Si 92 % des Français sont favorables à une légalisation de l’euthanasie, selon un sondage IFOP pour la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN) dévoilée par le JDD, les conditions de sa mise en place divisent.
« Je vous donne un avis personnel : je suis favorable à ce qu’on évolue vers le modèle belge. » C’était le 31 mars, en pleine campagne présidentielle. Face à une femme qui l’exhortait à légaliser l’euthanasie, le candidat Macron faisait preuve d’une clarté inédite concernant ses projets pour un second mandat. Deux semaines plus tôt, il promettait de confier le sujet de la fin de vie choisie à une « convention citoyenne » dont les conclusions seraient ensuite soumises au Parlement ou à référendum. Après des années à entretenir le flou, le coup de sifflet a été donné : le « droit de mourir dans la dignité » sera « la grande réforme de société du deuxième quinquennat Macron », affirmait mi-avril Richard Ferrand, alors président de l’Assemblée nationale, sur France Info.
Mais si le sujet attise de fortes passions, on aurait tort d’y voir un saut dans le vide de la part de la majorité, estime Frédéric Dabi, directeur général de l’institut de sondage IFOP : « Le chef de l’État ne prend pas de risque politique à l’aborder : c’est ce que souhaitent les Français, et ce quelle que soit la question posée. » Selon une étude menée par son institut pour la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), que le JDD dévoile en exclusivité, un consensus continue de se dessiner, dans la droite ligne de précédents et nombreux sondages. Face à la question « En cas de maladie grave et incurable, seriez-vous favorable à ce que soit reconnu au malade qui le demanderait le droit d’être aidé à mourir ? », 88 % des sondés ont une opinion, et parmi ceux-ci, 92 % y sont favorables.
L’adhésion à une libéralisation de la fin de vie dégringole chez les croyants
« Sur le sujet de la fin de vie, depuis des années, les tribunes s’ajoutent aux tribunes, la cacophonie à la cacophonie, souligne Matthias Savignac, président du groupe MGEN. Et pourtant, on reste sur une forme de stand-by, alors même que nos voisins européens avancent. » L’euthanasie en cas de maladie incurable et très douloureuse est au moins partiellement légale aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et en Espagne, tandis que la Suisse et l’Autriche ont légiféré sur le suicide assisté – quand le patient prend lui-même la potion létale.
À la lumière de ces exemples, associations et personnalités politiques s’affrontent. Les croyances religieuses n’y sont pas étrangères : l’adhésion à une libéralisation de la fin de vie dégringole à 70 % chez les catholiques pratiquants et à 65 % chez les musulmans.
Au motif du bruit que cela pourrait générer, on a la main qui tremble
Mais que vient faire la mutuelle des enseignants dans l’arène ? « Je m’inscris dans l’histoire de la MGEN depuis soixante-quinze ans, expose Matthias Savignac. Nous nous emparons de sujets sociétaux, selon une vision plus humaniste et plus juste du progrès social. » Et de citer les combats pour l’accès à l’avortement et à la contraception. « On aurait tort de croire que ces droits sont intouchables, et en conquérir de nouveaux est leur meilleur rempart. Aujourd’hui, au motif du bruit que cela pourrait générer, on a la main qui tremble. L’enjeu de plaire ne devrait pas dépasser celui de servir. Nous souhaitons que le droit évolue pour permettre à chacun de choisir librement sa fin de vie, en conscience. »
Le reflet d’une « méconnaissance » du sujet ?
Un point de vue centré sur l’individu qui ne convainc guère Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) : « Avant d’être une réponse à des situations singulières, la loi est un message collectif. On peut se dire qu’on n’enlève rien aux autres si on ne force personne. Mais on va forcer tout le monde à l’envisager, à se demander si ce n’est pas mieux pour la société, pour sa famille. »
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Éviter des souffrances inutiles ou une dépendance importante, garantir le droit à disposer de sa vie : les motifs d’adhésion à ce projet sont multiples. En troisième position, citée par 94 % des sondés, vient l’idée de « se rassurer quant à la possibilité pour soi-même de ne pas mourir dans la douleur ». Si peu de gens ont réellement l’intention d’avoir recours au suicide assisté, l’idée de son existence console. Mais pour Claire Fourcade, c’est aussi là le reflet d’une « méconnaissance » du sujet de la fin de vie. « La population ignore ce qui est déjà dans la législation datant de 2016 : le refus de l’obstination déraisonnable, le droit d’être sédaté, l’obligation de soulager même si ça doit raccourcir la vie. »
De fait, seuls 50 à 70 % des sondés connaissent les principaux dispositifs de la loi Claeys-Leonetti. « On est tous d’accord pour ne pas souffrir, c’est consensuel, pointe Vincent Morel, chef du service de soins palliatifs du CHU de Rennes. Mais il faut veiller à ne pas trancher de façon binaire une question très complexe. » En 2021, 26 départements n’étaient toujours pas dotés d’un service de soins palliatifs.
Si la société française semble unanimement favorable à une évolution de la législation, le débat se corse lorsqu’on entre dans le détail des conditions d’accès : 71 % des sondés sont pour l’existence d’un délai de réflexion ; 65 % estiment que les proches peuvent donner leur accord si le patient ne peut plus s’exprimer ; seuls 55 % pensent que la décision doit être soumise à l’accord du corps médical. Pas de consensus non plus concernant une question centrale : qui doit faire le geste qui tue ? « Donner la mort est fondamentalement incompatible avec l’acte médical », assène Vincent Morel. Parmi les sondés, la « lourde responsabilité » déléguée aux soignants s’impose comme premier motif d’opposition.
Source :
« JDD » – Zoé Lastennet – 09.07.22