Les médecins opposés à l’aide active à mourir s’appuient sur un article du serment d’Hippocrate qui a évolué au fil du temps.
Le serment d’Hippocrate s’oppose-t-il à l’euthanasie ?
« Ne pas donner la mort est vu comme un principe intangible »
► Guillaume Durand, maître de conférences en philosophie de la médecine, auteur de « Un philosophe à l’hôpital » (Éd. Flammarion)
Dans le serment d’Hippocrate originel, figure la phrase : « Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion. » Une déclaration à inscrire dans le contexte de l’époque, alors que le poison était un recours répandu pour les suicides ou les meurtres. À l’époque contemporaine, cette phrase est devenue : « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». Derrière, vous lisez l’interdit de l’euthanasie et du suicide assisté.
C’est en s’appuyant sur cet article que la grande majorité des médecins s’opposent à l’aide active à mourir. Donner la mort n’est pas le rôle du médecin, disent-ils. Pourtant, la loi autorise ces mêmes médecins à arrêter un traitement, en accord avec le patient. Au nom de l’interdiction de l’obstination déraisonnable, lorsque le traitement n’est plus jugé bénéfique, mais délétère pour le malade, dont le pronostic vital est de plus engagé, à court ou moyen terme. Oui, le patient va mourir, mais le décès n’est pas censé être provoqué intentionnellement. Il n’est que le résultat naturel de l’avancée de la maladie. Un argument fragile, mais un argument.
« Cela dépend de la façon dont on l’interprète »
► Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD (association pour le droit de mourir dans la dignité)
Pour s’opposer à l’aide active à mourir, beaucoup de médecins se retranchent derrière le Serment d’Hippocrate. Pourtant, outre le fait que ce texte évolue (l’avortement est légalisé depuis près de 40 ans, la chirurgie de la vessie est devenue une opération courante, les professeurs de médecine sont rémunérés, contrairement à ce que préconise le serment d’origine…), certains passages brandis comme un étendard confortent en vérité nos revendications.
D’abord la phrase « je ne donnerai pas la mort délibérément » : toute la nuance est dans cet adverbe, délibérément. Un médecin qui aide un patient à mourir ne « tue pas pour tuer » dans le sens où il « n’assassine pas » de manière délibérée. Donner la mort n’est pas son mobile, ni son intention. Le mobile est de soulager les souffrances. À la demande du patient. En cela, l’aide active à mourir ne s’oppose pas au Serment d’Hippocrate, au contraire. Elle rejoint même un autre article, stipulant : « Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. » Si la loi actuelle évoluait et autorisait l’aide active à mourir, il n’y aurait donc même pas besoin de réécrire une nouvelle fois le texte. Tout est, en fait, question d’interprétation.
Source :
« La Croix » – Alice Le Dréau – 22/11/21