, qui a passé huit ans et demi dans le coma, Danièle Pierra publie Le choix ultime, aux éditions de l’Atlantide (Les Sables-d’Olonne). Avec son mari, elle se bat pour une nouvelle loi sur la fin de vie. En 2006, leur fils Hervé a été un des premiers cas de l’application de la loi Leonetti.
La tentative de suicide
Danièle Pierra : « Notre fils s’appelait Hervé. Il faisait son service militaire et il fréquentait une adorable jeune fille. À l’âge de 20 ans, il a connu un moment de grande dépression, sans que la raison ne soit vraiment élucidée, plusieurs causes se sont peut-être entremêlées.
Il a fait une tentative de suicide par pendaison, sur la barre fixe de sa chambre qu’il avait placé pour faire des tractions. Nous vivions dans l’enceinte d’une caserne car mon mari était capitaine aux pompiers de Paris. Toute l’infrastructure médicale et tous les médecins présents se sont précipités. On a cru qu’il était revenu parce que sa respiration a repris. »
Dans un état « gravissime »
Paul Pierra : « À l’hôpital, j’ai rapidement pris conscience de l’état gravissime d’Hervé. Les médecins m’ont fait comprendre qu’ils savaient, par expérience, qu’on ne revenait pas d’une anoxie du cerveau par pendaison. »
D.P. : « En tant que maman, malgré les évidences, je n’y croyais pas même s’il était à 100 % paralysé et à 100 % inconscient, dans un coma végétatif irréversible. Il respirait par trachéotomie, était nourri par une sonde…
J’allais à l’hôpital tous les jours et j’ai tout essayé pour faire revenir ses sens à la vie. Je lui mettais un peu de Nutella sur le bout de la langue, je lui passais l’odeur de son parfum sous le nez. Même visuellement, mon mari a eu l’idée de mettre des spots partout, c’était la chambre la plus disco de l’hôpital, une chambre magnifique. »
Hervé Pierra avait 20 ans quand il a tenté de se suicider. Il est resté pendant huit ans et demi dans un coma végétatif irréversible, avant de mourir dans le cadre de la loi Leonetti.
« On ne pouvait pas le laisser entre deux mondes »
D.P. : « Au bout de deux ans et demi, je me suis rendu compte qu’il ne sortirait jamais de cet état. Voyant qu’on ne pouvait pas le tirer vers la vie, je me suis dit qu’on ne pouvait pas le laisser entre deux mondes. Quand on en a parlé aux médecins, on nous a répondu : “L’euthanasie est interdite en France’’. C’était un piège immonde car si, d’un côté, il ne pouvait pas vivre, de l’autre côté, on ne l’autorisait pas à mourir. Cette peine de vie a duré huit ans et demi. »
P.P : « La première loi Leonetti est arrivée le 22 avril 2005, après l’affaire Vincent Humbert. On a demandé son application, les médecins nous ont dit non. »
D.P. : « J’ai décidé de remuer, par ma plume, toute la classe politique. J’ai contacté Xavier Bertrand, ministre de la Santé de l’époque, qui a tapé du poing sur la table. Mon mari est allé voir Jean Leonetti lui-même, qui lui a dit que la loi était faite pour les personnes telles que notre fils. »
Un calvaire « indescriptible »
D.P. : « Finalement, comme le propose la loi, un troisième médecin extérieur à l’hôpital est intervenu et a donné son accord pour mettre en place le protocole. Notre fils a mis six jours et six nuits à mourir. Mais pas six jours d’endormissement, non. Six jours d’un calvaire indescriptible. Mon fils faisait des bonds dans son lit, ils appellent ça des troubles hydroélectrolytiques, ce sont comme des crises d’épilepsie en pire, avec une fièvre à 40 °C, un visage cyanosé où vous voyez toutes les veines, les yeux révulsés, exorbités… Il a été abandonné, laissé à lui-même. Le dernier jour de son calvaire, avec mes filles, on s’est enlacé autour de son corps et on a dit plus jamais ça. »
P.P : « C’est ce jour-là qu’on a fait la promesse de se battre pour que cela n’arrive pas à d’autres. Ça fait seize ans que nous nous battons. »
D.P. : « Comme on a été un des premiers cas de l’application de la loi Leonetti, on a été invité dans beaucoup de médias, à la télévision, la radio, la presse écrite. On a été reçu par le médiateur de la République, par le président du Conseil de l’Ordre des médecins, on a été auditionné lors d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale… Malheureusement, on n’avance pas beaucoup parce que les freins sont avant tout religieux. »
P.P : « On a de l’estime pour Leonetti, malgré les apparences. Il a dit du cas d’Hervé que ça le hante, que ça a été un laisser crever. »
Hervé Pierra a été l’un des premiers cas de l’application de la loi Leonetti sur la fin de vie, après huit ans et demi de coma. De nombreux journaux ont relayé son histoire à l’époque. | OUEST-FRANCE
« Ce sera le point final de notre combat »
D.P. : « À travers mon livre et ce témoignage, on a voulu faire un fer de lance pour la proposition de loi Falorni. Si elle passait, elle permettrait l’aide active à mourir, c’est-à-dire l’euthanasie. Et aussi le suicide assisté, c’est-à-dire que quand vous êtes au bout du bout de la souffrance, que la morphine ne peut plus agir, on vous donne quelque chose. Vous le prenez vous-même, comme ce qui se passe en Suisse, et vous partez, entouré des vôtres dans l’apaisement. Elle a failli être votée en avril.
On a envoyé le livre à Brigitte Macron, à des ministres également, à Yannick Jadot, aux journaux qui avaient parlé d’Hervé. On ne va pas toucher un denier sur le livre, on le donnera à l’association « Le Choix-Citoyens pour une mort choisie. »
P.P : « Je suis sûr que c’est un sujet de société qui va être largement abordé pendant la campagne présidentielle. Je suis sûr que dès que le Président sera élu, quel qu’il soit, il y aura un débat sur la fin de vie à l’Assemblée nationale. Comme on a abouti sur l’IVG, sur la peine de mort, on aboutira et ce sera le point final de notre combat. »
« Le choix ultime », de Danièle Pierra, aux éditions L’Atlantide (Les Sables-d’Olonne), 132 pages, 16 €. Disponible dans certaines librairies vendéennes ou par courriel : paulpierra@sfr.fr
Source :
« Ouest-France » Marylise Kerjouan – 22/11/2021